Août 2008, un détenu s'est donné la mort à la prison d'Essaouira. Pour arriver à ses fins, ou plutôt à sa fin, il s'est pendu à l'aide d'un drap dans les sanitaires de la cellule qu'il partageait avec plusieurs autres détenus. C'est la méthode généralement utilisée par les prisonniers arrivés à bout de patience, témoigne un ex condamné à mort aujourd'hui gracié. Abdelaziz H. (51 ans) a rendu l'âme lors de son transport en direction de l'infirmerie. Le suicide de ce prisonnier, qui n'avait pourtant plus que trois jours à purger sur une peine de 3 mois est resté énigmatique. La situation est bien plus cruelle. Il est fait état de plusieurs cas de suicides chez les prisonniers qui n'arrivent plus à supporter la promiscuité et les conditions désastreuses de détention. Les seuls extras accordés sont ces paniers à provision rapportés par les familles et que l'on désigne communément par « Kouffa ». Parfois, en plus des victuailles, le couffin renferme des substances illicites comme du haschich ou les cartes de téléphone prépayé. Si la monnaie est interdite, les cigarettes sont par contre la devise intra muros. Tout se vend et s'achète par ce moyen. Surpopulation Et pourtant, malgré le ravitaillement familial, le manque persiste d'où les récurrentes grèves de la faim dans les centres de détention. Statistiques: Entre 2002 et 2006 le nombre de ces grèves est passé de 534 à 3.474. Pourquoi un tel manque? Tout simplement parce que les prisons grouillent de monde. Cette surpopulation carcérale a atteint des limites incroyables dans plusieurs centres. Pour une capacité d'accueil de 84 personnes, la prison d'El Hoceima en abrite 604 soit 7 fois plus. Un rapport du Conseil Consultatif des Droits de l'Homme (CCDH), publié en 2004 avait dévoilé pour la première fois de dramatiques proportions en milieu carcéral. La prison de Beni Mellal avait atteint les 442% de sa capacité d'accueil, celles de Laayoune, Berrechid et Kénitra atteignaient respectivement 407%, 320% et 270%. Poursuivons cette tournée. A Laayoune, la prison noire mérite bien son nom. D'une capacité initiale de 50 personnes purgeant des peines inférieures à six mois, elle affiche aujourd'hui une capacité de 250 détenus mais en abrite réellement 700. A Tétouan, la prison de Bab Nouaider menace de tomber en ruine affirme un rapport de l'association des droits de l'Homme de Tétouan (réalisé en août 2008). Construite en 1930, la prison de Bab Nouiader est l'une des prisons les plus surpeuplées du Maroc. Elle est submergée aussi par la drogue, la corruption, les abus sexuels et la violence. Malgré sa faible capacité d'accueil elle reste le seul lieu de détention provisoire. Pire encore, la prise en charge médicale est défaillante. Selon une source médicale pénitentiaire, les maladies les plus répandues en prison sont les maladies mentales, suivies de près des maladies dermatologiques et respiratoires. Chaque année, 700 cas de tuberculose sont dépistés dans les prisons. Celles d'Ain Sbaa, de Salé et de Tanger en sont les plus atteintes. En 2006, 122 cas de décès ont été enregistrés dont 24 pour cause de maladies pulmonaires et 24 autres pour arrêt cardiaque. Six détenus ont succombé à des agressions. La dignité humaine est touchée au plus profond. On peut ainsi voir des détenus sans lits, couchant à même le sol. Dans des cas encore plus déconcertants, on en voit qui dorment dans les toilettes. Situation difficilement supportable. Pas pour tout le monde cela va soi. Les mieux nantis vivent correctement et parfois dans l'opulence. Ils ont les moyens de tout acheter, même un certain confort carcéral. Difficile avec ce tableau, d'espérer une bonne réinsertion des détenus. Selon Ahmed Habchi, président de l'association des amis des centres de réforme et de rééducation, « la surpopulation carcérale, empêche toute initiative de resocialisation des délinquants mineurs. Certains refusent de rompre avec la délinquance. La majorité des récidivistes est issue de milieux où l'exclusion et la délinquance sont monnaie courante". Entre 30 à 40% seulement des détenus s'assagissent après leur séjour derrière les barreaux ». Autrement dit, la prison, en tant qu'institution de réinsertion échoue dans 60 à 70% des cas. Maigre performance. Toutefois, dans les cas de réussite, certains détenus apprennent un métier ou décrochent un diplôme universitaire. De ce fait, plusieurs métiers et formations sont dispensés au sein d'ateliers rattachés aux centres de l'Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) les plus proches. Formation pour la reinsertion Selon le ministère de l'emploi et de la formation professionnelle, 26.570 détenus bénéficieront d'une formation professionnelle entre 2008 et 2012 dont 2000 en mode de formation par apprentissage. La Fondation Mohammed VI joue également en faveur d'une réinsertion. Créée en 2002, cette association d'utilité publique, cible en premier lieu les mineurs auxquels elle apprend le sens des responsabilités envers la société, leurs familles et envers eux mêmes. Pour les plus coriaces, l'évasion reste l'objectif suprême. Certains y arrivent, d'autres pas. La fuite des neuf salafistes qui a défrayé la chronique est en quelques sortes l'arbre qui cache la forêt. Le 4 août dernier, trois détenus de la prison locale de Nador, avaient tenté de s'enfuir en attaquant leurs gardiens, ces derniers avaient réussi à mettre en échec la tentative de deux d'entre eux, alors que le 3e avait pu s'enfuir. La police de Nador l'arrêta peu de temps après au quartier Eggounaf au cours d'une opération de ratissage. La première semaine du mois de Ramadan, deux nouvelles évasions à Casablanca et Settat avaient été signalées. A la prison centrale de Kenitra, 28 détenus se sont évadés en 2005, 28 autres en 2006 et 23 en 2007. Pour faire face à cette situation, le ministère de la Justice étudie plusieurs mesures, notamment la révision de la politique pénale, la construction de nouvelles prisons, l'acquisition d'appareils de surveillance développés, outre le recrutement de 6.000 gardiens à l'horizon 2012. 