Attaqué par l'Etat sur son image et son «core business», la Samir plie mais ne rompt pas. Le lundi 28 décembre 2009, la Samir reçoit un curieux cadeau de fin d'année du Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM) : un avertissement en bonne et due forme ! Motif du carton jaune : le raffineur avait «oublié» d'actualiser ses prévisions de bénéfices au titre de l'exercice 2008, publiées dans la note d'information relative à une émission obligataire remontant au 18 décembre 2008. La sanction tombe comme un couperet, forçant la Samir à consentir un «petit geste» en faveur des investisseurs, en relevant le taux d'intérêt de ses obligations en circulation. La citadelle Samir vacille, mais ne cède pas. Pour le moment… Car deux semaines plus tard, Amina Benkhadra décoche une seconde flèche en direction de la filiale du groupe saoudien Corral : la ministre de l'Énergie et des Mines annonce le lancement des travaux de construction d'une nouvelle raffinerie à Jorf Lasfar, projet qui entrera en service à partir de 2015 (lire encadré). L'annonce est un véritable coup de tonnerre pour la Samir qui se voit attaquée de front dans son core business, et qui perd, à terme, son monopole historique sur le marché des produits pétroliers raffinés (gasoil, essence, fioul, butane…). Accords et désaccords Dans le milieu des affaires, l'opération est perçue comme une «punition» orchestrée par l'Etat marocain. «Les relations entre l'Etat et la Samir se sont fortement dégradées depuis l'arrivée de Benkhadra à la tête du ministère en 2007, confie ce proche collaborateur de la ministre. Cette dernière n'a jamais apprécié les atermoiements de la Samir et son manquement à nombre d'accords et de conventions signées avec le gouvernement marocain». Exemple : lors de la privatisation de la raffinerie, ses nouveaux propriétaires saoudiens s'étaient engagés à moderniser l'outil de production. Objectif : améliorer la qualité des produits en les adaptant aux normes environnementales européennes, notamment la réduction du taux de souffre dans le gazole et la suppression du plomb dans l'essence. Las. «Depuis sa cession par l'Etat au groupe Corral en 1997, la Samir n'a cessé de repousser dans le temps le calendrier des travaux de modernisation et les investissements qui vont avec», ajoute notre interlocuteur. Ce n'est qu'en 2009, soit 12 ans après sa privatisation, que la Samir a bouclé la mise à niveau de ses installations. Un projet qui a coûté la bagatelle de 9 milliards de dirhams et qui a débouché, enfin, sur la commercialisation du gazole 50 ppm (au lieu du 10.000, puis du 350 ppm) et la généralisation de l'essence sans plomb. Et encore, ce colossal investissement, censé alimenter l'économie marocaine en devises, a été financé en grande partie par une dette locale, consentie en 2006 par un consortium de 7 banques marocaines (Attijariwafa bank, BCP, CDG Capital, BMCI, CDM, Arab Bank et Crédit Agricole du Maroc), et complété deux ans plus tard par un emprunt obligataire de quelque 800 millions de dirhams. «L'Etat sait aujourd'hui qu'il ne peut plus s'appuyer totalement sur la Samir pour répondre aux besoins du marché national. D'où la nécessité d'une alternative : la mise en place d'une nouvelle raffinerie», commente ce professionnel du secteur. La Samir : «Même pas peur !» Mais réduire les objectifs du projet de raffinerie aux chamailleries entre l'Etat marocain et le groupe Corral serait réducteur. La raffinerie de Jorf Lasfar répond aussi, et surtout, à une logique purement économique. Appelée à doubler à l'horizon 2020, la demande nationale en produits pétroliers ne peut être satisfaite par la seule raffinerie de Mohammedia… qui a déjà du mal à combler les besoins actuels. «Avec une production annuelle de 6,25 millions de tonnes, la Samir ne répond qu'à 60% de la demande nationale qui avoisine les 9 millions de tonnes. Le reliquat en produits raffinés est directement importé par les distributeurs», précise Moulay Abdellah Alaoui, président de la Fédération de l'énergie. C'est dans cette brèche que s'engouffrera la future raffinerie, qui disposera (à plein régime) d'une capacité de production dépassant les 10 millions de tonnes par an. Un volume suffisant pour satisfaire la demande latente… et même grignoter des parts de marché à la Samir ! De quoi inquiéter le raffineur historique ? Pas outre mesure, à en croire le ton très conciliant de l'état-major de la Samir. «La physionomie du marché montre qu'il y a bien de la place pour tout le monde. La raffinerie de Jorf Lasfar n'aura pas d'incidence sur le leadership de la Samir», tranche un haut cadre de l'unité de Mohammedia, qui poursuit : «Le