L'Union socialiste des forces populaires bute sur l'élection du successeur de Abderrahmane Youssoufi à la tête du parti. Deux candidats sont en lice. Entre Mohamed Elyazghi et Abdelouahed Radi, la bataille fait rage. Tout un chacun savait que le retrait de Abderrahmane Youssoufi de la scène politique allait susciter des remous, des réactions, voire des secousses de haute intensité. L'homme, le politique, le militant et le résistant, a assez marqué l'histoire du Maroc pour se forger une personnalité d'homme d'Etat attitré. Youssoufi a passé, avec brio, l'examen d'une double transition politique dans une conjoncture nationale extrêmement difficile pour un pays en proie à une multitude de difficultés et de défis. D'un autre côté le dirigeant socialiste avait à contenir les interminables divergences internes d'un parti en éternelle ébullition. Il est vrai que depuis les scissions du sixième congrès, l'USFP a perdu beaucoup de sa verve, mais curieusement le bilan électoral du parti n'a pas été pour autant affecté. C'est dire que malgré quelques aléas de la conjoncture et de la vicissitude des hommes, Youssoufi a réussi là où beaucoup auraient jeté l'éponge. D'ailleurs à peine sa démission du Bureau politique de l'USFP retenue, les socialistes ont commencé à se déchirer enclenchant, peut-être, la plus grave crise de leur histoire. Autant dire que l'homme a encore sa place dans un échiquier politique partisan et national déchiré par des luttes intestines où l'ambition personnelle prime sur l'intérêt général. A preuve cette lettre exceptionnelle adressée par SA Majesté le Roi Mohammed VI à Abderrahamne Youssoufi. C'est un geste royal de grande teneur envers un homme qui a servi son pays avec loyauté , droiture et patriotisme. Jamais Youssoufi n'aurait aspiré à un hommage aussi royal où le Souverain exalte les multiples qualités de l'homme et l'exhorte à ne pas démissionner de la vie politique: « ... Nous avons été touché par ta décision personnelle de te retirer de la scène politique et avons tenu à adresser la présente lettre à ta personne , que Notre Majesté tient en haute estime, afin d'exalter, sans complaisance, les qualités qui sont les tiennes et auxquelles nul hommage ne saurait faire pleinement justice. » Justice a été rendue par la plus haute autorité de l'Etat à un grand homme que certains esprits revanchards n'ont pas hésité à lui tirer dans le dos comme des lâches. La lettre royale va plus loin quand elle positive d'une manière on ne peut plus claire et nette le passage de l'honorable Youssoufi à la tête de l'alternance. Admirez les termes d'une reconnaissance sincère , loyale et royale«...En homme d'Etat avisé et pétri de sagesse, tu as fait preuve, comme à l'accoutumée, de grande perspicacité politique à la tête du gouvernement, fermement attaché aux constantes, aussi délicates qu'elles fûssent, tes qualités de droiture et de fidélité, de sincérité et d'honnêteté morale, de probité et d'abnégation, ainsi que ton sens de l'anticipation et ton dévouement indéfectible à ton Roi et à ta patrie. » Jamais un homme politique marocain n'a reçu, de son vivant, autant d'honneur dans une lettre royale officielle dans laquelle le Souverain érige Youssoufi en homme d'Etat invétéré avec des termes les plus élogieux et sans complaisance aucune. A preuve cet appel royal à ce l'ex-premier secrétaire de l'USFP de ne pas se retirer de la vie politique parce que le Maroc a besoin de sa stature nationale et internationale. Belle sortie pour un grand homme, sauf que son départ de son parti a divisé les socialistes en deux clans qui risquent de guerroyer pendant longtemps. Sa succession que l'on croyait être systématique comme il est d'usage dans le parti, a buté sur un bureau politique qui soutient à parts égales deux candidats : Mohamed Elyazghi et Abdelouhaed Radi. Comme la voix prépondérante dans ce vote de principe n'existe plus avec la démission de Youssoufi, les deux candidats n'ont pu être départagés. Les deux hommes sont à parfaite égalité (10 sur 10) et doivent, à moins d'une désertion d'un camp à l'autre, recourir à l'appréciation de la commission administrative. Un recours qui risque d'élargir le fossé des divergences entre les partisans des deux candidats pour envenimer davantage la situation avec l'arbitrage massif des 187 membres de la commission administrative. A moins qu'une solution intermédiaire, comme celle de permettre à Mohamed Elyazghi d'assurer l'intérim, ne soit retenue jusqu'à la tenue du congrès du parti en mars prochain. Mais vu l'intensité du clanisme qui sévit dans le Bureau politique, il semble que cette hypothèse soit très lointaine dans un parti qui, paradoxalement, affectionne les divergences comme il excelle dans le militantisme. La bataille que livre l'USFP contre l'USFP pour le poste du Premier secrétaire est-elle vraiment nécessaire pour un parti historique qui ne cesse d'être laminé par ses propres militant? Non, assurément.