Le rapport de la Cour des Comptes dresse le portrait d'un PDG frappé par la folie des grandeurs. Ce qui se murmurait dans les salons d'affaires de Casablanca et de Rabat est donc écrit noir sur blanc. Le rapport de la Cour des comptes rendu public la semaine dernière décrit par le menu-détail les années Khalid Alioua à la tête du CIH. Militant socialiste de la première heure, super-ministre du gouvernement d'alternance conduit par Abderrahman Youssoufi, l'ex-PDG aura tout fait : dépenses somptueuses aux frais de la princesse, cessions douteuses de biens immobiliers à son profit ou celui de ses amis, crédits de rénovation hôtelière octroyés de façon opaque et sans résultats, avantages pour les amis et la famille, soirées bien arrosées et soins SPA dans les meilleures hôtels appartenant au CIH, une gouvernance autocratique au mépris du règlement intérieur de la banque et des règles de bon sens manageriel….C'est un catalogue à la Prévert que dresse la Cour des comptes qui donne froid au dos. Après les «délires» d'Abdelhanine Benallou, ex-DG de l'ONDA, Khalid Alioua donne à l'abus des biens sociaux et au vol sophistiqué une autre dimension. Nous marchons sur du velours : M. le Président n'est pas n'importe qui. La folie des grandeurs dans toute sa splendeur et la confusion entre sa propre «caisse» et celle du CIH. Pour cela, l'ex- porte-parole du gouvernement Youssoufi a mis en place une méthode, installé des hommes-clés à l'intérieur et à l'extérieur de la banque, dans les hôtels… sans trop se soucier de se couvrir outre-mesure. Signe d'une confiance en soi démesurée. La «firme» est composée de plusieurs cols blancs dont certains sont mentionnés dans le rapport de la Cour des comptes comme M. Z (ex-DG de la chaine Salam), M.L (ex-Directeur technique la chaine Salam), M.D, (Conseiller juridique), A.O (DAF du Lido), Y.Alioua (Directeur de la qualité)… tandis que d'autres noms attendent d'être révélés au grand jour à la barre du Tribunal. Car Alioua devra tôt ou tard être jugé, esprit-20 février oblige. Va-t-il balancer des noms ? La question n'est pour l'heure pas à l'ordre du jour. Mais elle ne saura tarder. M. le Président… Revenons donc aux années fastes d'Alioua, nommé au chevet d'une banque déjà malade. Auréolé de son statut d'ex-ministre, le nouveau PDG prend rapidement ses aises. De 2003 à 2009, Alioua le socialiste, ignore son Conseil d'administration, règne et gouverne au sein du CIH comme il l'entend. La banque est désormais sous sa coupe et celle de son entourage familial et amical. Les intérêts du CIH passent au second plan. Dans ce contexte, le nouveau Président aligne un train de vie digne d'un chef d'Etat africain. Bien qu'il bénéficie d'une indemnité de déplacements fixé à 28 000 DH/mois, le Président ne s'empêche pas de se faire rembourser au moindre centime ses frais d'essence et ses tickets d'autoroute. Non satisfait de se servir, Khalid Alioua fait profiter les membres de sa famille d'«avantages importants». «Les ressources, produits et équipements des hôtels sont souvent mis au service de l'ex-président du CIH, de ses invités, ou de membres de sa famille», lit-on dans le rapport de la Cour des Comptes. Le rapport note ainsi que M. Alioua et des membres de sa famille logeaient en permanence dans des suites, et ne réglaient pas leurs dépenses personnelles prises en charge par les hôtels. Mais le meilleur est ailleurs : rapidement, le Président se rend compte que la banque qu'il dirige dispose d'un formidable patrimoine immobilier et hôtelier. Commence alors une véritable opération de transfert de bijoux de la banque dans le giron personnel, familial et amical. Le Président a du goût, c'est évident. Il s'adjuge lui-même deux appartements mitoyens situées dans une des artères art-déco de Casablanca d'une superficie totale de 493 m2 à 1,7 million de dirhams, soit 3500 DH/m2 tandis que la moyenne dans le secteur à l'époque est de 20 000 DH/m2 ! Selon le rapport de la Cour des comptes, cette cession ayant eu lieu en 2006 s'est faite sans l'approbation préalable du Conseil d'administration. Pis encore, les frais d'aménagement de ces deux appartements d'un montant de 1,9 million de DH ont été supportés au préalable par la banque… en prévision de la cession projetée. Ces travaux de rénovation se sont poursuivis même après la conclusion de la cession. D'autres cessions