« Nous les avons acceptés en Europe et leur avons garanti les conditions d'adhésion, ils doivent respecter le message des lois et réglementations sportives internationales, faute de quoi leur présence en Europe n'aura pas lieu d'être. Je vais peser de tout mon poids pour mettre un terme à la souffrance du joueur palestinien, notamment au football. (…) Israël n'a qu'un seul choix : laisser le sport palestinien se développer ou il doit assumer tout seul les conséquences de son attitude ». Ainsi s'exprimait M. Michel Platini, le président de l'Union européenne des associations de football (UEFA), au sortir d'un entretien avec M. Jibril Rajoub, son homologue de la fédération palestinienne (PFA), le 22 septembre 2010, au siège de l'UEFA, en Suisse. L'ancien footballeur français semblait alors résolu à prendre à bras-le-corps le problème des restrictions sur la liberté de mouvement imposées par les autorités israéliennes aux joueurs palestiniens et celui du blocage par Tel-Aviv des fonds et des équipements sportifs offerts à la Palestine par les donateurs internationaux ou l'UEFA elle-même.
Pourtant, moins de six mois plus tard, le 27 janvier 2011, Israël se voyait confier par le bureau exécutif — dirigé par le même Platini — de l'instance européenne du ballon rond l'organisation de la phase finale du championnat d'Europe des moins de 21 ans (Euro Espoirs 2013), qui verra s'affronter huit pays du 5 au 18 juin. A l'été 2011, une quarantaine de clubs de football palestiniens signaient une déclaration commune pour faire part de leur consternation de voir Israël « récompensé pour son oppression de [leur] peuple, en toute impunité, par le privilège d'accueillir » la compétition, et demandaient à M. Platini de revenir sur sa décision. Ils entendaient lui rappeler qu'Israël, qui « pratique un mélange, unique au monde, d'occupation, de colonisation et d'apartheid dirigé contre la population indigène, c'est-à-dire les Palestiniens », n'est pas « un pays comme les autres ». L'initiative n'a pas permis de faire fléchir M. Platini.
Le 14 juin 2012, ce fut au tour de Jibril Rajoub de manifester son incompréhension dans une lettre ouverte au président de l'UEFA diffusée par les médias et accueillie froidement par l'intéressé. Le patron de la PFA y évoquait notamment le sort du jeune footballeur gazaoui Mahmoud Sarsak, arrêté par l'armée israélienne au cours de l'été 2009, torturé et incarcéré sans procès ni jugement (lire « Mahmoud Sarsak, une jeunesse brisée »), comme beaucoup des milliers de Palestiniens détenus en Israël. Quatre jours plus tard, M. Platini confirmait auprès du président de l'Association israélienne de football (IFA), M. Avraham Luzon, le maintien de l'épreuve dans son pays et se disait certain « que ce sera une belle fête du football, qui, une fois de plus, rassemblera les gens ».
Le 29 novembre 2012, au lendemain du tirage au sort de la phase finale de l'Euro (qui détermine les poules), il rencontrait le chef de l'Etat israélien, M. Shimon Peres, dans sa résidence de Jérusalem. Trois semaines plus tôt — les 8 et 11 novembre, soit quelques jours avant le début de l'opération militaire « Pilier de défense » contre la bande de Gaza (14-21 novembre 2012, plus de 180 morts du côté palestinien, en grande majorité des civils, dont une cinquantaine d'enfants) —, quatre adolescents étaient tués par des bombardements israéliens alors qu'ils jouaient au ballon rond à Gaza, sans que cela ne suscite aucune réaction de sa part. S'il suit l'actualité, M. Platini aura peut-être été interpellé par la récente décision de l'astrophysicien Stephen Hawking — qui provoque des remous en Israël — de ne plus participer à la conférence internationale placée sous l'égide de M. Peres, « Faire face à demain 2013 », organisée à Jérusalem du 18 au 20 juin, alors qu'il avait dans un premier temps accepté l'invitation lancée par le président israélien. Le célèbre scientifique britannique, qui entend par là protester contre la situation des Palestiniens et l'occupation de leurs terres, a également rejoint le boycott universitaire et culturel d'Israël.
