Les dégâts collatéraux de la pandémie ne cessent de se multiplier : Le dernier en date est la menace qui pèse lourdement sur la lutte contre le mariage des mineurs. Les progrès réalisés en la matière durant ces dernières années risquent de partir en fumée. Détails Par Hayat Kamal Idrissi Najat avait juste 15 ans lorsque, en pleine pandémie en septembre dernier, son père décide de la marier au cousin germain. Après une simple cérémonie, état d'urgence sanitaire oblige, elle rejoint son jeune mari au foyer familial au douar voisin dans la région d'Imlil, au pied du mont Toubkal. Au lieu de faire sa rentrée scolaire en 9ème , elle devient précocement une femme au foyer. Auparavant, Najat rêvait de devenir institutrice mais avec la fermeture de dar Taliba, après le déclenchement de la pandémie, elle était obligée de quitter son collège et de voir son rêve avorté. Comme Najat, elles étaient bien nombreuses les filles dont le cours de la vie a été chamboulé par la pandémie et ses répercussions. C'est ce qu'affirme une récente étude du Fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF).
Un pas en avant, deux en arrière
Alarmante, cette dernière met en garde contre la menace représentée par covid-19 et pesant sur les progrès réalisés ces dernières années en matière de lutte contre le mariage des enfants dans le monde. D'après l'agence onusienne, dix millions de mariages d'enfants supplémentaires risquent d'être conclus d'ici à la fin de la décennie. « Des prévisions catastrophiques qui risquent d'anéantir des années de progrès pour réduire cette pratique », prévient l'UNICEF. Intitulée « Covid-19 : Une menace pour les progrès enregistrés contre le mariage des enfants », cette nouvelle étude analyse les causes et les répercussions de la pandémie sur l'avenir de millions de filles à travers le monde. Fermetures d'écoles, contraintes économiques, perturbation des services, décès durant la grossesse et décès parentaux imputables à la pandémie... sont autant de facteurs qui augmentent les risques de mariage pour les filles les plus vulnérables. Si la pandémie a aggravé davantage la situation, cette dernière n'en demeurait pas moins inquiétante auparavant. Toujours d'après l'UNICEF, 100 millions de filles étaient déjà exposées au risque d'être mariées pendant leur enfance durant la prochaine décennie. « Et ceci malgré un recul considérable de cette pratique dans plusieurs pays au cours des dernières années », regrette-t-on auprès de l'agence onusienne. Avec un taux de baisse de l'ordre de 15%, le mariage des mineures concerne dorénavant une femme sur cinq au lieu de quatre. Ainsi quelque 25 millions de mariages ont ainsi été évités. « Des progrès qui sont aujourd'hui compromis à cause de la pandémie qui a aggravé une situation déjà difficile pour des millions de filles dans le monde. La fermeture des écoles, l'absence des réseaux de soutien et l'augmentation de la pauvreté ont ravivé un incendie que le monde avait déjà du mal à éteindre », souligné Henrietta Fore, directrice générale de l'UNICEF à l'occasion de la journée mondiale des droits des femmes. Au Maroc, le drame continue
Le Maroc n'échappe pas non plus à la tendance et le mariage des mineures continue de faire des victimes et de briser des destins. Selon les données du Ministère de la justice, 319 177 demandes de mariages des mineures ont été accordées entre 2009 et 2018. D'après une étude nationale sur le mariage des mineurs publiée en mars 2020 par l'association « Droits et Justice », le fléau expose ces filles à de réels dangers. Ayant porté sur un échantillon de 627 cas, dont près des deux tiers ont concerné le monde rural (408 cas), cette étude a été réalisée dans les 12 régions du Royaume. « Le mariage coutumier persiste avec un pourcentage non négligeable de 13% en milieu rural, contre 6,56% en milieu urbain. Ceci malgré les efforts déployés par le gouvernement pour venir à bout de ce phénomène », expliquent les initiateurs de l'étude. « Ce type de mariage représente un taux très important, égal parfois, à celui du mariage authentifié, comme c'est le cas de la région de Draa-Tafilalet, ou encore celle de Dakhla-Oued Eddahab », s'alarme l'étude tout en dénonçant la persistance du mariage des mineures dans les différentes régions et spécialement celle de Casablanca-Settat qui reste la plus touchée par le phénomène avec un taux de 19.86%. D'après Mourad Faouzi, président de l'association « Droits et Justice », cette étude permet une meilleure connaissance de la topologie des mineures mariées, de leur vie et de leur milieu familial et social, « L'étude a analysé cette problématique au regard d'une causalité multiple, pluridimensionnelle associant la vulnérabilité/pauvreté, la non-scolarisation et la pression sociale. Ceci sans oublier le cadre législatif qui autorise encore le mariage des mineures (article 20 du code de la famille) », fustige Mourad Faouzi. Les auteurs de l'étude estiment d'ailleurs que la suppression de toute dérogation à l'âge de 18 ans est « une première solution que l'on peut qualifier de radicale et qui est réclamée par la société civile et suggérée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) afin de venir à bout du phénomène », soutiennent-ils.
Chiffres alarmants
Malgré son interdiction par la loi, le mariage des mineurs est toujours aussi répandu au Maroc. Rien qu'en 2018, 32.000 demandes de mariages de mineures ont été enregistrées. C'est le chiffre révélé par le ministre de la Justice, Mohamed Ben Abdelkader, en janvier 2020, alors qu'il exposait la situation des autorisations de mariage devant les députés au parlement. Des autorisations qui doivent être accordées par un juge afin de déroger la loi. D'après l'exposé du ministre, seulement 19% des demandes de mariage d'un(e) mineur(e) ont été refusées par la justice marocaine. Toujours selon le ministre, de 33.000 demandes de mariage d'un mineur ayant été soumises à la justice, 26.000 ont été acceptées, soit un taux de 81%. Aussi 98% de ces demandes ont été formulées par des personnes en situation de chômage, dans le monde rural. Un chiffre qui confirme la prévalence du mariage précoce dans les campagnes. Une pratique très répandue dans ce milieu ; et qui a été à l'origine de plusieurs drames à cause justement de l'illégalité de mariages arrangés bâclés par une simple lecture de Fatiha loin des circuits légaux. Avec le changement de loi, les tuteurs ont juste changé d'approche en s'alignant sur le nouveau code à travers les demandes faites aux juges. Une situation plutôt alarmante et qui marque une rechute pour les droits des mineurs fervemment défendus par la société civile.
Article 20, le controversé
« Le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l'âge de la capacité matrimoniale prévu à l'Article 19 ci-dessus, par décision motivée précisant l'intérêt et les motifs justifiant ce mariage. Il aura entendu, au préalable, les parents du mineur ou son représentant légal. De même, il aura fait procéder à une expertise médicale ou à une enquête sociale », stipule en effet l'article 20 du Code de la famille. Un dispositif légal qui permet certaines dérogations et qui rouvre la porte au mariage précoce des jeunes filles. Un état des lieux qui remet sur le tapis le grand débat sur une interdiction formelle de ce type de mariage pour une protection optimale des intérêts des mineurs, comme l'ont toujours réclamé les associations féministes et des droits humains. Ces dernières font valoir les effets et les conséquences néfastes de ces unions précoces sur la santé physique, psychique des concerné(e)s sans parler de leur avenir compromis à cause de la déperdition scolaire et de la rupture totale avec l'école et tous types de formation. Les affaires cumulées devant le tribunal de la famille rappellent en effet les dégâts du mariage précoce sur l'indépendance socio-économique2des mineures concernées.!μ%56'