17 nouvelles prisons sont programmées, d'autre seront rénovées comme celles de Tanger, d'Assilah et de Marrakech. De l'aveu même du ministre de la Justice, la situation des prisons au Maroc a été influencée par un nouveau phénomène : la hausse du nombre des détenus liés aux réseaux mafieux de la drogue. Ces derniers utilisent leurs richesses pour faire leur propre loi à l'intérieur des prisons. Le deuxième phénomène est lié à la hausse du nombre des détenus pour affaires de terrorisme. Ces deux catégories de prisonniers représentent à elles seules 30 % de la population carcérale. Un autre problème vient enfoncer le clou, le manque d'effectif : 5000 fonctionnaires et gardiens pour 57.000 détenus. D'où la décision de procéder à un recrutement de masse. Complicité et negligence La lutte contre l'évasion est le défi majeur du nouveau délégué général de l'Administration pénitentiaire et de la réinsertion, Hafid Benhachem. Cet ancien patron de la DGSN, n'hésite pas à débarquer à l'improviste chaque fois qu'une tentative d'évasion est signalée dans une prison. Il débarque en compagnie de la police judiciaire (PJ), chargée aussitôt d'enquêter sur les faits. Les prisonniers ou les fonctionnaires accusés de complicité ou de négligence encourent des sanctions disciplinaires venant s'ajouter ou se substituer à la sanction pénale pour évasion, en vertu de la loi n° 23-98 relative à l'organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires. L'article 312 stipule qu'est « coupable de connivence à évasion et punie de l'emprisonnement de deux à cinq ans, toute personne désignée à l'article précédent qui procure ou facilite l'évasion d'un prisonnier ou qui tente de le faire, même à l'insu de celui-ci, et ce même si cette évasion n'a été ni réalisée, ni tentée par lui. La peine est encourue même lorsque l'aide à l'évasion n'a consisté qu'en une abstention volontaire. La peine peut être portée au double lorsque l'aide a consisté en une fourniture d'armes. Le coupable est frappé de l'interdiction d'exercer toutes fonctions ou tous emplois publics pendant dix ans voire plus. La simple négligence expose le personnel pénitentiaire à deux années d'emprisonnement, alors que la complicité active entraîne une peine de cinq ans d'emprisonnement avec également l'interdiction d'exercer tout emploi public pour une durée de dix ans ». Plusieurs gardiens et fonctionnaires de la prison centrale de Kenitra avaient été condamnés à des peines allant de deux mois à deux ans de prison ferme après la fuite du baron de la drogue El Néné en décembre 2007. Ils avaient été accusés de falsification, corruption et aide à l'évasion d'un prisonnier. Profession maton, une situation désastreuse Les gardiens de prison souffrent également de cette situation désastreuse. A la prison de Salé, surnommée Zaki, les gardiens sont soumis à une pression et un stress quotidiens. Chaque fois qu'une cellule terroriste est démantelée, c'est du travail en plus pour ces fonctionnaires. Zaki est une des plus grandes prisons du Maroc. Le calvaire des gardiens commence par des heures de travail dépassant de loin l'horaire légal. Le jour de la remise des membres de la cellule Belliraj, certains gardiens ont dû travailler 48 heures d'affilée. Par ailleurs lorsqu'un gardien accompagne un prisonnier à l'hôpital, il est obligé de rester avec lui 24 heures non stop. Prisons dorées pour salafistes La pression et les grèves de la faim ont fait accorder aux prisonniers salafistes bien des acquis : l'intimité avec leurs épouses, le droit de se marier en prison, parabole, sport De peur d'embrigader les détenus de droit commun, les salafistes étaient détenus dans des pavillons à part, bénéficiant ainsi de plus de mètres carrés que les autres. ? la prison Zaki de Salé, les 309 prisonniers salafistes ont beaucoup plus d'espace, 3 à 8 hommes en moyenne dans chaque cellule. Tandis que pour les 3 500 prisonniers de droit commun qui y croupissent, ils ont droit à une cellule pour 30 à 60 personnes. Le père d'Abou Hafs, Ahmed Rafiki alias Abou Houdaïfa, qui a quitté la prison d'Oukacha, en mars dernier, avait une cellule à lui seul, un garde-manger et une cuisine alimentés trois fois par semaine par ses deux épouses. Il a épousé la dernière (25 ans) en prison. Il avait aussi accès à un jardin privé, une salle de bain, deux radios et une télévision et des vêtements bien repassés. Au centre d'Oukacha, les salafistes avaient pu, eux aussi, arracher à l'Administration de gros avantages comme l'usage des chambres de l'union conjugale. Une situation qui rend fous de rage les 7600 autres détenus dont certains parlent même de favoritisme. Selon une source bien informée, certains gardiens et directeurs essaient de faire le moins de problèmes avec les salafistes pour ne pas attirer la presse et l'opinion publique sur leur prison et vaquer ainsi à leur train-train quotidien, rythmé par la corruption, le trafic et bien d'autres activités plus ou moins avouables.