vont se poursuivre pour le compte d'un ensemble de bénéficiaires. Le Président cède des biens d'une grande valeur immobilière à des prix frisant le ridicule au mépris des prix du marché et des intérêts de la banque. Il transige tout seul, vend et conclut sans consulter quiconque : à Rabat, au quartier Agdal, un appartement de 157 m2 est cédé à 863 000 DH alors que le mètre carré dans le quartier pointait déjà à 15 000 DH. A Kénitra, un complexe de 4 étages, comprenant 58 boutiques et 88 appartements, situé dans l'artère principale Mohammed V est cédé à ...23,2 MDH alors que sa valeur est au bas mot à 38 MDH. A Marrakech, dans le quartier chic de Guéliz, Alioua cède un immeuble de 5 étages non achevé au niveau de sa construction à 14 MDH alors que la banque elle-même a acquis le même immeuble à 25 MDH en 2002 ! Les opérations se suivent et se ressemblent… à Fès, Casablanca… A chaque transaction, la décote est impressionnante. Les juges de la Cour des comptes ont le tournis. Ils poussent leurs investigations jusqu'au bout pour pister les acquéreurs. Résultat : c'est Khalid Alioua himself ! Qui dit mieux ? Le Lido, mon amour Mais le Président a d'autres talents dans son arc. Après avoir fait son marché dans le parc immobilier de la banque, il se tourne vers le patrimoine hôtelier. Et là, le CIH, banque malade certes, dispose de quelques bijoux, dont certains acquis après la faillite de leurs propriétaires. Il s'agit en particulier des hôtels de la chaine Salam : Tafilaltet et Tichka à Marrakech, Le Lido à Casablanca et Tichka Ouarzazate. Créancier de ces hôtels, le CIH est entré dans le capital en swappant ses crédits en actions, devenant ainsi un malheureux propriétaire. Le CIH actionnaire devait désormais rembourser de l'argent au CIH banque. Un montage ingénieux sorti de la tête du Président qui n'a fait qu'aggraver encore plus les comptes de l'établissement d'autant que dans le cadre des reprises capitalistiques, le CIH banque va hériter de lourds contentieux fiscaux. La banque raclera les fonds des tiroirs pour régler les arriérés de ses hôtels. Les hôtels de la chaîne Salam sont visiblement maudits. C'est un gouffre financier. La banque a avancé près de 569 MDH sans voir la couleur de ses sous. Malgré cette hémorragie financière, Alioua décide de lancer un programme de rénovation des hôtels de la chaîne Salam. Une première enveloppe est e de 45 MDH dont 30 MDH iront directement à l'hôtel Riad Salam et Le Lido à Casablanca, sachant que les deux unités avaient bénéficié juste avant d'un prêt de rénovation d'un total de 50 MDH. Alioua n'en a cure et fait de la rénovation du Lido de Casablanca une affaire personnelle. Le prêt est accordé dans des conditions obscures, fait remarquer la Cour des comptes. Alioua a de la suite dans les idées. La folie des grandeurs le reprend. Il engage des travaux supplémentaires, accorde de nouveaux crédits. Le mobilier est importé curieusement d'Egypte pour un montant de 16 MDH. Ce mobilier s'évaporera avant même d'avoir quitté «Maydane Attahrir». La rénovation du Lido est une catastrophe au plein sens du terme. Le chantier n'a jamais été terminé comme en atteste les photos (cf.ci-contre). Par ailleurs, bien qu'en situation de quasi-cessation de paiement, des prêts importants sont consentis en 2009 au Lido. Le rapport de la Cour des comptes évoque un montant total de 99 millions DH, en plus des avances en compte courant pour un total de 50 millions DH. Et de souligner que Le Lido n'a pas remboursé les échéances sur les crédits qui lui ont été accordés par le CIH. «Au 31 octobre 2009, ces prêts présentent des impayés pour un montant de 11 435 202 DH», relève le rapport. Pour l'hôtel Riad Salam, la rénovation suscite également plusieurs interrogations. Estimé au départ à 30 millions de DH, le montant de cette opération a plus que doublé pour atteindre les 68 millions. Le rapport de la Cour des Comptes a été transmis au Procureur du Roi. Pas de doute : Khalid Alioua risque gros. Surtout dans le contexte actuel où des voix tonnent réclamant la fin de l'impunité. Dans sa chute, M. Alioua pourrait traîner avec lui bien des personnes à l'intérieur et à l'extérieur du CIH. Contacté par Le Temps, l'ex-PDG est resté injoignable. Un silence qui veut tout dire. A suivre… Abdelkader El-Aine Benallou, la star déchue Depuis son limogeage de la direction de