Le mariage précoce pose toujours problème. En 2006, les juges ont accepté 90% des demandes de mariage de mineures. Ainsi, 12 % des filles âgées entre 15-19 ans ont le statut d'épouse au Maroc. Une tendance bien inquiétante. Déjà en 2005, devant l'ampleur du phénomène, le Groupe de la Coalition sociale a saisi le ministre de la Justice. Les chiffres à cette époque sont tout aussi alarmants. Le mariage des mineures représente, dès lors, 8,34% de l'ensemble des mariages contractés, soit 21.660 cas sur un total de 259.612. La réponse du précédent ministre, feu Mohamed Bouzoubaâ, se voulait rassurante : « Ce phénomène reste une exception. La hausse des demandes de mariage est due à la période de transition caractérisée par l'entrée en vigueur légale de la moudawana. » Trois ans plus tard, les nouvelles dispositions ne semblent pas être bien assimilées. L'Association démocratique des Femmes du Maroc (ADFM) ne cache plus sa préoccupation. Dans un communiqué diffusé à l'occasion de la journée mondiale de la femme, le 8 mars 2008, cette ONG affirme que les autorisations de mariage de mineurs au Maroc risquent de compromettre sérieusement le Code de la famille, adopté en 2004. Pourtant, la loi est bien claire. L'article 19 stipule « l'aptitude au mariage s'acquiert pour l'homme et pour la femme jouissant de leurs facultés mentales, à 18 ans grégoriens révolus ». Les deux sexes sont, donc, placés sur un pied d'égalité. Sauf qu'une dispense d'âge est prévue par l'article 20 du Code de la famille. Bon nombre de parents profitent de cette dispense d'âge malgré la complexité de la démarche. Les mariages des mineurs sont, en effet, soumis à une autorisation préalable du juge. La demande comporte l'intérêt et les raisons des concernés. Le magistrat doit entendre le père et la mère de la mineure pour s'assurer que le mariage ne représente pas un danger pour la fille. D'où l'importance d'une expertise médicale et d'une enquête sociale. Le mariage de la mineure est soumis aussi à l'accord du tuteur légal. Pressions Les militantes des droits de la femme critiquent ouvertement cette exception. Elles ne comprennent pas sur quelles bases les autorisations sont délivrées, surtout que plusieurs violations au niveau des procédures sont relevées. Selon un rapport de 2005 de la Ligue démocratique pour les Droits des Femmes, les conditions dans lesquelles se déroulent les auditions et l'enquête avec les mineures ne permettent pas à celles-ci d'exprimer explicitement leur volonté, d'où une violation des dispositions des articles 10 et 11 du Code. Le constat médical remplace le plus souvent la demande d'une expertise médicale stipulée par l'article 20 du Code de la famille. Il n'y a pas d'investigation précise et approfondie qui permettrait d'identifier les éventuelles pressions ou l'existence de contraintes matérielles ou morales. La plupart du temps, les impressions dégagées des déclarations du père de la mineure sont les plus déterminantes. Ce même rapport énumère les raisons invoquées par les magistrats pour autoriser les mariages de mineures. Elles sont fréquemment en rapport avec la capacité physique de supporter les obligations du mariage, les conditions sociales et économiques de la mineure, l'existence d'un lien de parenté entre les fiancés et les traditions dominantes dans certaines régions. Les causes du rejet des demandes se limitent, quant à elles, à l'extrême immaturité de la mineure et l'incapacité physique de contracter un mariage. Violation Pour éviter les abus, les défenseurs des droits de la femme réclament tout bonnement le bannissement mariage des mineures. Car, à leurs yeux, il est considéré comme une « pédophilie autorisée et masquée ». L'Unicef lance le même appel. « Cette pratique viole les droits à la liberté personnelle et à la croissance », martèle Carole Bellamy, ancienne directrice générale de l'Unicef. Vraisemblablement, les hommes de loi rechignent à aller à l'encontre des traditions. Il n y a pas si longtemps, dans l'esprit des familles, la destinée la plus évidente pour les filles était le mariage. Et plus celui-ci survenait tôt, mieux cela valait. D'autant plus que même pour les filles qui avaient la chance de poursuivre des études supérieures et d'accéder au marché du travail, le mariage leur était imposé par leurs parents. La pauvreté est aussi sur les bancs des accusés. Le mariage est aussi le moyen de préserver la virginité des filles, fondamentale dans les milieux ruraux. À Taounate, dans la région de Fès, la moyenne d'âge des filles au mariage est de 15 ans. Une pratique non sans conséquence. Elle coupe à la racine les occasions offertes par l'étude et les chances de croissance personnelle. En outre, chez les filles, le mariage précoce est presque toujours synonyme de grossesse qui est la cause des hauts taux de mortalité maternelle et d'accouchements prématurés ainsi que d'une existence d'asservissement domestique et sexuel. Les adolescentes sont également plus sujettes que les femmes d'âge mûr aux maladies sexuellement transmissibles. À quand, alors, la fin de cette mascarade ? À 15 ans, la place d'une fille ou d'un garçon est encore sur les bancs de l'école.