Malgré le bras de fer qui l'oppose à une partie des magistrats, Mohamed Taïeb Naciri est décidé à mener à bon port la réforme de la Justice. Un dossier prioritaire pour le roi. La réforme de la Justice retrouve un nouveau souffle grâce à la volonté de la Haute autorité du pays de doter le Maroc d'un nouveau concept de la justice : une justice au service du citoyen. C'est une nouvelle feuille de route pour mener à bien cette réforme, estiment certains titres de la presse nationale. «En mettant la justice au service du citoyen, nous entendons faire émerger une justice proche des justiciables, marquée par la simplicité, la célérité de ses procédures, la probité de ses jugements et la modernité de ses structures» a souligné le Souverain lors de l'ouverture de la première session de la 4è année législative. Pourtant, le débat sur la réforme de cette justice peine à sortir des cercles fermés du pouvoir et gagner l'espace public. Avocats, militants associatifs et autres défenseurs des droits de l'homme s'impatientent en effet de voir enfin s'ouvrir un débat franc sur la réforme de la Justice. Ce ne sera peut être pas pour demain car l'actuel ministre de la Justice, Mohamed Taieb Naciri, a dû reprendreles textes de loi de la réforme auprès du SGG (Secrétariat général du gouvernement) déposés auparavant par son prédécesseur, Abdelouahed Radi. D'aucuns y voient la volonté de l'actuel ministre de la Justice de conférer au projet de loi son empreinte d'homme de droit à l'expérience avérée. Les 17 projets de loi, objets de la réforme, ont trait notamment au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), aux juges et aux fonctionnaires de la Justice, à l'amélioration de la situation financière. En plus d'un projet de loi instituant une fondation pour les œuvres sociales, on y trouve également des projets de lois relatives à l'inspection judiciaire, à l'observatoire de la criminalité, à la procédure civile et pénale, au Code du commerce, à la justice de proximité et l'assistance judiciaire, etc. Le temps urge et les maux de notre justice sont connus et reconnus (voir 3 questions à Abdellatif Ngadi de Transparency Maroc). Concernant le fonctionnement des tribunaux, il est de notoriété publique que nos juridictions, au nombre d'ailleurs limité (21 cours d'appel, 8 tribunaux de commerce, 9 tribunaux administratifs et une cour militaire) manquent cruellement et de moyens humains et d'équipements nécessaires à leur bon fonctionnement. Selon un diagnostic déjà établi, le Maroc aura besoin de 2600 juges supplémentaires, d'augmenter le nombre des juridictions et les doter d'équipement informatique (9000 PC). Alors que dans le milieu officiel, on estime que la réforme butte surtout sur des moyens humains et financiers, certaines voix pensent que la réforme doit toucher la genèse même de notre justice, autrement dit s'attaquer à ses fondements et référentiels culturels. L'objectif ultime étant de garantir l'indépendance de notre justice. «Une indépendance soulignée noir sur blanc dans la Constitution mais que la loi organique de la justice vide de toute sa substance.» Pour cela, la révision de la Constitution revient comme un leitmotiv. Sans quoi, les juges ne seraient pas en mesure d'exercer leurs fonctions en toute sérénité, estiment les auteurs d'un mémorandum sur la réforme de la justice (NDLR, association Adala (justice) regroupant une dizaine d'associations de défense des droits de l'homme). Dans cette perspective, la révision des dispositions constitutionnelles régissant le CSM (Conseil supérieur de la magistrature) et ses attributions s'impose, afin de le doter d'un réel pouvoir décisionnel. A rappeler que le CSM n'a pas de budget qui lui est propre et demeure attaché au ministère de la Justice dont il dépend financièrement et administrativement. Son caractère consultatif est également pointé du doigt. La dernière décision du ministre de la Justice de suspendre de leurs fonctions deux membres du CSM a ravivé le débat sur le fonctionnement de cette haute instance juridictionnelle, mais aussi sur la liberté d'organisation et d'expression des juges. Aussi, la réforme de la Justice passe, aux yeux des acteurs associatifs, par la possibilité pour les juges de créer des syndicats ou des associations professionnelles pour la défense de leurs propres intérêts. La liberté de penser, d'expression et de regroupement doit également leur être expressément garantie. Vaste chantier ! Saïd El Hadini Des élections et des nominations Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est en ébullition. Après le mouvement de nouvelles nominations, ayant touché 19 responsables judiciaires au niveau de plusieurs tribunaux du Royaume, les magistrats s'apprêtent en effet à désigner, le 30 octobre, les nouveaux membres du CSM. En effet, près de 3500 juges vont devoir élire six nouveaux membres du CSM (deux pour les magistrats des Cours d'appel et quatre pour les magistrats de première instance) sur un total de neuf sièges (trois reviennent de droit au président du CSM et à deux autres magistrats). «Cette réforme requiert des actions concrètes» Abdellatif Ngadi Membre du bureau exécutif de Transparency Maroc. Quelles sont les anomalies dont souffre notre machine judiciaire ? Les dysfonctionnements dont souffre la justice au Maroc sont malheureusement multiples. Au stade où est arrivé ce dossier, la question n'est plus de donner des diagnostics. Il est grand temps de passer à l'action. Pour ce faire, nous avons besoin d'une volonté politique et quelle soit accompagnée d'un suivi rigoureux et ferme. Le citoyen demande à savoir l'état d'avancement des différents programmes de restructuration dont avait fait objet la justice marocaine. En deux mots, la justice est en crise et il faut œuvrer pour sa remise à niveau. Concrètement, comment peut-on mettre en application le concept de la justice citoyenne annoncé par le souverain ? Il faut qu'il y ait un consensus sur le sujet. Et l'application de stratégies ciblées à cet égard. Concrètement, que tout un chacun sente qu'il est interpellé. Aussi faut-il activer le principe de reddition des comptes, ceci sans oublier la société civile qui doit accomplir la mission qui est la sienne en matière d'accompagnement et de liaison avec les citoyens. Après tout, la justice est faite pour les citoyens et sa bonne application versera directement dans l'intérêt général. On estime que la justice est une machine à double vitesse où sévit le clientélisme... Je commence à me sentir mal à l'aise de voir que le fossé s'élargit entre la théorie et la réalité de la justice sur le terrain. Le citoyen doit se sentir protégé. La machine judiciaire marocaine souffre de clientélisme, de manque d'indépendance et parfois d'inefficacité. Je dirai même que la stabilité du pays est tributaire de l'efficacité de sa machine judiciaire. Le parlement a également son mot à dire. En ce sens que c'est un organe d'évaluation. Jusqu' à présent les ministres qui se sont succédés au ministère de la Justice, ne rendent pas public leur bilan ni l'état d'avancement des dossiers dont ils avaient la charge. Ce qui fait que le citoyen n'est pas au courant de ce qui passe dans ce ministère. Propos recueillis par Mohcine Loughzal