Dans un moment de vulnérabilité, le néocadre laisse trahir un doute par rapport à l'avenir. «J'ai peur. Je suis un citoyen marocain et j'ai peur. Je ne demande qu'à faire confiance aux constitutionnalistes qui façonnent l'avenir de mon pays, mais j'ai peur. Je frémis à l'idée qu'en juin, les choses ne se passent pas bien. Je veux croire que le texte mitonné par le team Menouni sera au goût de tout le monde, mais j'ai peur qu'il n'en soit rien. J'ai donc peur et les raisons qui motivent mon effroi sont multiples. D'abord, je suis conscient d'une chose. Entre aujourd'hui et les élections anticipées d'après référendum, en juillet probablement, la classe politique ne changera pas d'un poil. Il y aura toujours un Abbas El Fassi à l'Istiqlal, un Abdelouahed Radi à l'USFP, un Thami Khyari au FFD et un Benkirane au PJD. Je n'y prends pas ombrage, les appareils politiques obéissent à des procédures. Le renouvellement des bureaux politiques répond à un agenda précis. Il faut attendre la tenue d'un congrès, ou en convoquer d'extraordinaire comme cela a été le cas pour le RNI. Rien n'impose qu'on bouscule un agenda coulé dans le marbre depuis l'Indépendance. Hélas, ma peur de voir les mêmes rempiler pour d'autres mandats, n'a rien d'irrationnelle. C'est une peur infantile fondée sur le déni d'un fait bientôt avéré : seront portés au pouvoir en 2012 ceux-là mêmes qui, toute ma vie d'adulte durant, m'ont inspiré ennui, gêne, exaspération et désamour. Présentée ainsi, l'analyse paraît certes simpliste, mais j'ose croire au fond qu'au-delà d'un besoin d'équité social et d'oxygénation démocratique, le soulèvement des jeunes cache une désespérance générationnelle. Cas hypothétique. Admettons qu'au terme des législatives, l'Istiqlal accumule le nombre de voix le plus élevé. Supposons en outre que Abbas El Fassi en demeure le Secrétaire général, le reste suivra une logique mécanique. Oui, en vertu de cette configuration précise, il reconduira son mandat à la primature jusqu'en 2017. De l'arithmétique froide sans plus. J'ai donc peur de l'avenir. Ardemment, inlassablement, je prie pour que le 20 février et le 9 mars ne soient guère broyés par l'impitoyable machine de l'usure politique. Pour l'instant, ma peur n'a pour consistance qu'une désagréable intuition ; néanmoins, l'effroi me paralyse. La peur du ratage Partis, syndicats et associations militantes défilent devant Menouni, les propositions s'entassent dans des monticules de paperasse dénués d'audace, d'originalité. Sur le mur de la timidité butent gouvernants et acteurs associatifs. Veulent-ils rompre avec les ténèbres ? Sont-ils à ce point accoutumés au modèle actuel pour n'en pouvoir imaginer un nouveau ? Craignent-ils cet inconnu démocratique que le roi appelle de ses vœux ? J'en ai bien peur. Pourtant, les signes sont clairs. Au fond, l'esquisse de l'après-référendum émaille d'ors et déjà notre quotidien. Libération de 190 détenus politiques, octroi du pouvoir d'auto-saisine au Conseil de la concurrence et l'Instance de lutte contre la corruption ; déprogrammation de la manifestation dominicale des jeunes royalistes du 9 mars… Faut-il être atteint d'une invalidante myopie pour ignorer qu'en définitive le Maroc a déjà un pied dans la plaine verdoyante de l'Etat de droit, et qu'il suffit en somme d'un ultime sursaut de courage partisan pour transformer l'essai, fouler des deux pieds l'autre bord, cet Eldorado réalisable ! Hélas, j'ai peur que nous n'ayons guère l'audace de lâcher la proie pour l'ombre, j'ai peur que nous ergotions à n'en plus finir sur des contraintes de forme, que nous brûlions de précieuses semaines à redéfinir la place du baisemain dans notre socle institutionnel, j'ai peur que le sacré ne ravisse au temporel sa prégnance, sa pertinence. Dans l'infinie procession de l'Histoire, notre pays se situe vraisemblablement dans une phase charnière, une croisée des chemins. Que l'on aboutisse ensemble à la rédaction d'une Constitution puissamment démocratique et, jusqu'au bout des âges, les générations à venir nous en remercieront. Que l'on échoue, que l'on bafouille à quelques mètres du sésame et pour toujours, nous deviendrons la risée du Maroc de demain. La responsabilité est grande, elle me fait peur.» Réda Dalil