Alors que l'Etat hébreu a vacciné près de la moitié de sa population, pour l'Autorité palestinienne, la situation est tout autre. Par TOVAH LAZAROFF
«La puissance occupante, Israël, est responsable de la santé de toutes les populations sous son contrôle», a tweeté cette semaine le sénateur démocrate américain Bernie Sanders, reprochant à Israël le fait de ne pas vacciner massivement la population palestinienne en Cisjordanie et à Gaza. Il n'est pas le seul d'ailleurs à réprimander Israël dont la campagne de vaccination accélérée a été saluée dans le monde entier. Un succès qui a pourtant eu un effet inverse dans la cour de l'opinion publique internationale, s'agissant du conflit israélo-palestinien. La capacité d'Israël à vacciner rapidement près de la moitié de sa population, alors que la campagne sanitaire de l'Autorité palestinienne vient à peine de démarrer, témoigne du grand écart en termes d'efficacité entre les deux gouvernements. L'Etat hébreux a par ailleurs mis la question du COVID-19 au cœur du débat sur la responsabilité israélienne à l'égard des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. La décision du Premier ministre Benjamin Netanyahu de faire don de 100,000 vaccins répartis en lots de 5,000 à une vingtaine d'alliés, n'a fait que renforcer l'impression qu'Israël pouvait aider les Palestiniens. Mais il a froidement choisi de ne pas le faire. L'engagement pris par Israël début février de fournir à l'Autorité palestinienne le même lot de 5,000 doses - dont 2,000 ont déjà été reçues - ou encore son plan de vacciner quelque 100,000 Palestiniens travaillant en Israël, n'ont pas pour autant atténué le sentiment anti- Israël, à ce sujet. «Il est scandaleux de voir que Netanyahu utilise des vaccins inutilisés pour récompenser ses alliés étrangers alors que de nombreux Palestiniens dans les territoires occupés attendent toujours», a tweeté Sanders. Il n'était pas le seul d'ailleurs à s'exprimer sur la question. Laquelle a trouvé son chemin dans un sketch au programme Saturday Night Live, et aussi dans les couloirs des Nations-Unies où les représentants de l'Autorité palestinienne ont déclaré qu'Israël pourrait faire plus. Israël a clairement indiqué que son rôle était de faciliter le passage des vaccins acquis par l'Autorité palestinienne en Cisjordanie et à Gaza. Mais qu'il appartenait à l'Autorité palestinienne de se procurer les vaccins, que ce soit par voie de donation ou d'achat. Mais derrière le débat d'ordre moral sur la question de savoir si la pandémie oblige Israël à subvenir aux besoins des Palestiniens, a-t-il vraiment une obligation juridique de le faire? Le cœur de ce débat s'articule autour de deux documents juridiques spécifiques, les Accords intérimaires d'Oslo de 1995 signés par Israël et les Palestiniens, et la Quatrième Convention de Genève qui ont établis un ensemble de règles reconnues sur le plan international en temps de guerre et en territoires occupés Ceux qui soutiennent qu'Israël n'a aucune obligation légale s'appuient principalement sur les Accords d'Oslo, soulignant que les dispositions d'un accord signé entre deux parties rendent les Conventions de Genève hors de propos dans ce contexte. Parmi ceux qui partagent ce point de vue, l'ancien conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères Alan Baker, qui est actuellement directeur du programme de droit international au Centre des affaires publiques de Jérusalem. En tant que l'un des rédacteurs des Accords d'Oslo, il attire l'attention sur le passage pertinent, l'annexe III, article 17 relevant de l'accord. L'article stipule que «les pouvoirs et les responsabilités dans le domaine de la santé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza seront transférés à la partie palestinienne, y compris le système d'assurance maladie». Et cela inclut les vaccins, précise le texte. Baker a par ailleurs déclaré au Jerusalem Post qu'il estimait qu'Israël avait «une responsabilité morale et épidémiologique» envers les Palestiniens sur la question des vaccins, «parce qu'ils sont nos voisins et ils viennent travailler ici». Baker ajoute que : « s'ils sont malades, alors nous le sommes aussi. Il est donc dans notre intérêt de les aider ». Cependant il n'y a pas d'obligation légale, a-t-il dit, ajoutant qu'Israël n'était pas obligé de fournir des vaccins à tous les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. Ce qu'Israël est «obligé de faire», c'est « de coopérer, de partager l'information et de faciliter l'acheminement des médicaments, entre autres ». Tout cela, a-t-il poursuivit, est défini par les accords d'Oslo, selon lesquels «les pleins pouvoirs et responsabilités en matière de soins sanitaires et de lutte contre les épidémies dans les territoires sont entre les mains de l'Autorité palestinienne. Cela est écrit noir sur blanc. » Et Baker de préciser que : « dès que nous avons signé les Accords d'Oslo, toutes les dispositions de la Convention de Genève n'étaient plus applicables parce que les Palestiniens aussi bien que les Israéliens ont convenu d'établir un régime spécial qui est défini dans les Accords d'Oslo ». Il a également noté que la Convention de Genève était censée être appliquée dans le cas où un Etat donné occupait le territoire d'un autre Etat existant. De ce fait, Israël soutient que la Convention de Genève ne s'applique pas puisqu'il s'est emparé de la Cisjordanie et que la Jordanie a depuis renoncé à toute revendication sur ce territoire. Une revendication renforcée par le fait que la Jordanie elle-même avait annexé le territoire et que sa brève souveraineté n'a été reconnue que par quelques pays. Mais l'avocat, de gauche, spécialisé dans la défense des droits de l'Homme Michael Sfard n'était pas d'accord. "L'Accord d'Oslo n'est pas pertinent", soutient Sfard, notant qu'il s'agissait d'un accord bilatéral entre deux parties." Cet accord n'a jamais été destiné à signaler la fin de l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, ni à exonérer Israël des responsabilités d'une puissance occupante, explique Sfard. La création de l'Autorité palestinienne sous Oslo ne dispense pas Israël de ses obligations envers les Palestiniens, «elle permet simplement à Israël de mettre en œuvre sa responsabilité à travers l'Autorité palestinienne», a déclaré Sfard. Cela ne veut pas dire non plus qu'Israël doit fournir les mêmes services sanitaires aux Palestiniens qu'aux Israéliens en Israël, le long de la Ligne verte. Mais il doit adhérer à une norme adéquate, qui dans ce cas, serait la fourniture de vaccins COVID-19. Israël ne peut pas non plus faire de discrimination entre les Palestiniens et les colons de Cisjordanie dans ce contexte, a-t-il souligné. Sfard a noté que même le droit interne reconnaissait qu'Israël avait une responsabilité dans ce cas. Il a d'ailleurs évoqué une affaire à la High Court of Justice avant Oslo en 1991 concernant la distribution inéquitable de masques à gaz pendant la guerre du Golfe. A l'époque, Israël avait fourni des masques à gaz aux colons vivant en Cisjordanie, mais pas aux Palestiniens. Et Sfard de rappeler que le tribunal avait décidé que les masques à gaz devaient être distribués aux deux populations. Enfin, a-t-il conclut, l'accord intérimaire de 1995 n'était censé durer que cinq ans, donc «cela ne peut pas être la norme aujourd'hui ».