En marge de l'interview de Mohamed Bouzoubaâ à la Gazette du Maroc Depuis bien longtemps, la classe politique n'a cessé de revendiquer la réforme de la justice. Mais, il y avait une tendance qui limitait cette réforme au seul volet de l'indépendance du système judiciaire. Aujourd'hui, les idées ont évolué et la réflexion porte également sur le rôle de la justice dans le développement. Il y a même plus, puisque tout le monde s'accorde à dire qu'une justice défaillante constitue un frein au progrès et au développement étant donné qu'elle n'encourage pas l'instauration d'un climat de confiance nécessaire au drainage de l'investissement. La revendication de l'indépendance de la justice n'est pas une fin en soi. C'est surtout un moyen qui permet à la justice de jouer son rôle et ses multiples fonctions économiques, sociales et politiques. De même que la réforme de la justice ne peut être dissociée de la réforme globale. C'est pourquoi le gouvernement de l'alternance avait ouvert plusieurs chantiers qui sont actuellement reconduits sous l'actuel gouvernement de Jettou selon une méthodologie nouvelle. Parmi les priorités figure le secteur de la justice dont le responsable n'est autre que maître Mohamed Bouzoubaâ, membre de la direction de l'USFP. Aussi, la question qui s'impose est-elle la suivante : le gouvernement a-t-il tracé une stratégie pour mener la réforme de la justice ? L'entretien qu'a accordé maître Bouzoubaâ à la Gazette du Maroc apporte quelques éléments de réponse à cette question. En effet et se basant sur les deux discours prononcés par Sa Majesté le Roi en mars 2002 et en janvier 2003 qui constituent le cadre de référence, le ministre présente trois axes autour desquels s'articule cette stratégie : le système de formation des magistrats, l'adoption d'une justice spécialisée et l'application du principe de l'exécution des jugements judiciaires. La formation des magistrats La réforme de tout secteur, quel qu'il soit, débute par la nécessité de la mise à niveau des ressources humaines. Or, cette mise à niveau ne peut s'effectuer qu'en réformant le système de formation de telle sorte qu'il puisse mettre au-devant de la scène les meilleurs éléments aptes à assumer les responsabilités. Donc, dans le cadre de ce premier axe de la stratégie, il y a deux étapes à suivre. La première étape consiste à entamer la formation de base au sein des facultés de droit, notamment en créant une branche spécialisée juste après le DEUG. Cette branche s'occupera de la formation des futurs magistrats et des auxiliaires de justice tout en assurant aux étudiants une formation théorique et pratique accompagnée de l'étude des langues étrangères et de l'informatique. Les lauréats de cette branche pourront, par la suite, accéder à l'institut des hautes études judiciaires ou embrasser une carrière d'avocat. A ce propos, le ministère étudie la question avec le ministère de l'enseignement supérieur. La deuxième étape consiste à moderniser les méthodes d'enseignement au sein même de l'institut des hautes études judiciaires qui sera doté de l'autonomie financière. De la justice spéciale à la justice spécialisée Le deuxième axe de la réforme consiste à remplacer la justice spéciale par une justice spécialisée. Dans ce cadre, le meilleur système judiciaire doit être celui qui garantit l'équité des procès. Ceci exclut automatiquement la justice spéciale ou d'exception. C'est pourquoi les forces politiques et les organisations de défense des droits de l'homme n'ont cessé de revendiquer la suppression de la Cour spéciale de justice ou les tribunaux communaux et d'arrondissement. Ainsi, les autorités publiques paraissent accéder favorablement à cette revendication, notamment lorsque Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé à revoir le statut de la cour spéciale de justice dans son discours d'Agadir prononcé à l'occasion de la nouvelle année judiciaire. A ce sujet, le ministère de tutelle a préparé un avant-projet soumis à Sa Majesté le Roi comportant deux visions distinctes. La première consiste à supprimer définitivement ladite cour et la deuxième consiste à la transformer en cour spécialisée dans les délits et crimes économiques et financiers. De même que l'actuel ministre a une vision claire sur le devenir des tribunaux communaux et d'arrondissement qui comptent 700 unités mais qui ne traitent que 850 petites affaires annuellement. Or, il se trouve que ces tribunaux sont dirigés par des personnes incompétentes n'ayant aucune formation professionnelle ou juridique. C'est pour cela d'ailleurs que le Souverain a insisté sur le retour à la justice individuelle au lieu de la justice collective. Ainsi, le ministère a préparé un projet de loi relatif à ces juridictions qui sera soumis au Parlement lors de la prochaine session et qui permettra de dégager un nombre suffisant de magistrats susceptibles d'examiner ces affaires, notamment en se déplaçant vers les souks hebdomadaires et vers les coins les plus reculés du royaume. Dans ce cadre, la réforme de la justice ne doit pas se limiter à supprimer la justice spéciale ou d'exception, autant qu'elle doit instituer une justice spécialisée. En effet, les temps sont révolus où les magistrats étaient appelés à statuer sur toutes les affaires. C'est pour cela qu'il y a, à présent, une volonté réelle de créer une justice spécialisée qui sera mise en place à travers trois niveaux : - Les tribunaux administratifs qui garantissent les droits des citoyens et de la collectivité notamment par l'obligation faite à l'administration de justifier ses décisions. - Les tribunaux de commerce qui sont appelés à examiner les dossiers avec célérité et selon toutes les garanties légales pour permettre aux secteurs économiques de se développer. Aujourd'hui, la juridiction pilote en ce domaine est le tribunal de commerce d'Agadir. Et en attendant la généralisation de ce type de juridictions, le ministère est en train de créer des chambres de commerce auprès des tribunaux de première instance et des cours d'appel. - La justice de la famille est appelée à sauvegarder la stabilité sociale et à garantir les droits des femmes et des enfants issus du divorce. Le ministère vient d'inaugurer deux chambres de la justice de la famille auprès des tribunaux de Tiznit et d'Inezgane. L'exécution de jugements judiciaires La réforme de la justice vise à réhabiliter la crédibilité de l'appareil judiciaire. Or, cette crédibilité ne peut être restaurée que si les jugements des tribunaux sont exécutés. Pour dépasser la problématique, il y a lieu de revoir certaines méthodes et de cibler certains secteurs. En effet, pour ce qui est des méthodes, il est à rappeler qu'une première tentative de réforme a consisté à créer un corps d'agents d'exécution. Mais cette mesure a échoué lamentablement. C'est pourquoi la réflexion porte aujourd'hui sur l'institution du corps des magistrats d'exécution auprès de tous les tribunaux tout en modernisant et informatisant leurs structures d'action. D'autre part, il faut cibler en priorité l'administration qui doit donner l'exemple dans l'exécution des jugements et le secteur des assurances qui bat le record dans l'inexécution des décisions judiciaires. La crédibilité passe inévitablement par ces deux secteurs. Ce sont là les trois axes de la réforme de la justice. Mais, il faut attendre pour voir jusqu'à quel point le ministère réussira à conduire un chantier d'une telle ampleur à bon port. La revendication de l'indépendance de la justice n'est pas une fin en soi. C'est surtout un moyen qui permet à la justice de jouer son rôle et ses multiples fonctions économiques, sociales et politiques.