C'est une litote de le dire : entre les politiques et les citoyens, c'est l'histoire du «Je t'aime, moi non plus». Le divorce est consommé depuis belle lurette. En témoigne le faible taux de participation aux dernières élections législatives du 7 septembre 2007 (37%, contre 52% en 2002), doublé du taux élevé de bulletins nuls (19%). Ainsi donc 70% des électeurs ont voté avec leurs pieds. On s'en souvient, un sondage effectué cette même année par le ministère de l'Intérieur avait évalué à 80% le taux de désaffection politique chez les Marocains. Ce sondage avait été décrié par les premiers concernés, à savoir les partis politiques. Normal, dira-t-on. Les Marocains seront-ils apolitiques ? La réponse est négative, comme le confirme un politologue au Temps. «En dépit du taux élevé d'analphabétisme, les Marocains s'intéressent à la politique. Cependant, ils ont de plus en plus tendance à bouder l'action politique et tout ce qui s'y rapporte, comme les élections», nous déclare-t-il. De l'avis de nombreux observateurs comme des simples particuliers, ce désamour (d'aucuns parlent d'écoeurement) quant à la politique et aux hommes politiques trouvent sa raison d'être dans l'image véhiculée par les politiques. Elus qui oublient leurs promesses mirifiques et boudent leurs électeurs, Parlement déserté par les députés, débats politiques qui frisent parfois le ridicule, discours anachroniques, hommes politiques qui se trucident par médias interposés, doléances de citoyens reléguées aux calendes grecques, corruption… Tant de maux qui affectent la scène politique nationale, n'encourageant point les citoyens à faire confiance aux politiques. «Les hommes politiques ne jouissent plus de la même estime qu'auparavant. Il est tout à fait normal que les jeunes Marocains boudent la politique», estime Maati Ben Kaddour, membre du Bureau exécutif du RNI (Rassemblement national des indépendants) et ex-président de la Chambre des conseillers. Ils changent de parti comme de chemise Pour Mhamed El Khalifa, membre du Comité exécutif du parti de l'Istiqlal (PI), la cause de la désaffection des citoyens résulte de la «falsification de la volonté populaire à cause du marchandage des voix des électeurs lors de chaque échéance électorale». Pour les citoyens sondés par Le Temps, les hommes politiques donnent une piètre image de l'action politique. Dans ce sens, l'argument le plus édifiant reste la transhumance. «Comment peut-on faire confiance à des députés qui changent de parti comme de chemise ?» clament en chœur citoyens et observateurs. En effet, sur les deux dernières années, pas moins de cent onze députés ont changé de casquette idéologique. La tendance n'est pas entièrement imputable au PAM (Parti authenticité et modernité), elle reflète une prédisposition de base chez le notable marocain, l'absence de constance. Hormis le PJD (Parti de la justice et du développement), le pluripartisme a cédé le pas à une nouvelle généralision de politiques : les «pluripartisans». Ainsi, depuis le début de l'année, le PAM a été étoffé par 22 nouveaux parlementaires dont 8 en provenance du MP (Mouvement populaire) dont la perte depuis le début de la législature s'élève à 13 députés. Le parti de l'Istiqlal (PI), troisième force parlementaire du pays (52 membres), s'est lui aussi plié à la razzia. Il comptera désormais deux membres de moins en la personne de Mohamed Azelmad et Abdelillah Safdi. Misère, les allégeances ne sont plus ce qu'elles étaient. En somme, il n'existe plus qu'une seule certitude sous les lambris de l'hémicycle, le nombre global de députés : 325. Pis, une poignée de parlementaires poussent l'infidélité jusqu'à se déplacer à de long en large sur le spectre politique. Délestés de toute conviction idéologique, ils surfent à travers les partis en électrons libres. Le cas de Mohamed Moubdie en est la parfaite illustration. Ce député, actuellement président du groupe parlementaire MP a, en 14 ans d'expérience politique, viré sa cuti six fois. Serpentant de conviction en conviction, il a endossé les couleurs de six partis différents : MNP, MP, PSD, PSU, etc. Ce notable de la circonscription de Fquih Bensalah a même émis le souhait d'obtenir une accréditation de l'USFP (Union socialiste des forces populaires) pour garnir davantage son CV de «pluripartisan» en chef. Le phénomène est tel qu'il en vient à représenter une norme. Ainsi, depuis le début de la législature actuelle, cent onze représentants ont bifurqué hors de leur voie d'origine, autrement dit, plus du tiers du Parlement. Pour la petite histoire, le MDS (Mouvement démocratique et social) de Mahmoud Archane se retrouve aujourd'hui avec un seul député après avoir raflé quarante-sept sièges en 1997 et neuf en 2007. Ils ont mauvaise presse Il va sans dire que les politiques ont mauvaise presse. Pis encore, de nombreux députés de la Chambre des conseillers sont considérés comme des «malfrats». Invité à l'émission «Tyarate» sur 2M, Abdelhadi Khaïrate, membre du bureau politique de l'USFP (Union socialiste des forces populaires), a affirmé que «les deux tiers des députés sont des barons de la drogue». Une déclaration grave qui a été relayée par la presse et confirmée par son auteur. Mais cela n'a pas ému outre mesure la classe politique, corroborant le dicton qui prétend que «qui se tait consent». Une nouvelle fois, les internautes s'en sont donné à cœur joie de commenter cette information. Au cuisant problème de la transhumance se pose celui de l'image de la chose politique que donne les élus de la Nation. Les séances de questions orales, les mardi et mercredi dans les deux Chambres en sont la parfaite illustration. Les joutes verbales, les questions déplacées et surtout le phénomène de l'absentéisme ne sont pas pour encourager les citoyens à s'intéresser à la chose politique. D'autant que les images de l'hémicycle déserté et les gaucheries des députés font le tour du Web, suscitant à la fois amusement et désappointement. Il y a quelques années, le projet de la chaîne parlementaire a été lancé. L'objectif, selon les responsables, étant de «valoriser l'action des députés et conseillers» et de «véhiculer des valeurs de démocratie et de débats contradictoires». Commentaire du quotidien Libération sous forme de questionnement : «Quel contenu comptez-vous offrir aux rares et valeureux téléspectateurs déjà bien mal en point quand ils regardent les séances des questions orales du mardi et du mercredi ? A quel spectacle comptez-vous inviter les Marocains qui choisiront de regarder la chaîne parlementaire ?» Ministres et chefs de partis politiques sont logés à la même enseigne. Il est rare, trop rare, d'en trouver un qui fasse l'unanimité. D'aucuns jugent que, entre le discours et la pratique, il existe un fossé béant. Accusés à tort ou à raison de «se servir au lieu de servir», les responsables sont prisonniers ou victimes de cette image qui leur colle à la peau et qui considère que la lutte des classes a cédé la place à la lutte pour les places. «Traiter de la sorte les hommes politiques en charge de la gestion de la chose publique relève d'un jugement réducteur et simpliste», estime un professeur universitaire. Pour Salah El Ouadie, membre du bureau national du PAM, le désamour entre les politiques et les citoyens n'est pas particulier au Maroc. «Même dans les plus vieille démocratie du monde, comme la France ou la Grande-Bretagne, la classe politique est sujette aux critiques les plus acerbes parce que généralement appelée à faire des choix parfois difficiles voire impopulaires», relève El Ouadie. Omar Jazouli, membre du bureau politique de l'Union constitutionnelle, voit les choses sous un autre angle. «Si les Marocains détestent les politiques, c'est parce que les médias rapportent de fausses informations accusant ces derniers de corruption et dilapidation des deniers publics.» S'agissant des médias, force est de signaler qu'aucune émission de débat politique ne figure dans le Top Ten des programmes les plus suivis par les Marocains, selon les chiffres de Marocmétrie. Une autre preuve que les Marocains sont en brouille avec la politique. Abdelkader El-Aine (avec Hakima Ahajou, Maghrib Al Yaoum)