Le retrait de Abderrahman Youssoufi de la scène politique pourrait inciter les socialistes marocains à réviser leurs manières de régler leurs différents. Est-ce négociable ? Et, comment ? En dépit du fait qu'elle était prévisible, la démission du Premier secrétaire de l'Union socialiste des forces populaires, Abderrahman Youssoufi, a suscité de nombreuses réactions au sein de la classe politique marocaine en général, ainsi qu'à l'intérieur de son parti. Un geste civique et civilisé, disait un membre du Bureau politique, considéré comme neutre et ne faisant partie d'aucune tendance. Car, pour la première fois dans l'histoire politique-partisane, un dirigeant d'un parti estime qu'il est temps pour lui de se retirer de la vie politique, alors que d'habitude, l'on abandonne les postes de direction par la petite fenêtre, à l'occasion d'une scission (cas de Mahjoubi Aherdane, dans les années quatre-vingt), ou à l'occasion d'un congrès comme l'a fait M'hammed Boucetta au sein de l'Istiqlal. Mais, pour M. Youssoufi, il s'agit d'une démission qui survient à la fin d'un processus électoral, et dans le sens de mettre un terme à une mésentente qui n'a que trop duré. Un événement prévisible si l'on tienne compte de certains propos qui n'avaient pas de significations palpables au moment de leur annonce, mais qui se sont élucidés par la suite. Car, lors des funérailles du résistant Mohamed Fkih Basri, le premier secrétaire de l'USFP avait laissé entendre que « ce décès aura des effets », mais sans dire lesquelles ni préciser leurs contenus. Après cette phase, une rumeur persistante circulait annonçant la démission de M. Youssoufi, mais celle-ci s'est avérée sans fondement. Pourtant, ce ne sont pas les problèmes qui manquaient. En effet, juste après le discours royal à l'ouverture de la législature actuelle, un communiqué du Bureau politique, qui rendait hommage aux décisions royales, notamment en ce qui concerne le projet du Code de la famille, a été rédigé et publié en l'absence du Premier secrétaire du parti. Dans le même moment, des sources fiables annonçaient que pas moins de quatorze membres du Bureau politique demandaient la tenue d'une réunion, dont l'un de ses points essentiels n'était autre que la question de la gestion de l'organe de presse arabophone du parti. Le décès de Mohamed Basri a retardé, pour un laps de temps, ce débat, mais pas pour longtemps. La semaine dernière, en effet, des contacts auraient été tenus avec des membres du Bureau politique qui n'ont pas mené au dénouement de la situation. Enfin, un dernier pas. Le 27 octobre, M. Youssoufi a adressé une lettre aux membres du Bureau politique leur annonçant son retrait définitif de la scène politique, et à sa manière, il a tenu à la publier à la Une du journal, et ce en l'absence de Khalid Alioua, directeur de la rédaction du journal concerné. Sur ce , la direction du parti devait se réunir sous la présidence du Premier secrétaire adjoint, Mohamed Elyazghi, et à l'unanimité, il a été décidé de respecter la volonté de M. Youssoufi. Une décision qui montre bien que ce parti est déterminé à tourner une page de son histoire. Selon des membres du Bureau politique, la prochaine étape sera celle du respect strict des dispositions du règlement intérieur du parti. Les hommes passent, mais le parti doit continuer à vivre. Dans un communiqué publié à l'issue de cette réunion du mardi, le Bureau politique a exprimé sa «ferme conviction» que M. Youssoufi a pris cette décision « après mûre réflexion et profonde analyse », « se félicite des actions inlassables entreprises par cette personnalité nationaliste hors pair-depuis plus de 60 ans » et exprime sa profonde gratitude à ce fervent militant qui a marqué le parcours de l'USFP et le processus de transition démocratique au Maroc. En revanche, en ce qui concerne l'avenir, une commission tripartite s'est constituée pour rendre hommage au premier secrétaire sortant. Pour ce qui est de la gestion de ses affaires, et conformément au règlement intérieur du parti dotant le Bureau politique de la possibilité d'élire parmi ses membres, un premier secrétaire, il a été décidé d'attendre la tenue d'une réunion à laquelle assisteront tous les membres du BP restant, pour trancher à la fois dans la question du nouveau Premier secrétaire et surtout au sujet de la nouvelle répartition des tâches. « Le bureau politique souligne, à cet effet, qu'il assumera toutes les responsabilités politiques et sur le plan organisationnel au sein du parti et qu'il poursuivra l'édification et la gestion de ses structures avec un esprit élevé de militantisme, ajoutant qu'il prendra dans les prochains jours toutes les mesures à même de garantir la continuité du parti en tant que force politique nationale capable de gagner les paris de l'avenir ». Un avenir qui se doit d'être différent du passé, au moins dans certains fronts d'action comme c'est le cas pour la presse du parti, le rapport des élus aux instances dirigeantes, ainsi que des membres de ces instances entre eux, et la mise à niveau des structures de gestion organisationnelle. Le départ de M. Youssoufi pourra constituer un motif supplémentaire pour dépersonnaliser l'action des socialistes, mais ne signifie nullement que les problèmes dans lesquels se débat cette formation partisane seront réglés du jour au lendemain. Un long chemin reste à faire durant ces quatre années qui nous séparent des prochaines échéances électorales.