La protection des mineures contre les mariages précoces est de plus en plus sujette à débat au Maroc. Un réseau féministe qui a réalisé une étude sur la question vient de tirer la sonnette d'alarme sur le développement du phénomène dans certaines régions du royaume. Le réseau critique ainsi l'article 16 de la Moudouwana qui, selon lui, est détourné par les tribunaux afin de favoriser ces mariages et exige une enquête nationale. Même si à ce jour les statistiques officielles se font rares, les quelques données à propos du mariage des mineures au Maroc soulèvent tout de même des inquiétudes. D'après Anaruz, le réseau national des centres d'écoute des femmes victimes de violence qui a effectué une étude dans des zones rurales à Fès, Meknès et Khénifra, plus de 40 000 mineures contractent des mariages précoces chaque année dans le royaume. Ces chiffres, bien que relatifs, donnent des indications sur l'ampleur du phénomène, comme le souligne EFE. «Les résultats bien que partiels peuvent être représentatifs d'un problème : la loi est ''détournée'' afin de légaliser la polygamie et le mariage précoce», explique Ilham Cherkaoui présidente de l'Initiative pour la promotion des droits des femmes IPDF de Meknès. Selon le réseau, certains hommes marocains épousent des filles à l'âge mineur mais attendent quelques années après pour déclarer le mariage dans les tribunaux. Cette pratique qui permet d'éviter de se confronter à la loi est très fréquente. Lorsque l'épouse devient majeure, autrement dit arrive à 18 ans, son mari ne pourra plus être poursuivi. Selon Anaruz, cette situation qui favorise le mariage précoce est le fruit des carences de l'article 16 de la Moudouwana, qui stipule dans son alinéa 4 : «l'action en reconnaissance de mariage est recevable pendant une période transitoire ne dépassant pas cinq ans». Plus de 60% des mineures mariées n'engendrent pas d'enfant Réalisée entre novembre 2012 et juin 2013, l'étude du réseau Anaruz indique que cet article 16 a permis de régulariser un taux «très élevé» de mariages de mineures. Selon les données recueillies par le collectif, 25% des verdicts favorables pour les demandes d'authentification concernent des filles mineures qui ont été mariées lorsqu'elles avaient 15 ans ou moins. Plus alarmant encore, 61% des mineures mariées n'engendrent pas d'enfant selon l'étude d'Anaruz. Par ailleurs selon Cherkaoui, les juges des tribunaux itinérants se trouvent fréquemment devant le fait accompli : des hommes ou leur première épouse se présentent et demandent à légaliser les unions même si toutes les conditions ne sont pas réunies. Pour rappel, dans le cadre de la polygamie, la permission explicite de la première épouse est exigée et pour les cas des mineures, une «preuve médicale ou sociale» et la permission des parents sont demandées. Pour Cherkaoui, les juges ne prennent pas assez compte de l'intérêt des mineures. L'urgence d'une étude nationale En 2011, les tribunaux itinérants ont légalisé 45 122 mariages, à en croire les chiffres du ministère de Justice. La même année, le Conseil économique et social a détecté dans tout le pays 46 927 mariages précoces, des petites filles dans 99 % des cas. Anaruz s'inquiète également des conséquences de ces mariages sur les mineures. Les complications de la grossesse et de l'accouchement sont parmi les principales causes de décès chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans. Le réseau exige même une étude nationale détaillée qui «démasquerait» la réalité des mariages précoces. Il demande une révision de l'article 16 du Code de la famille afin de permettre des interdictions «plus claires» ne permettent pas «un tel degré de discrétion des juges». «Un pays qui se dit démocratique ne peut pas avoir des lois contraires aux droits de l'homme», s'indigne Cherkaoui. Selon cette dernière, une formation supplémentaire doit être assurée aux juges afin qu'ils se conforment aux conventions internationales.