l'ONDA (Office national des aéroports) et son remplacement par Dalil Guendouz, le ciel s'est effondré sur les épaules de Abdelhanine Benallou. Ce polytechnicien, jadis chouchouté par la presse, est devenu une tête de turc. Pourtant, l'histoire eut un commencement idyllique. Entre l'achèvement du Terminal 2 et les percées accomplies dans le domaine de l'Open Sky, Benallou s'était enveloppé d'une aura de winner. Cependant, le conte de fées qui dura de 2003 à 2008, s'effondre soudainement à la suite de la publication d'un rapport d'audit de la Cour des comptes. Que dit ce rapport ? Ni plus ni moins qu'une série exhaustive d'agissements douteux : conclusions de marchés publics sur le mode de l'entente directe, dépenses personnelles hypertrophiées, construction d'une deuxième piste d'atterrissage non-conforme au coût de 150 millions de dirhams, achat de modules informatiques pour la gestion des ressources humaines inaptes à l'exploitation, investissements inappropriés dans des solutions de sécurité réseaux très peu utilisées, bons de commandes adressés à un nombre limité de fournisseurs, octroi irrégulier de primes de performances par voie de favoritisme. Un véritable scandale qui en dit tout sur l'ère d'un caïd féodal qui au lieu de servir, se servait. Lamentable ! Le Hit parade des couacs CNSS La Caisse nationale de sécurité sociale rappelle l'affaire CIH dans sa défaillance dans le recouvrement des créances. Une gestion chaotique a été observée notamment dans le placement des réserves légales. La Caisse les place en effet à la CDG mais également dans des fonds communs de placement, dépôts à terme et comptes à vue bancaires, ce qui enfreint la loi, vu que tous les fonds sauf ceux nécessaires au fonctionnement, doivent être déposés à la CDG. D'ailleurs, la demande de M. Mezouar à la CNSS de remettre à la CDG 8 MdDH est restée lettre morte. Soread-2M Le rapport de la Cour des comptes met en cause Mustapha Benali, ex-DG de 2M, depuis la publication du rapport 2009 de la Cour des Comptes. Le gouffre énorme dans la trésorerie de la deuxième chaîne qui date de plus d'une dizaine d'années est dû, selon les magistrats de la Cour, prioritairement à la mauvaise gestion de M. Benali. Les charges d'exploitation ont été un vrai fardeau dans le bilan de la société, alors que les recettes publicitaires ont quasiment doublé entre 2003 et 2007. A titre d'exemple, les trois émissions Studio 2M, Challengers et Lamassate dégagent à elles trois un déficit de 10 MDH. Le fameux studio 1 200 devait coûter à la chaîne 35 MDH, on a dû y ajouter la bagatelle de 45 MDH. CRI de Casablanca L'équipe de Ahmed El Midaoui reproche au CRI de recourir au marché négocié sans opter pour les appels d'offres. Le meilleur exemple est celui de l'achat d'un logiciel à une société privée ou les études prospectives. Egalement dans le pipe, certaines manœuvres non transparentes dans la délégation de la publication de la revue «Casa Invest» à la société AB Médias. Cette dernière n'aurait pas payé 35% des recettes publicitaires au CRI. Pire, la tutelle n'a même pas été informée quant à cette prestation. ANRT L'Agence de régulation des télécommunications est pointée du doigt pour son laxisme. Rien n'a vraiment été fait pour revoir le système de facturation des trois opérateurs afin de réduire les tarifs de communications. L'agence manque cruellement de compétences humaines quand il s'agit de suivi et de contrôle, qui sont l'essence même de son existence. Cependant, une volonté de changer cette situation a été observée récemment par la mise en place d'une nouvelle note d'orientation. Sodep La société a remporté un marché en 2007 relatif à la concession du terminal à conteneurs du port Tanger Med 2, dans le cadre d'un consortium avec une société marocaine et un leader international de la manutention des conteneurs. Durant la crise, les deux partenaires se désistent du marché laissant la Sodep cavalière seule pour l'aboutissement du projet. Eu égard aux compétences limitées de la société, la Cour des comptes émet des réserves quant à l'aptitude de la Sodep à mener à bien ce chantier. Les griefs retenus contre M. Alioua Dysfonctionnements • La Banque dispose d'un patrimoine hôtelier important souvent acquis à la barre des tribunaux dans l'objectif de lui permettre de récupérer une partie de ses créances sur ses clients. Toutefois, il