Le dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 40 ans, fait face à un mouvement de contestation sans précédent dans l'est du pays qui a d'ores et déjà fait plus de quarante morts et plusieurs blessés. L'ONG internationale Human Rights Watch, basée à New York, a fait état samedi d'au moins 35 morts vendredi à Benghazi, selon des sources venant des hôpitaux et des témoins, ce qui porte à 84 selon son décompte le nombre de personnes tuées ces trois deniers jours en Libye. Les autorités n'ont fourni aucun bilan de victimes et n'ont fait aucun commentaire sur les manifestations. Toute nouvelle procession funéraire pourrait donner lieu à de nouveaux rassemblements de manifestants, enhardis par les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte qui ont eu raison des dirigeants au pouvoir depuis plusieurs décennies. "Les forces spéciales qui sont loyales à Kadhafi se battent toujours désespérément pour prendre le contrôle et pour gagner du terrain et les gens se battent contre elles rue après rue", a raconté Mohammed, un habitant de Benghazi, la deuxième ville du pays, à la BBC. Selon lui, l'électricité est coupée dans plusieurs parties de la ville et des véhicules militaires stationnent devant le palais de justice. Si le mouvement de contestation n'est pas sans rappeler celui de la place Tahrir au Caire et de la Tunisie, les observateurs estiment que la situation de l'Egypte est différente et qu'un effet domino est peu probable. Kadhafi dispose en effet d'une marge de manoeuvre financière pour répondre aux demandes des manifestants et son pouvoir est respecté dans l'ensemble du pays, à l'exception de la région de Cyrène, près de Benghazi. "Assurément, il n'y a pas de soulèvement national", a déclaré Nomane Benotmane, un ancien opposant islamiste libyen exilé en Grande-Bretagne. "Je ne crois pas que la Libye soit comparable à l'Egypte ou à la Tunisie." "Kadhafi combattra jusqu'à la dernière minute", a-t-il prédit, interrogé au téléphone de la capitale libyenne, où il séjourne actuellement. Peu d'informations filtrent sur les mouvements de protestations, le gouvernement ayant resserré son contrôle et imposé des restrictions aux médias. La chaîne de télévision qatarie, Al Djariza a annoncé vendredi que son signal était brouillé et que son site internet était bloqué. Selon la société américaine de surveillance de l'Internet Renesys (www.renesys.com), l'accès à internet en Libye est bloqué depuis vendredi soir. Selon Amnesty International qui cite des sources hospitalières à Benghazi, les blessures les plus couramment constatées sont des tirs de balle dans la tête, la poitrine et le cou. "Cette hausse alarmante du bilan et la nature des blessures des victimes suggèrent clairement que les forces de sécurité autorisent l'usage de la force contre des manifestants désarmés réclamant un changement politique", note l'ONG. CONTESTATION À L'EST DU PAYS Selon le journal Kourina, des milliers de Libyens se sont rassemblés vendredi pour enterrer les 14 manifestants tués dans des affrontements. Achour Ahamis, un journaliste libyen basé à Londres, a fait par ailleurs état de la prise d'assaut vendredi de la prison Kouwafiah de Benghazi pour libérer des dizaines de prisonniers politiques. Kourina précise qu'un millier de détenus s'en sont échappés mais que 150 d'entre eux ont été repris. Selon le journal, qui cite des sources non identifiées, le Congrès général du peuple (parlement) pourrait donner son aval à un "changement majeur" de politique gouvernementale avec notamment la nomination de nouvelles têtes à des postes à responsabilité. Vendredi, lors de la grande prière hebdomadaire, les prédicateurs ont invité les fidèles à ignorer les informations diffusées à l'étranger visant, selon eux, à semer la zizanie dans leur pays. (Reuters)