M. Benkirane reconnaît qu'il avait «une fausse idée de la monarchie» et que, aujourd'hui, il y croit. Ses arguments ? Vous insistiez lors de vos récents meetings sur le phénomène de la corruption. Comment peut-on le combattre à votre avis ? La corruption est un fléau présent dans plusieurs secteurs. La meilleure manière de combattre ce phénomène endémique est avant tout de mettre les hommes qu'il faut à la place qu'il faut. Autrement dit, en finir avec le clientélisme favorisant des personnes incompétentes et les plaçant à de grands postes de responsabilité. Comme je l'ai souligné tout récemment, la manière dont le pays est géré dans de nombreux secteurs vifs, reste intenable. Aujourd'hui plus que jamais, nous sommes dans l'obligation de rompre avec les pratiques du passé. C'est, à mon sens, la condition sine qua non pour aller vers un Maroc moderne. D'aucuns avancent que vous avez changé de discours et de ton par rapport à la monarchie. Qu'en pensez-vous ? Les personnes qui avancent de tels propos, ont tort. Je n'ai à aucun moment changer de discours. Abdelilah Benkirane est toujours le même gardant ses convictions et défendant ses principes quel qu'en soit le prix à payer. Je ne dis pas que le Maroc ne souffre pas de problèmes ou de dysfonctionnements. Je dis simplement qu'il faut laisser le temps au temps. Qu'il faut se retrousser les manches et se donner les moyens de combattre toutes les tares qui portent atteinte au parcours démocratique dans lequel s'est engagé le pays depuis une décennie. Certes, lorsque nous étions une association avant de former un parti politique, nous avions une position très critique vis-à-vis de la monarchie. Nous nous sommes rendus compte que nous avions une fausse idée du système monarchique. Partant, nous pensons que le Maroc ne peut évoluer sans monarchie. Et, bien entendu, la monarchie est appelée aujourd'hui à plus d'ouverture et de partage des pouvoirs avec les autres institutions de l'Etat. Le PJD aspire-t-il à la primature ? Premier ministre, cela vous tente ? Gagner les élections et avoir la primature? pourquoi pas. Si tel est le cas, ce qui relève d'une ambition somme toute légitime, nous nous pencherons sur de nombreux dossiers cruciaux. En premier lieu, la justice dont l'indépendance est toujours remise en question. L'éducation fait également partie de nos priorités, d'autant que ce secteur souffre d'un coma très profond. Je pense que c'est à la lumière de la bonne ou mauvaise santé de ces deux secteurs que l'on juge l'état de santé d'un pays. Or, vu l'état guère enviable de notre justice et de notre système éducatif, nous n'avons pas de quoi nous réjouir. On estime que les propositions des partis politiques à la Commission chargée de la révision de la Constitution, manquaient d'audace. Quel est votre avis ? Je ne pense pas que ce soit le cas du PJD. Des propositions audacieuses, nous en avons fait part à la Commission. Je cite, à titre d'exemple, la suppression du Conseil des ministres pour ne garder que le Conseil du gouvernement lequel sera être présidé par le chef du gouvernement. Ce dernier devra impérativement avoir plus de prérogatives et plus de pouvoirs dans l'exercice de sa mission, c'est-à-dire la prise dé décision effective et ne plus se contenter du rôle d' exécution. Dans les démocraties qui se respectent, c'est le Premier ministre qui prend les décisions. S'il faillit à sa mission, le citoyen sait à qui s'adresser et contre qui protester. Nous en faisons notre cheval de bataille. Comment voyez-vous les dernières intervention musclées des forces de contre les manifestants ? Comme je l'ai dit haut et fort, je suis et resterai toujours contre la violence de quelque nature qu'elle soit. Partant, je m'oppose fermement aux interventions musclées des forces de l'ordre, lesquelles n'ont absolument pas le droit de réprimer des marches et des sit-in de protestation. Faut-il rappeler que manifester est un droit garanti par l'ensemble des lois en vigueur à l'échelle internationale. Par ailleurs, je tiens à souligner que toute manifestation doit obéir à certains critères et ne peut être organisée sans autorisation préalable des autorités, comme cela se fait dans tous les pays démocratiques. Aussi, j'estime que certains slogans entendus dans plusieurs marches, nous ont profondément choqués. Ces slogans dépassent les demandes légitimes des citoyens marocains. Je pense que nous devons mener le combat vers la démocratie avec le roi. Sinon, et si chacun continue de dire et faire comme bon lui semble sans se référer à la raison, c'est la pagaille. Ne craignez-vous pas, à la lumière du retour des islamistes non modérés, le retour du tout sécuritaire ? Il faut garantir la liberté d'expression dans le respect des lois en vigueur. Ce serait une grosse erreur si l'approche sécuritaire l'emporte sur les droits fondamentaux – comme cela était le cas après les tristes événements du 16 mai 2003. Il faut certes clamer les droits, plus de liberté, mais il importe que ce soit fait dans le strict respect et dans la retenue. Les dérapages suscitent souvent des mesures disproportionnées, voire l'anarchie. Notre pays n'en a pas besoin. A la veille du référendum sur la nouvelle Constitution, quel est votre sentiment ? Je suis confiant quant au bon déroulement de ce référendum. Les Marocains sont appelés à faire preuve de citoyenneté et démontrer qu'ils sont vraiment soucieux de l'avenir de leur pays. Il faut rompre avec les pratiques du passé et la passivité qui régnaient dans les rangs des citoyens qui se désintéressaient totalement la politique du Maroc, ce qui donnait lieu à des fraudes lors des rendez-vous électoraux et des précédente révisions des textes de la Constitution. En revanche, je reste sceptique par rapport aux prochaines élections législatives. D'autant que les prémisses de pratiques qui faussent le jeu démocratique, sont déjà la. Je crains que le ministère de l'Intérieur et le lobby en place ne détournent la volonté populaire et sapent les efforts consentis pour démocratiser le pays. Nous comptons aller de toutes nos forces et sensibiliser les citoyens pour barrer la route aux fraudeurs et autres marchands de voix. Propos recueillis par Mohcine Lourhzal Le franc-parleur Abdelilah Benkirane est sur tous les fronts. L'histoire commence avec un refus quasi-historique. La semaine précédant le 20 février, les partis bruissent de doutes, une certaine panique se propage sur les états-majors des partis politiques. Le secrétaire général du PJD, lui, est catégorique : «Les doléances des jeunes marocains sont légitimes mais on ne peut pas descendre dans la rue alors que l'on ignore l'idéologie et les visées des mouvements qui ont choisi de protester (…) des membres de la jeunesse et du Secrétariat général du parti ont estimé bon de descendre dans les rues, cela constitue une preuve tangible que notre parti consacre la démocratie en son sein». Entre les formations politiques, la bataille est à couteaux tirés. En ce sens, le PJD estime que le PAM n'a plus lieu d'être et devrait se retirer de la vie politique et présenter des excuses solennelles au peuple marocain. A la veille du prochain rendez-vous électoral et avant cela le référendum, Abdelilah Benkirane estime que si le ministère de l'Intérieur campe sur ses positions et s'immisce, comme à l'accoutumée dans la vie des partis politiques, les conséquences ne peuvent être que négatives et déplorables.