facteur expérience et la connaissance que nous avons du marché joueront clairement en notre faveur». Le raisonnement est appuyé par Wydad Ouardi, analyste financier chez Integra Bourse : «La Samir est bien rôdée aux rouages du marché. Elle a aussi déjà dépassé sa phase de rentabilité et peut, par conséquent, se permettre des investissements supplémentaires pour améliorer ses capacités et ses marges». Mieux, l'analyste va jusqu'à avancer que la concurrence rendrait plutôt service au raffineur de Mohammedia. «Cela poussera l'entreprise à améliorer son organisation, ses processus de gestion et de couverture des risques pour sauvegarder des niveaux de marges confortables», argumente-t-elle. Enfin, la filiale du groupe Corral dispose encore d'un délai de grâce de 5 ans. Suffisamment pour verrouiller son marché et de se roder au jeu de la concurrence… qui s'ouvrira dès 2012, avec la libéralisation du marché des produits pétroliers raffinés. «À partir de cette date, les distributeurs auront le choix entre s'approvisionner chez nous ou importer directement, détaille ce haut cadre de la Samir. Mais vu leurs capacités logistiques limitées, nous écartons la possibilité d'un recours massif aux importations». L'esprit du maître En fait, la Samir a eu déjà à affronter une libéralisation avant l'heure. Et sait résolument de quoi l'avenir sera fait. Les inondations de Mohammedia et l'incendie qui a ravagé les installations techniques du raffineur en 2002 ont poussé l'Etat à ouvrir aux distributeurs les vannes de l'import, en supprimant provisoirement les droits de douanes sur les produits raffinés à grande consommation (Gazole notamment). Objectif: assurer la sécurité énergétique du pays. Un objectif qui a été bel et bien assuré, mais non moins sans encombres. Les distributeurs ayant du mal à suivre le flux croissant des importations, faute de capacité de stockage. «La Samir a déjà eu à tester les capacités des distributeurs. Et sait parfaitement que le marché ne peut se faire sans elle», précise ce professionnel du secteur. Cette assurance se reflète parfaitement sur le parcours boursier de la valeur Samir. Ni la sanction du CDVM, ni l'annonce de Amina Benkhadra n'ont eu d'impact sur le titre, qui reste stable depuis bien des mois autour des 600 DH. «Le flottant en Bourse de La Samir est détenu principalement par des investisseurs institutionnels qui ne cèdent pas à la moindre sirène. Car Samir est avant tout une valeur de fond de portefeuille», commente un gestionnaire de portefeuille action. L'identité de l'actionnaire de référence du raffineur est également de nature à rassurer le marché. Le Groupe saoudien Corral bénéficie d'une force de frappe inégalable incarnée par la forte personnalité et le poids de son propriétaire, Cheikh Mohammed Al Amoudi. Proche de la famille royale de l'Arabie saoudite, cet homme d'affaires éthiopien naturalisé Saoudien est considéré comme l'un des hommes les plus influents au monde. Avec une fortune estimée à 9 milliards de dollars, ce self made man âgé de 64 ans est l'homme le plus riche d'Ethiopie et la 43ème plus grande fortune mondiale selon le célèbre magazine Forbes. En plus de ses diverses activités dans la finance, l'homme trône à la tête d'un empire dans l'industrie du pétrole, dont les tentacules s'étendent du Moyen Orient, à la Scandinavie en passant par l'Afrique du Nord. «Samir a le dos solide et ne se laissera pas faire facilement», tranche notre gestionnaire de fonds. Pour le raffineur de Fédala, tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Jusqu'au prochain coup de semonce ? Mehdi Michbal Les ambitions de la future raffinerie Annoncé le 12 janvier 2010 par le ministère de l'Energie et des Mines, la future raffinerie de pétrole de Jorf Lasfar devrait bientôt entrer en chantier, pour un démarrage effectif à l'horizon 2015. Nécessitant un investissement d'environ 5 milliards de dollars, le projet intéresserait d'ores et déjà une pléiade d'investisseurs internationaux. The International Petroleum Investment Company, groupe pétrolier d'Abu Dhabi, a déjà officiellement manifesté son intérêt pour le projet. Et selon des sources du département de Benkhadra, le tour de table pourrait également comprendre des investisseurs locaux, voire l'Etat marocain, à travers son habituel bras armé, la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). Avec une capacité raffinage de 10 millions de tonnes par an, dépassant largement les besoins futurs du marché intérieur, l'unité de Jorf Lasfar cible d'emblée les marchés à l'export, qui devraient absorber 70% de sa production. Mais rien ne l'empêchera de marcher sur les plates-bandes de la Samir…