Jeudi 21 mai, au domicile de Fathallah Arsalane, porte-parole d'Al-Adl Wal Ihsane. Trois cadors du cercle politique de la Jamaâ font une annonce de taille : “Si jamais le Cheikh Yassine venait à disparaître, des élections seront organisées pour désigner son successeur”. C'est la première fois que le cercle politique de la Jamaâ évoque aussi ouvertement la question de la mort de son “guide” historique, faisant ainsi sauter un tabou. Et si, dans cet élan “réformateur”, Al Adl Wal Ihsane lançait également le débat sur l'autre tabou, celui de la normalisation de ses relations avec l'Etat ? “Le décès du vieux cheikh, réputé têtu, élargit effectivement le champ des possibles”, avance le politologue Youssef Belal. En quoi le vieux Cheikh représente-t-il un obstacle aux négociations entre l'Etat et l'association islamiste ? Ses positions tranchées (sur la question d'Imarat Al Mouminine notamment), ses visions de Qawma (soulèvement) et son passé d'opposant farouche au régime bloquent toute velléité d'intégration d'Al Adl dans le jeu politique national. Et au soir de sa vie, le cheikh est peu susceptible de réviser ces orientations. Un second PJD ? “Des responsables au sein de l'appareil de l'Etat pensent que la mort de Abdeslam Yassine facilitera la normalisation. Ils estiment que son successeur aura les coudées plus franches pour prendre des décisions”, avance Mohamed Darif, spécialiste des mouvements islamistes. Cela étant, la disparition de Yassine est probablement une condition nécessaire, mais pas suffisante pour permettre la mutation d'Al Adl Wal Ihsane en parti politique. Et pour cause, au sein même de la Jamaâ, plusieurs courants s'affrontent. Youssef Belal en dégage principalement deux. Le courant “participationniste”, qui voit dans l'entrée dans le jeu politique l'évolution naturelle de la Jamaâ. Représenté par de jeunes militants, ils ont cependant du mal à imposer leur point de vue aux “historiques” d'Al Adl. Ces derniers, pour la plupart issus de la génération de Abdeslam Yassine, sont plus portés sur la prédication que sur la négociation politique et refusent le moindre compromis avec l'Etat. Mohamed Darif y ajoute un troisième courant, qui comprendrait des politiques cantonnés dans un attentisme prudent, craignant de voir l'association islamiste imploser après la mort d'un leader charismatique. Un autre élément fait obstacle à l'intégration d'Al Adl : le risque d'une hémorragie de militants si jamais l'association opte pour un scénario similaire à celui du PJD, en scindant le mouvement en deux structures distinctes, le parti d'un côté et l'association de prédication de l'autre. “Ils pouvaient à la rigueur le faire au début du règne de Mohammed VI. Dorénavant, le coût politique est trop élevé”, commente Youssef Belal. Commanderie des croyants Du côté d'Al Adl Wal Ihsane, on balaye d'un revers de la main l'existence de “courants” au sein de l'Association, plaçant plutôt la balle dans le camp des autorités. “Notre association n'est pas contre la participation au jeu politique. C'est l'Etat qui la refuse”, explique Hassan Bennajeh, membre du cercle politique et responsable de la jeunesse adliste. Pour autant, pas question pour la Jamaâ de renoncer à sa “liberté d'expression”. Tout en se muant en parti, Al Adl aimerait pouvoir continuer à débattre notamment de la question de la commanderie des croyants…! “C'est une question qui n'est pas négociable. Toute organisation qui fonctionne en dehors de la légalité constitutionnelle et juridique et nulle et non avenue”, oppose Khalid Naciri, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement. Conclusion : le parti Al Adl Wal Ihsane, ce n'est pas pour demain.