Censée être un lieu de tri, la prison américaine de Bagram, située sur une base aérienne en Afghanistan, est devenue un centre de détention à longue durée et une zone de non-droit. Depuis 2002, la prison de Guantanamo ainsi que le flou juridique qui l'entoure sont perçus par les organisations de défense de droits de l'Homme comme le symbole des dérives de l'Administration George W. Bush dans ce qu'il appelle «la guerre contre le terrorisme.» Pourtant, il existe une autre prison beaucoup moins visible, loin des regards des curieux où quelque 500 prisonniers sont détenus sans inculpation pour une durée indéterminée et dans des conditions plus pénibles que celles de Guantanamo. Il s'agit de la prison de Bagram. Située sur une base aérienne à plus de 60 kilomètres de Kaboul, en Afghanistan, elle était censée n'être au départ qu'un lieu de passage des suspects arrêtés par les forces américaines. Toutefois, le centre s'est développé au fil des ans pour devenir une véritable prison où le droit est compétemment exclu. Récemment, le quotidien américain New York Times a consacré, en première page, une longue enquête sur cette prison. Une prison jusque-là largement méconnue. Selon ces mêmes responsables du Pentagone, la plupart des détenus sont d'origine afghane et peuvent être libérés suite à une amnistie ou bien transférés vers une prison afghane qui devait être construite avec l'aide américaine. Or, révèle le quotidien, plusieurs prisonniers ont passé deux, voire trois ans, dans cette prison et y sont toujours. Contrairement aux prisonniers de Guantanamo, ils n'ont pas accès aux avocats et n'ont pas le droit de connaître les raisons de leur emprisonnement. Leur statut est réduit à celui de combattants ennemis : «Enemy Combatants». Des responsables de l'Administration Bush ont affirmé au New York Times, sous couvert d'anonymat, que la situation à Bagram est le résultat du verdict de la Cour suprême américaine en juin 2004. Un verdict qui a donné le droit aux prisonniers de Guantanamo de contester leur détention devant les cours américaines. À partir de cette date, les responsables américains ont décidé de mettre fin au transfert des détenus de Guantanamo pour retrouver le vide juridique de Guantanamo. Du coup, le nombre de détenus est monté en flèche : 100 prisonniers en 2004 et 600 l'année dernière. Cette prison est interdite aux visiteurs à l'exception du Croissant-Rouge. Et elle ne peut pas être prise en photos, même à distance. Dans l'article du New York Times, des ex-détenus ainsi que des officiers de l'armée et des soldats ayant servis là-bas, décrient un lieu plus rude et plus sombre que la prison de Cuba. Des hommes sont détenus dans des cages grillagées par douzaines, ils dorment par terre, sur des matelas en mousse. Jusqu'à il y a un an, ils devaient faire leurs besoins dans des cuvettes et ils ne voyaient que très rarement la lumière du jour. «Bagram n'a jamais été censée être un lieu de détentions de longues durées», a déclaré au journal américain un responsable du département de la Défense. Bagram est loin d'avoir l'air d'une véritable prison. Depuis 2003, quelques rénovations dans l'atelier mécanique transformé en prison ont permis une amélioration progressive de la situation sanitaire. Même les villageois afghans, libérés de Bagram l'an passé, ont décrit la prison comme un lieu de désolation et de misère humaine. «C'était comme une cage,» raconte Hajji Lalai Mama, un ex-détenu interrogé par le New York Times. Chef de tribu, âgé de 70 ans et libéré après deux années de détention sans inculpation, cet homme raconte : «c'était comme les cages à Karachi où l'on enferme les animaux. C'était comme ça,» faisant allusion au parc zoologique. La majorité des détenus libérés ont dénoncé le fait d'être incarcérés sans raison valable. Souvent les ex-prisonniers disent avoir été dénoncés par des ennemis au sien du village ou arrêtés par la police locale faute de n'avoir pas pu graisser la patte. Même après la construction d'une prison afghane, une partie de Bagram continuera à exister pour y loger les futurs «Enemy Combatants». Lutte antiterroriste : les dérives d'une administration Parmi toutes les définitions qu'on peut donner à la torture, nulle ne peut être aussi pertinente que celle de Pierre Desproges qu'on retrouve dans le Dictionnaire superflu : «Torture : nom commun féminin, mais ce n'est pas de ma faute. Bien plus que le costume trois pièces ou la pince à vélo, c'est la pratique de la torture qui permet de distinguer à coup sûr l'homme de la bête». Aujourd'hui, les méthodes de l'Administration américaine de lutte contre le terrorisme sont critiquées de toute part. Nombreuses sont les ONG qui n'ont pas cessé de dénoncer les pratiques utilisées dans les centres américains de détentions. Récemment, un rapport de l'ONU a exigé la fermeture de la prison de Guantanamo, mais les autorités américaines se sont pressées de le dénoncer avant même sa publication. La fameuse phrase du président américain George W. Bush : «nous ne torturons pas» sonne chaque jour un peu plus creux. Rappelons que le scandale des «sites noires» de la CIA en Europe a montré que la détention arbitraire est devenue une pratique très répandue. Selon les chiffres de l'Associated Press, les Etats-Unis ont détenu plus de 83.000 prisonniers depuis le 11 septembre principalement en Irak et en Afghanistan. Actuellement, plus de 14.000 sont toujours détenus, dont plus de 4000 depuis plus d'un an. Au moins 103 prisonniers sont morts en prison, dont 26 victimes d'homicide. Les témoignages d'anciens militaires, recueillis par la presse, attestent de nombreux cas de bavures.