Difficile de se repérer dans la guerre du Sahel, faute de reporters sur le terrain qui fassent le tri entre info et intox, entre faits avérés et récits homériques destinées à édifier les foules. En général, les guerres sans témoins sont aussi sans pitié : c'est bien une bataille à mort qui oppose depuis le 22/02 les forces françaises et tchadiennes aux djihadistes d'Aqmi, dans l'Adrar de Tigharghar. Cinq vallées se succèdent. Celle que les Forces spéciales ont commencé à nettoyer fait 25 kilomètres de long. Elle constitue le cœur du fief que les djihadistes s'étaient taillé dans ce massif montagneux et qu'ils avaient aménagé depuis vingt ans. Le donjon du château, avec des grottes quasi inexpugnables d'où un snipper peut bloquer une colonne entière. Son potager avec des sources et des cultures à l'abri des regards, pour tenir un siège ou se cacher pendant des mois. Son arsenal où des tonnes (!) d'armes ont été découvertes, des ceintures d'explosifs prêtes à l'emploi, des bombes artisanales. Mais aussi des caches avec l'essence indispensable pour traverser le désert, des pièces détachées, du ravitaillement, etc. Les Français rapportent que les combats sont durs et que l'ennemi pris au piège se montre déterminé même s'il s'agit parfois de jeunes recrues. C'est là qu'Abdelhamid Abou Zaïd a trouvé la mort. Les deux photographies que les soldats tchadiens ont prises et qu'ils ont diffusées montrent que le chef terroriste se trouvait avec son garde du corps loin de son convoi de 4×4, dans les éboulis à flanc de montagne. Il n'a pas été tué dans un bombardement aérien contrairement à la rumeur colportée sur les sites islamistes. Les militaires racontent que pendant la fusillade qui les opposait à un petit groupe, tout d'un coup une explosion a retenti. Dos au mur ou à court de munitions, le petit groupe se serait fait sauter à l'explosif. En tout cas, le visage est bien reconnaissable, malgré sa blessure au front. Ce n'est pas Mokhtar Belmookhtar comme le prétendaient les Tchadiens, ce qui fait naitre un doute sur la mort de celui-ci annoncée aussi par Idriss Deby. En tout cas, c'est le premier coup significatif porté à la branche sahélienne de l'organisation depuis le début de la guerre au Mali. Pendant cinq jours, Paris s'est refusé à confirmer cette disparition. Le ministère de la Défense y opposait un scepticisme sans états d'âme et affirmait manquer de preuves matérielles. Des échantillons d'ADN ont pourtant été recueillis et transmis à Alger pour identification ainsi que l'arme du terroriste avec ses empreintes palmaires. Il n'y a pas besoin d'être Sun Tsu pour réaliser que la France n'a aucun intérêt à se précipiter pour confirmer la mort du terroriste. Et encore moins à la revendiquer et à plastronner alors que sept otages restent entre les mains de l'organisation et que tout laisse à penser qu'ils se trouvent encore dans ce massif des Ifoghas, piégés par les combats. François Hollande mercredi a fini par lâcher que des chefs terroristes avaient été « anéantis ». Sa confirmation a surpris. Son vocabulaire aussi. Déjà, au début de l'opération Serval, il avait prétendu que l'armée s'employait à « détruire » les terroristes. La formule était impropre car ce sont des objets que l'on détruit et l'accent qui rappelle les néoconservateurs avait pu choquer. La récidive montre que cette posture martiale était délibérée. AQMI n'est pas une organisation pyramidale que l'on puisse décapiter. Les têtes repousseront. Mais pour l'heure, les djihadistes sont sous forte pression. Leurs pertes sont lourdes, en hommes comme en matériel. Le moral et la capacité à réagir en sont amoindris. Des désertions ont été observées. Des combattants commencent à se rendre. Les prisonniers parlent. La mort d'Abou Zaïd et celle plus hypothétique de Mokhtar Belmokhtar ouvrent une brèche conséquente, tant dans l'organisation que dans les relations patiemment tissées par les différentes katibas avec les tribus, les élus et les populations locales du nord du Mali, de Tombouctou à Gao, de Kidal à Tessalit en passant par in-khalil. C'est tout un système fait d'équilibres incertains et parfois temporaires, d'alliances conclues dans le sang, de protections et de loyautés accordés au gré de mariages choisis avec soin qui vient de s'effondrer. Le mécano était génial mais fragile. Mokhtar Belmokhtar et la brigade al-Moulathamoune avaient pris la haute main sur les territoires situés au sud de Tombouctou. La région du lac Faguibine était son royaume, la Mauritanie et les camps sahraouis ses principaux terrains de recrutement. Les routes de la drogue remontant du Nigeria et traversant le Mali par les voies dites du Sud étaient sous sa protection, donc soumises au prélèvement de sa dime. Son rival et ennemi intime, Abou Zaïd et la brigade Tarik Ibn Ziyad avaient étendu l'œuvre initiée par Abd al Razzak al-Para, occupant l'Adrar des Ifoghas, verrou du Mali et de la zone saharo-sahélienne dans son ensemble. Lui contrôlait les routes de la drogue traversant le Mali par les voies dites du Nord. Les clans touaregs locaux lui fournissaient des recrues. Il y recevait les africains venus du Niger, du Sénégal et du Burkina Faso pour s'enrôler ou se former. Les formations de base des futurs moudjahidines étaient assurées par les unités elles-mêmes et les formations plus spécifiques dispensées dans le fief de l'Adrar des Ifoghas. Evidemment, le découpage des territoires pouvait être plus subtil. Ainsi, les libérations d'otages, rencontres importantes s'opéraient au nord de Tombouctou dans la zone tenue par Mokhtar Belmokhtar. Les deux hommes ne s'aimaient pas mais ils étaient condamnés à s'entendre. Ils le firent. C'est le château de sable qu'ils avaient patiemment construit que l'opération Serval est en train de piétiner. Tout le paysage djihadiste va en être recomposé. On saura très vite si Yahya Abou Al-Hammam, l'actuel maitre de l'Emirat du Sahara reprend le bâton de commandeur.