a été constaté que le CIH a préféré non seulement conserver les hôtels et en assurer lui-même la gestion, mais il y a en plus injecté des montants importants notamment des crédits de rénovation et des avances sur comptes courants associés. Outre les anomalies liées à l'utilisation de ces fonds, cette situation a fortement augmenté les engagements de la Banque envers ces hôtels (essentiellement les hôtels acquis auprès de l'ex chaîne Salam) qui sont devenus une source de pertes pour le CIH. Transactions non conformes • L'affaire R : le Conseil d'administration du 30 mai 2005 a marqué son accord pour un règlement transactionnel pour un montant de 60 millions DH payables immédiatement. Or, le protocole d'accord du 3 décembre 2005 a prévu un règlement cash de seulement 25 millions DH au titre de la créance du CIH tandis que le reliquat, soit 35 millions DH, a été rééchelonné sur une année à raison de 8.750.000 DH/trimestre. • L'affaire AP : le Conseil d'administration du 21 septembre 2006 a été informé par l'ex-directeur général adjoint chargé du pôle affaires générales de l'état d'avancement du règlement amiable et qu'un protocole d'accord a déjà été mis en place qui consiste à ce que le débiteur paie 165 millions DH dans l'immédiat et que le reliquat est consolidé sur une durée de 10 ans à un taux d'intérêt de 8%. Or, l'examen du protocole d'accord conclu avec le débiteur a montré un cantonnement de la créance de 607.152.923 DH (arrêtée au 17 janvier 2006) à seulement 250 millions DH alors qu'aucune décision, dans ce sens, n'a été prise par le Conseil d'administration. Décisions unilatérales La Cour des comptes a constaté un fonctionnement inadéquat du directoire et des désaccords fréquents sur les décisions qui ont, parfois, atteint le niveau de conflit et de blocage. L'ex président du directoire prenait souvent des décisions sans recourir aux autres membres ou sans les informer tous et ce contrairement à l'esprit des règles prescrites par le règlement intérieur. C'est le cas par exemple : • Des décisions de réorganisation de la Banque (note de service du 18 mai 2007 portant organisation des comités et délégation de pouvoirs, note d'organisation du 30 mai 2007). • Des décisions unilatérales prises par l'ex président du directoire pour l'assainissement de certaines créances (affaire Y dont l'encours était de 53,9 millions DH au 2 juillet 2008) et de l'octroi d'autorisations de dépassements importants sur comptes courants accordés à certains groupes opérant dans le secteur immobilier (société JS –compte débiteur de 33 millions DH au 8 janvier 2009-, société S3 – autorisation de dépassement de 85 millions DH le 23 octobre 2008). Opacité Les prix de cession ne reflètent, dans la plupart des cas, ni le standing des biens, ni la réalité des prix du marché lors de la vente. Plusieurs cessions ont été faites à des prix anormalement bas dont à titre d'exemples, les suivantes : • L'appartement L (157 m2) situé au haut Agdal à Rabat a été cédé en novembre 2005 après accord de l'ex. PDG du CIH moyennant le prix de 863.500 DH soit 5.500 DH/m2 alors que le prix du marché reste largement supérieur puisqu'il dépassait 15.000 DH/m2 lors de la période de cession. • Il convient de signaler que ce n'est qu'à la veille du départ de l'ex. président, que le Conseil de surveillance du CIH tenu le 24 avril 2009 a délibéré sur la cession du gage «la fraternité» et a estimé que ladite cession «ne doit pas être considérée comme convention courante dans la mesure où elle ne relève pas de l'activité principale de la société telle que cette activité est règlementée par la loi bancaire et la législation sur le crédit foncier». Au cours de cette même séance, il a été décidé de réajuster le prix de vente à 3.888.000 DH et de la soumettre à l'approbation de l'assemblée générale du CIH. Lors de sa réunion en date du 28 mai 2009, l'assemblée générale a donné son accord. Malgré cela, cette différence entre le prix de cession initial et le prix décidé de 3.888.000 DH ne sera remboursée à la Banque qu'environ une année plus tard à l'occasion du déblocage de la prime de départ de l'ex. président par le CIH. A signaler également que, seront imputés sur cette prime d'un montant de 7.133.119 DH, les frais d'aménagement sus mentionnés soit un montant de 1.972.000 DH. (Source : Rapport de la Cour des comptes 2009)