Abderrahman Youssoufi, le premier secrétaire de l'USFP s'est retiré de la vie politique. La décision aurait été ordinaire si la donne et l'homme l'étaient également. Les circonstances et la teneur de la lettre de démission ont repositionné - par défaut - Youssoufi dans une équation à multiples variables : une question parmi tant d'autres : qui de l'Etat ou du parti en était le destinataire ? Abdelouahed Radi, membre influent du bureau politique de l'USFP n'a pas réussi ; une semaine durant à infléchir la décision de Youssoufi. Droit dans ses bottes ce dernier était intraitable sur sa démission ; voire son retrait de la vie politique, du parti et de toutes les responsabilités inhérentes. Au cours de la dernière rencontre entre les deux responsables, Youssoufi a été catégorique : “ils veulent ma peau”. Sans plus de précision. Son interlocuteur a cependant reçu le message : l'allusion ratissait large ; de l'Agdal où se trouve le siège du parti au couloir de la Primature. Au lendemain des élections communales, l'USFP s'est trouvée dans une situation paradoxale ; d'une part vu le nombre de sièges et de voix, elle est classée deuxième force. D'autre part, sa position au sein des bureaux communaux et autres mairies ne reflétait pas le rang qui était le sien. Pire encore, le parti de Abderrahim Bouabid n'a eu qu'un seul siège à la deuxième Chambre lors du renouvellement du tiers sortant. Une position contradictoire qui a évidemment donné lieu à des analyses aussi contradictoires dont le point d'orgue a été sans doute aucun les péripéties, désormais très connues qui ont entouré la bataille de la mairie de Casablanca intimement liée au nom de Khalid Alioua, pro-Youssoufi. Les commentaires et autres détails ; somme toute inédits dans l'histoire du parti ont été à l'origine d'une situation, elle même inédite au sein de la direction. Le hiatus entre le chef du parti et Khalid Alioua, d'une part et les autres membres du B.P d'autre part allait crescendo. Résultat : on est dans le même navire mais à chacun sa boussole. Certains responsables du parti socialiste n'ont pas trouvé de mal à chercher une alliance avec le maire UC récemment élu, en l'occurrence Mohamed Sajid. Or, selon d'autres, Youssoufi y compris la direction, n'avaient pas tranché à ce propos. Beaucoup d'encre Il aura fallu toute l'aura du chef pour dissuader les participationnistes. Pas tous ; puisque Youssoufi avait brandi la carte d'exclure quiconque parmi les conseillers qui s'aventurerait à court-circuiter le parti. Les choses n'en sont pas restées là. La presse du parti, notamment Al Ittihad Al Ichtiraki, est entrée en ligne. Du jamais vu : l'organe officiel de l'USFP a pris à parti certains membres de la direction. Dans son édition du 28 septembre dernier le quotidien dont le directeur n'était autre que Youssoufi lui-même et dont le directeur de rédaction est Alioua a écrit noir sur blanc : “ les élus du parti à Casablanca se sont retirés de la séance d'élection du maire”, on y ajoute : les socialistes à Casablanca ont déjoué un complot qui visait ,et leur parti et la ville elle- même”.Dans ce même ordre d'idées l'article qui a fait couler beaucoup d'encre a fustigé “l'alliance douteuse et les tentatives abjectes qui ont essayé de faire croire au militant que le Bureau politique a décidé de cette alliance avec l'UC et le maire imposé”. Pour plus de précision, le journal qualifie “la manœuvre” de piège effroyable tendu aux militants. Apparemment vague ; l'allusion est on ne peut plus acerbe ; elle le sera encore plus quand on saura que lesdites tentatives de nouer contact avec le maire Sajid a été initié par des membres très influents au sein de la direction du parti : pour ce leader du parti : “ le pire est que l'un d'eux n'est autre que Radi lui-même ”. Le président du parlement aurait été contacté par Sajid “ afin de trouver un terrain d'entente : par la suite ; Radi a soumis la proposition au BP. La suite, on le devine a été très tumultueuse : outragé, Radi a fait part de son indignation au premier secrétaire du parti. L'homme des équilibres a pris parti; il en a convaincu d'autres tels Oualalou et Malki connus pourtant pour leur sympathie inestimable pour le chef du parti. Bref, il s'ensuit un blocage et des conditions : Alioua doit geler son activité au sein de la direction et bien évidemment la direction du journal sera confiée à un autre. Youssoufi en a apparemment tiré la conclusion qui s'impose. En fait ces clauses sine qua non ne sont qu'une manière très policée pour demander son départ. Loi du Talion L'accusation à peine voilée ; parue sur la Une de l'Ittihad Weekly de la dernière semaine de septembre n'est pas le seul grief de l'USFP ; au nom de Youssoufi et Alioua contre une partie de l'exécutif. L'édition précitée a effectivement fait allusion à l'intervention de Fouad Ali Al Himma en faveur de Sajid. Mais, Driss Jettou, le Premier ministre n'a pas été en reste. L'édito du 28 septembre dernier, intitulé : “la défaite du gouvernement à Casablanca” n‘a pas lésiné sur les mots : “la défaite de la démocratie à Casablanca, y lit-on, a aussi été celle du gouvernement Jettou, le chef de la majorité. En effet, le principe de la majorité qui a présidé lors de sa constitution n'a plus droit de cité : le gouvernement censé établir des programmes au profit de tout le pays a été incapable de trouver des prolongements sur le terrain de tous les jours. Soyons clairs : ce gouvernement a perdu sa raison d'être. Ou encore :la défaite de l'exécutif est survenue suite au coup de force contre le gouvernement de Jettou qui participe d'un devenir global ; l'avènement de la transition démocratique en l'occurrence”. Le lien établi entre la constitution des bureaux communaux et la transition est très éloquent , il remet en cause la continuité de ladite transition . d'ailleurs l'édito a été très clair là-dessus : “ la relation avec ce qui vient de se passer exige désormais une réponse. L'opinion publique, les forces politiques et les observateurs sont dans l'attente d'une explication politique de la part de Driss Jettou. En clair : ce qui vient de se passer est un acte politique qui demande une réponse politique que seul le coordinateur de la coalition est à même de donner”. Le 29 septembre, l'organe du parti s'est posé la question sur le processus électoral et la position du gouvernement. Tout le monde a compris que les discussions sur les élections des bureaux des conseils communaux au sein du gouvernement peuvent avoir lieu sans qu'il y ait de certitude. “Et l'absence de prise de position claire, traduisant la volonté populaire, est en soi un signe de faiblesse qui laisse toutes les questions ouvertes à l'avenir. D'autant plus que le dossier est sur la place publique et va le rester le temps qu'apparaisse la possibilité de corriger le tort que certains ont engendré.” Cette vision catastrophique n'a pas été du goût de l'ensemble des membres du bureau politique qui, dans un communiqué, a relevé certaines irrégularités ayant entaché le processus électoral sans le remettre en cause dans son intégralité. Qu'on le veuille ou non, cette situation a révélé l'existence de divergence quant à l'attitude à prendre vis-à-vis du gouvernement Jettou. C'était clair quand Me Youssoufi a fait sa fameuse déclaration à Bruxelles, et la deuxième à travers l'organe Al Ittihad Al Ichtiraki à propos de l'après 12 septembre. Ces divergences ont été aussi visibles depuis la nomination de Driss Jettou et ont été accentuées après le 16 mai. Là on a senti le fossé séparant les deux clans sur la position par rapport aux Islamistes. Tout cela converge vers un seul point nodal si l'on ose dire, à savoir le problème de la transition démocratique et des réformes politiques. La question qui se posait alors pour l'USFP est de savoir s'il y a possibilité de poursuivre la participation dans la gestion des affaires publiques ou retourner à l'opposition. Et quelle que soit la réponse, Me Youssoufi s'est trouvé devant un seul choix, celui du retrait puisqu'il a des divergences à la fois avec l'Etat et avec le parti, son propre parti. Abderrahman Youssoufi a choisi le jour anniversaire de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka. La symbolique est forte et tous les initiés ont vite fait le rapprochement, se basant sur la rapport de Ben Barka de 1965 où il avait énuméré les trois erreurs fatales que le parti avait commises. Mais loin de la symbolique, un fait est à relever. La démission de Me Youssoufi nous rappelle sa première décision analogue prise en 1993. Le contexte a certes changé. Et en 1993, Youssoufi a écrit en termes précis une courte lettre de démission dans laquelle il soulignait que son acte intervenait en guise de protestation contre la manipulation du scrutin électoral, tout en laissant aux membres du bureau politique d'en faire l'interprétation qui leur sied. Cette fois-ci, il a été aussi concis sauf qu'il a pris le soin de rendre sa lettre publique au moment même où le bureau politique en prenait connaissance. “Après la fin du processus électoral, j'ai décidé de me retirer de l'activité politique et considère de ce fait n'avoir plus aucun rapport avec le parti ”. La direction a pris acte et les tentatives de Abdelouahed Radi de faire revenir Me Youssoufi sur sa décision ont été vaines… Et pour éviter tout quiproquo, le bureau politique a dans son communiqué du 30 octobre souligné que la démission de Me Youssoufi intervient après les élections communales dans lesquelles le parti a réalisé de bons résultats, soulignant avec fierté que Abderrahman Youssoufi a assumé pleinement son rôle à la tête du parti avec tous les sacrifices que cela suppose…Cette évaluation positive des résultats de l'USFP dans le processus électoral est liée aux efforts consentis par Me Youssoufi. Le même constat est fait lorsqu'il s'agit d'évaluer dans sa globalité l'alternance, considérant que ce qu'a entrepris Me Youssoufi s'inscrit dans la continuité du plan d'action mis en place par feu Abderrahim Bouabid. Le communiqué, faut-il le dire, n'a pas tari d'éloges sur l'ex-premier secrétaire “qui a mené de main de maître le gouvernement d'alternance et donné une image nouvelle du Maroc. Un pays où renaît l'espoir de bâtir une véritable démocratie…” Ce qui est à relever, c'est que le communiqué insiste sur l'approbation unanime de la démission. Et d'ajouter que la direction du parti poursuivra la réalisation des programmes avec un esprit de collégialité et d'unité…Ce qui est clair, c'est que l'aspect de l'union et de la collégialité que le bureau politique évoque dans son communiqué est un message multiple, surtout que les approches des uns et des autres ont été différentes depuis 1989 lors du V ème congrès, puis ce que le parti a connu avec Noubir Amaoui ou Mohamed Sassi et la jeunesse du parti. Des approches divergentes qui ont atteint leur apothéose lors du VI ème congrès en mars 2001. La démission est en fait le premier test majeur que la direction du parti issue du VI ème congrès a eu à affronter. Elle renvoie sur l'après cycle politique que Me Youssoufi a mené depuis 1996 avec le vote positif sur les réformes constitutionnelles qui ont ouvert la voie à l'USFP pour accéder à la Primature… Des questions restent posées et sûrement on va vivre une période d'instabilité à l'intérieur du parti. Une période qui peut durer quelques semaines, sinon plus. Et l'insistance sur la collégialité est un message adressé à la fois aux membres du parti, mais aussi à l'ensemble de l'opinion publique. Une manière de tranquilliser les uns et rassurer les autres. Que nous réserve l'avenir ? Là est la grande question.