Cédant à la pression croissante de la rue, Hosni Moubarak a finalement quitté vendredi la présidence de l'Egypte après trente ans de pouvoir, a annoncé le vice-président Omar Souleimane a la télévision d'Etat. Le raïs "a décidé de renoncer à ses fonctions de président de la République", a dit Souleimane, et il a confié la gestion des affaires publiques au Conseil suprême des forces armées "dans les circonstances difficiles que traverse le pays". Le ministre de la Défense, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, dirige lui-même ce Conseil, qui s'était réuni la veille en promettant de satisfaire les revendications du peuple, confirme-t-on de source militaire. Cette annonce a été accueillie dans la liesse par les centaines de milliers de manifestants massés sur la place Tahrir, dans le centre du Caire, coeur de la "Révolution du Nil" déclenchée le 25 janvier pour obtenir le départ du raïs de 82 ans. "Le peuple a renversé le régime!" et "Dieu est grand!", ont scandé les manifestants en délire, au 18e jour de leur mouvement qui a soulevé tout le pays et paralysé son activité. Dans le reste du pays également, les Egyptiens sont descendus massivement dans les rues pour saluer le départ du président, qui avait accédé au pouvoir en octobre 1981 à la suite de l'assassinat d'Anouar Sadate. Un peu plus tôt, le président avait atterri en hélicoptère avec sa famille dans la station balnéaire de Charm el Cheikh, qu'il affectionne particulièrement et qui est située à la pointe sud du Sinaï, à quelques encâblures de l'Arabie Saoudite. La rumeur insistante de la démission de Moubarak avait circulé jeudi, y compris au plus haut niveau du régime, mais, lors d'un discours dans la soirée au peuple égyptien, qui apparaît aujourd'hui comme un baroud d'honneur, le vieux raïs avait déçu cet espoir. Furieux de son obstination et jugeant insuffisantes les garanties de l'armée sur la transition, des manifestants se sont rassemblés vendredi devant le palais présidentiel d'Ittihadia à Héliopiolis, dans la banlieue du Caire. "UN GRAND JOUR POUR LES EGYPTIENS" Dans un communiqué lu à la télévision vendredi en fin de matinée, l'armée, désormais aux affaires, s'était dite prête à lever l'état d'urgence en vigueur depuis 1981 "dès que la situation le permettra(it)". Dans son communiqué numéro 2, le Conseil suprême des forces armées s'est également porté garant des réformes constitutionnelles visant à garantir l'honnêteté de l'élection présidentielle, laissant toutefois les manifestants sur leur faim. Lors de la grande prière du vendredi, des imams ont dressé un parallèle entre la mobilisation opposant le peuple à Moubarak à celle qui a opposé Moïse à Pharaon. "Puisse Dieu chasser les oppresseurs!", ont-ils scandé. "Amen, Amen!", ont répondu les fidèles. Devant le palais d'Ittihadia cerné de barbelés, quelque 2.000 manifestants scandaient encore en début d'après-midi "A bas Moubarak!" sans que l'armée intervienne. Place Tahrir, un organisateur des manifestations avait assuré que les manifestants allaient "prendre le palais". A Alexandrie, la deuxième ville du pays, des centaines de milliers de personnes étaient également descendues dans les rues après la grande prière. La ville est le berceau du mouvement des Frères musulmans, qui exhortaient les Egyptiens à poursuivre le mouvement jusqu'au départ du raïs. L'opposant Mohamed ElBaradeï, qui avait prédit jeudi une "explosion" et appelé l'armée à l'aide, s'est félicité du départ de Moubarak, saluant un "grand jour pour les Egyptiens". Selon lui, il ouvre la voie à une période de co-gouvernement entre l'armée et le peuple. Selon la chaîne Al Arabia, le président du Conseil constitutionnel et l'armée co-dirigeront le pays durant la période transitoire. L'armée a annoncé le limogeage du gouvernement nommé par Moubarak au début de la crise et la suspension des deux chambres du parlement. Les militaires se sont engagés à respecter le droit à manifester. La levée de l'état d'urgence en vigueur de 1981 pourrait faire figure de test. Reuters