Ironie du sort, la compétition se déroulera, entre autres, dans l'enceinte du stade Bloomfield (ex-Basa), qui fut autrefois celui du club palestinien Shabab Al-Arab de Jaffa, expulsé en janvier 1949 au profit du club israélien de l'Hapoël Tel-Aviv, et dans celle du stade Teddy de Jérusalem, situé tout près du village arabe d'Al-Maliha, vidé de ses habitants en juillet 1948 par les troupes israéliennes et presque entièrement rasé. Le stade Teddy est l'antre du club du Beitar Jérusalem, proche du Likoud (droite nationaliste). Ses supporters, ouvertement racistes et violents — deux de leurs slogans favoris sont « Mort aux Arabes » et « Beitar pur pour toujours » —, ont récemment créé la polémique en protestant contre l'arrivée dans l'équipe de deux joueurs tchétchènes de confession musulmane, allant jusqu'à mettre le feu au siège administratif du club, le 8 février dernier — les deux nouvelles recrues du Beitar, qui ne comptait jusqu'alors dans ses rangs que des joueurs juifs, sont systématiquement huées et insultées lorsqu'elles touchent la balle. Pour autant, le cas du Beitar Jérusalem est loin d'être isolé. Le football israélien est fortement touché par le racisme anti-arabe, des « ratonnades » se déroulant même régulièrement en marge des matchs de championnat.
Une coalition européenne d'organisations de défense des droits humains multiplie les actions pour tenter d'attirer l'attention de l'opinion publique et des dirigeants politiques. Elles ont mis sur pied la campagne Carton rouge pour l'apartheid israélien afin d'obtenir l'annulation de l'épreuve, sous peine de « renforce[r] le sentiment d'impunité » prévalant en Israël, et ce malgré les violations répétées des droits humains et les crimes commis par son armée à Gaza et en Cisjordanie, qui lui ôtent « toute légitimité à accueillir des événements sportifs internationaux ». La campagne est adossée au mouvement mondial Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), créé en 2005 sur le modèle de la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud, qui avait notamment abouti à l'exclusion du pays de toute compétition sportive. Elle a reçu le soutien de nombreuses personnalités, dont l'intellectuel américain Noam Chomsky, le musicien britannique Roger Waters (ex-Pink Floyd), l'ancienne star française du ballon rond Eric Cantona, ou encore le cinéaste Ken Loach.
De leur côté, des footballeurs professionnels se sont également mobilisés, sous la houlette de l'attaquant franco-malien Frédéric Kanouté. Celui-ci est à l'origine d'un appel à boycotter l'Euro Espoirs, adressé à l'UEFA le 29 novembre dernier et signé par une soixantaine de joueurs internationaux. Ils y témoignaient notamment de « leur solidarité avec le peuple de Gaza qui vit depuis trop longtemps en état de siège, et dont on refuse les droits humains les plus fondamentaux : la dignité et la liberté. » — certains d'entre eux, parmi lesquels des joueurs de l'équipe de France et l'Ivoirien Didier Drogba, se sont depuis rétractés ou ont démenti faire partie des signataires, à la suite, selon M. Kanouté, de pressions exercées sur eux et sur leurs clubs respectifs.
Rares sont les politiques à s'être saisis de la question, à l'exception notable de Mme Marie-George Buffet. Il y a peu, la députée communiste de Seine-Saint-Denis et ancienne ministre des sports (1997-2002) a adressé un courrier à M. Platini pour dénoncer la tenue du tournoi dans un pays dont les « pratiques » sont « incompatibles avec les valeurs du sport ». A notre connaissance, elle n'a obtenu aucune réponse officielle.
Le 25 janvier dernier, une délégation de militants venus de plusieurs pays (France, Royaume-Uni, Suisse, etc.) se sont rendus au siège de l'UEFA pour réclamer des explications à M. Platini. Ils se sont vus rétorquer que « le sport ne peut se mêler de politique, c'est pourquoi l'UEFA n'envisage pas de prendre des sanctions contre Israël ». Michel Platini feint-il d'ignorer que l'Afrique du Sud, pendant le régime d'apartheid (avec lequel collabora Israël, au mépris des sanctions internationales), fut suspendue de toutes les compétitions de football dès 1964, puis exclue des Jeux olympiques à partir de 1970, et n'a pu les réintégrer qu'après l'abolition du système ségrégationniste ? A l'époque, il est vrai, l'Europe avait pris part au boycott économique, académique et sportif du régime de Pretoria, tandis qu'elle fait preuve aujourd'hui d'une grande complaisance à l'égard d'Israël, dont les liens avec l'Union européenne n'ont cessé de se renforcer ces dernières années, malgré la poursuite de l'occupation militaire et de la colonisation en Palestine.
Emboîtant le pas de l'Union européenne, l'UEFA se serait-elle à son tour rangée au principe du « deux poids, deux mesures » ?