Nul ne saurait prétendre sérieusement que les Russes ont eu raison d'envahir la Géorgie sous le prétexte mensonger de défendre les "minorités opprimées" d'Ossétie et d'Abkhazie. En revanche, il y a de sérieuses raisons de penser que les Occidentaux (les Américains suivis, nolens volens, par les Européens) ont eu tort, au cours de ces dernières années, de mener des opérations militaires en dehors du cadre de la légalité internationale et au mépris de la souveraineté des peuples et des Etats ; ce fut le cas notamment en ex-Yougoslavie lors des bombardements de 1999 et, bien sûr, lors de l'invasion de l'Irak en 2003. Rétrospectivement, la crise géorgienne jette, en effet, une lumière nouvelle sur les événements politiques internationaux de ces deux dernières décennies. Les Occidentaux (Américains en tête) n'ont-ils pas ouvert la voie à toutes sortes d'aventures politico-militaires dont la crise géorgienne ne constitue, somme toute, que l'un des avatars ? Sous ce jour, le machiavélisme de Vladimir Poutine est à la mesure du machiavélisme de George W. Bush, ni plus ni moins. PI?TRES COM?DIENS Les Russes ont beau jeu d'utiliser une rhétorique du "droit d'ingérence" et de la "protection des minorités" dont les Occidentaux ont plus qu'abusé ces dernières années. Du reste, l'actuel premier ministre (et ex-président) de la Russie avait averti les Occidentaux, en février, que la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo serait "un boomerang qui leur reviendrait dans la gueule". Qui s'en est soucié à l'époque ? Il est savoureux de lire les mêmes éditorialistes qui se réjouissaient alors de l'indépendance nouvellement acquise par le Kosovo et se moquaient comme d'une guigne des droits souverains de la Serbie sur son propre territoire (souveraineté pourtant reconnue par la résolution 1244 de l'ONU...), réclamer aujourd'hui le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de la Géorgie. Vérité au-delà du Caucase, erreur en deçà, aurait dit Pascal... Lequel écrivait aussi : "N'ayant pu faire que le juste fût fort, on a fait en sorte que le fort fût juste." Malheureusement, les puissants du jour ne se donnent presque plus la peine de dissimuler leurs manoeuvres derrière le paravent de la justice, du "droit", de la "liberté" et de la "démocratie" ; ou bien, lorsqu'ils le font, ils se révèlent de piètres et grotesques comédiens. Là encore, George Bush fils a été un précurseur. A cet égard, la crise géorgienne a eu au moins le mérite de faire tomber les masques. Alors que plus personne ne peut douter du fait que la première puissance mondiale a mené, tout particulièrement sous l'actuelle administration, une politique cynique et brutale de défense de ses intérêts stratégiques au mépris des grands équilibres internationaux, il paraît à la fois imbécile et hypocrite de reprocher à une Russie ayant retrouvé le chemin de la puissance de vouloir en faire autant.