Que l'un ou l'autre réussisse à entrer dans la Maison Blanche et puisse se mettre aux manettes de ce grand pays de l'Amérique du Nord, il aura nécessairement à faire face au legs universel, plus que calamiteux, laissé par la décennie George W. Bush. Un chiffre tout d'abord. Il est faramineux et vertigineux, donnant le tournis par l'ampleur jamais atteinte depuis le 4 juillet 1776, date de l'indépendance des Etats-Unis. Le montant de la dette publique américaine s'élève aujourd'hui à plus de dix mille quatre cents milliards dollars (sic !). Coquette somme pour user d'un euphémisme si peu à propos que le nouveau chef de l'Etat à Washington ainsi que chaque citoyen dans chacun des cinquante Etats fédérés (plus les territoires extérieurs, l'Alaska, les ?les Hawaï et enfin le district de Columbia), vont traîner longtemps comme un boulet handicapant pour toute croissance espérée. D'autant que les temps vont être fort durs après la crise financière et les ravages qu'elle a générés de par le monde entier, à commencer par l'Amérique elle même. Ce ne sera pas une mince affaire de juguler et d'éradiquer totalement ce phénomène-séisme plus ravageur encore que celui survenu en 1929, qui bien entendu n'était alors circonscrit qu'à l'Europe et à l'Amérique. Comme la crise financière mondiale a commencé aux Etats-Unis et s'est ensuite rapidement propagée en Europe, en Asie et ailleurs, la récession inéluctable et durable s'installera en premier de la côte Est jusqu'au Far West avant de contaminer le monde capitaliste mais pas seulement. La moitié du mandat, au moins deux ans, sera cannibalisée, d'une manière ou d'une autre, par les Tentatives de régénérer un système fortement mis à mal par l'ultralibéralisme fou du président Ronald Reagan et qu'aucun locataire après lui de la Maison Blanche n'a su redresser, ne serait-ce que de façon cosmétique. Alors que dire, que prévoir des relations entre les Etats- Unis et le Maroc, du moins en ce qui concerne le lustre prochain ? Washington pourra-t-il dans cet avenir prochain infléchir sa politique vis-à vis du Royaume et si oui, de quelle manière ? En tout cas, il faut se pénétrer de ce qui semble être un axiome : il y a un invariant toujours particulier dans la politique étrangère américaine parce que c'est dans les universités, les bureaux d'études, dans la presse, dans les cellules de réflexion, dans le Congrès et le Sénat ainsi que dans d'autres officines nombreuses que se définissent les tendances essentielles et fondamentales, bien sûr grosso modo plutôt que permanentes. Cela ne veut pas dire que chaque président, démocrate ou républicain, avec son département d'Etat et son Administration, n'ont pas la latitude de remodeler à leur convenance, de nuancer peu ou prou ces plates-formes principielles. De temps en temps, n'écoutant que leurs intérêts (bien compris ?), ces politiques qui ne sont, malgré tout, pas gravées dans le marbre, subissent quelques changements. Des parenthèses peuvent à l'occasion faire chavirer, par exemple, la patrie de l'Outre Atlantique dans des aventures idéologiquement très marquées à droite heureusement éphémères. Dans cette grande machinerie diplomatique, le Maroc trouve difficilement une toute petite place, un strapontin dont l'opinion publique ainsi que la presse de notre pays ne semblent pas se rendre compte, de la modeste réalité. Mordicus, on voudrait chez nous que le Maroc soit le premier pays à avoir «reconnu» les Etats-Unis d'Amérique (en 1777 sous le règne du sultan alaouite Sidi Mohammed ben Abdallah), alors que c'était là tout simplement une demande de protection contre les corsaires et les pirates en contrepartie de la navigation de la marine américaine au large des côtes marocaines. En fait, les deux pays ne commencèrent à avoir de vagues relations qu'à partir de la fin du dix-neuvième siècle, pour se resserrer lors du vingtième, lorsque les Américains s'intéressèrent au mouvement national en lutte contre le double colonialisme franco-espagnol. En pleine seconde guerre mondiale, et en marge du sommet tenu par les alliés à Anfa, colline de Casablanca, le 22 janvier 1943, le président démocrate Franklin Delanoe Roosevelt encouragea le sultan Mohammed Ben Youssef à avancer résolument dans la revendication de l'indépendance. Le président américain promit aussi de fournir au Maroc indépendant une aide matérielle substantielle, qui mettrait en valeur les grandes richesses potentielles de ce royaume situé au nord-ouest du Maghreb à son seul et propre profit . Dix ans (en août 1953) après cette rencontre, le sultan était déchu et envoyé en exil pour ne reprendre effectivement son trône qu'à la fin de l'année 1955. Rapidement, Mohammed V entreprit un voyage aux U.S.A. deux ans après (décembre 1957). Les deux pays commencèrent à parler rituellement d'«amitié séculaire» et de «coopération exemplaire», entamant les négociations pour le départ définitif des troupes américaines de toutes les bases militaires qui leur avaient été concédées en vertu d'un accord secret par le Protectorat français, signé à la fin de la deuxième mondiale. Ainsi, le 30 juin 1963, Ben Guérir, Sidi Yahya, Mehdya et Nouasser, redevenaient pleinement marocaines, sans que cela ne pose de problèmes notables. Les président démocrate Jimmy Carter pouvait déclarer sur un ton lénifiant : «Elle [la Nation marocaine] a une influence stabilisatrice et a entrepris une action instantanée, confiante, et ceci constitue l'exemple à méditer que le roi Hassan II a offert au monde entier» (Carter. novembre 1978). Exprimée en cette rhétorique hautement diplomaticienne, elle sera le tempo permanent des propos de la classe politique américaine quand il s'agissait du Maroc. D'Eisenhower à Bush Junior, on n'entendit plus que ce langage, à peine remanié selon les circonstances des événements. Le Maroc, est-il utile de le rappeler, compte si peu dans l'élaboration de la stratégie mondiale des Etats-Unis, qu'il n'est pas difficile de comprendre la portion congrue à laquelle, jusqu'à aujourd'hui, il a été confiné. Il n'est pas un producteur d'hydrocarbures (pétrole et gaz), à l'instar de l'Algérie voisine, et n'est plus depuis la disparition de Hassan II l'acteur privilégié dans le conflit du Proche Orient. Son poids spécifique au sein de la communauté arabe là bas en Amérique est franchement dérisoire, puisque le nombre de nos compatriotes n'atteint pas, dans la meilleure des évaluations aléatoires, les 100.000 personnes dont la majorité ne pèse pas lourd dans l'univers économique et financier. Les électeurs qui ont départagé Barak Obama et John McCain ont pris leur décision dans la confidentialité de l'isoloir, sans songer une seule seconde aux relations avec un pays, trop souvent confondu là-bas avec Monaco, situé là-bas sur la rive africaine de l'Océan atlantique. D'autres critères retiennent l'attention des électeurs américains : Israël, Iran, Irak, Afghanistan, Al-Qaïda ; sans oublier la personnalité des deux candidats et de leurs co-listiers. D'autres éléments entrent en compte sûrement : la couleur de la peau du noir Obama ainsi que l'âge de McCain Même les effets de la crise financière mondiale et du danger de la récession, ne paraissent devoir beaucoup influer sur l'issue de la joute de 2008. Mais quand même, sans vouloir jouer au devin prospectiviste, essayons de voir lucidement quelle peut être la voie dans laquelle s'engageront, sur les plans économique, culturel et autres, les relations et les rapports entre les deux Etats. Encore une fois, à la semaine prochaine