Après une nuit de liesse pour fêter le départ d'Hosni Moubarak, l'Egypte s'est réveillée samedi dans une nouvelle ère, insensée il y a quelques semaines à peine, tout en espérant que l'armée respecterait la volonté de changement démocratique exprimé par la rue. Des millions d'Egyptiens ont fêté toute la nuit la démission du raïs après quasiment 30 ans de pouvoir autoritaire. Lorsque le muezzin a appelé à la prière du matin, le concert de klaxons qui avait retenti dans la nuit cairote a repris de plus belle dans les rues de la capitale du plus grand pays arabe. "La révolution de la jeunesse a contraint Moubarak à partir", résume à la Une le quotidien d'Etat Al-Ahram. Al-Gomhouria, autre quotidien public, n'est pas en reste: "La révolution du 25 Janvier a gagné. Moubarak s'efface et l'armée gouverne." Reste à attendre à présent de voir ce que décideront les militaires. Car l'armée a pris directement les rênes du pays via un conseil militaire, qui n'a guère donné de détails sur la "phase de transition" qui vient de s'ouvrir, ni sur le calendrier électoral. Ce Conseil suprême des forces armées, dirigé par le ministre de la Défense Mohamed Hussein Tantaoui, a promis de "réaliser les espoirs de notre grand peuple". Selon la chaîne de télévision Al Arabia, les militaires devraient rapidement limoger le gouvernement et suspendre le parlement. La première priorité sera sans doute de rétablir l'ordre public avant la reprise de la semaine de travail, le dimanche en Egypte. Blindés et soldats sont toujours déployés aux principaux carrefours de la ville et devant les bâtiments publics. La police, tombée en disgrâce pour avoir trop longtemps réprimé la population et ouvert le feu sur les manifestants au début de la contestation, demeure absente. "JE N'ARRIVE TOUJOURS PAS À Y CROIRE" En attendant, dans une atmosphère de carnaval, les Egyptiens ont dansé, ri, chanté dans l'espoir d'assister à l'avènement d'une nouvelle ère. L'euphorie n'a pas seulement envahi la place Tahrir, coeur de la contestation au régime d'Hosni Moubarak dans le centre du Caire. Elle semble avoir gagné tout le pays, d'Alexandrie à Suez, où une nation entière paraît être descendue dans les rues. Des feux d'artifice ont été tirés. Des concerts de klaxons ont été lancés au milieu des drapeaux aux couleurs nationales, noir, blanc et rouge. Les gens ont brandi leurs enfants au-dessus de leurs têtes. Certains se sont pris en photo avec des militaires souriants sur leurs blindés. Samedi matin, des Cairotes se prennent en photo au côté de soldats souriants, se gorgent de souvenirs de cette première matinée de l'après-Moubarak. "Je n'aurais jamais imaginé vivre un tel jour. Mon seul espoir aujourd'hui est que ce nouveau système nous sera bénéfique et qu'il accomplira nos rêves", dit Essam Ismaïl, la trentaine. "Je n'arrive toujours pas à croire que cela s'est vraiment passé", ajoute-t-il. Au terme de 18 jours de bras de fer, Hosni Moubarak a finalement admis sa défaite vendredi, quelques heures seulement après avoir répété qu'il ne quitterait pas ses fonctions jusqu'à l'élection d'un nouveau président en septembre. A 82 ans, l'ancien homme fort, qui s'apprêtait encore il y a quelques semaines à préparer une transition dynastique, s'est réfugié à Charm el Cheikh, station balnéaire de la mer Rouge. QUE VA FAIRE L'ARMEE ? A Washington, le président américain Barack Obama a jugé que "le peuple égyptien a parlé". "Les Egyptiens nous ont montré l'exemple (...) Les Egyptiens ont clairement indiqué qu'ils n'accepteraient rien d'autre qu'une authentique démocratie", a-t-il dit, ajoutant que l'Egypte ne serait plus jamais la même. Il revient désormais à l'armée de réaliser ce voeu mais certains observateurs s'interrogent quant aux souhaits des militaires, qui contrôlent le pays depuis le renversement de la monarchie en 1952. Le maréchal Tantaoui est âgé de 75 ans, il a été un fidèle ministre de la Défense d'Hosni Moubarak et les spécialistes américains de l'armée égyptienne le jugent réticent au changement. Nommé vice-président durant la crise, Omar Souleimane, 74 ans, lui aussi issu des rangs de l'armée, s'est interrogé cette semaine sur la capacité des Egyptiens à vivre en démocratie. "Ce n'est que la fin du début", prévient Jon Alterman, du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS). Gonflée par les chaînes de télévision satellitaire et les réseaux sociaux sur internet, la vague de soulèvements populaires semble se propager à travers le monde arabe, huit semaines seulement après l'immolation du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi dans la ville provinciale de Sidi Bouzid. Cet acte de désespoir d'un jeune diplômé contraint de vendre des fruits et légumes après la confiscation de sa marchandise par la police a conduit quatre semaines plus tard au renversement de Zine ben Ali, en place depuis 1987. Le pouvoir d'Hosni Moubarak s'est ensuite écroulé en 18 jours en Egypte. "Une barrière psychologique a sauté, pas seulement en Afrique du Nord mais dans tout le Moyen-Orient. On pourrait assister à une propagation de ces manifestations, au Maroc, en Jordanie peut-être, au Yémen", souligne Anthony Skinner, consultant en risques Maplecroft. Samedi, une manifestation est organisée en Algérie pour réclamer des changements démocratiques. (Reuters)