Modernisation de la petite distribution, guerre de positions dans la moyenne et grande… Le secteur est en ébulition. Au Maroc, 90% du secteur de la distribution est de nature informelle. Une situation qui pénalise le Trésor public, privé d'une manne fiscale conséquente. Le remède prescrit par le gouvernement se nomme «Plan Rawaj», stratégie intégrée pour moderniser le tissu des petits commerces, qui totalise pas moins de 30.000 points de vente. Modus operandi : accompagner, via des subventions, les traditionnelles épiceries dans leur démarche de mise à niveau. Pensée initialement par Salaheddine Mezouar, alors ministre du Commerce et de l'Industrie dans le gouvernement Jettou, le stratégie a été reconduite par son successeur, Ahmed Réda Chami, non après avoir reçu divers réaménagements et un nouveau nom de baptême, « Rawaj 2020 ». Concrètement, l'Etat se charge d'apporter une partie des fonds nécessaires à l'effort de structuration (correspondant généralement au tiers du budget d'investissement), le reste étant à la charge du commerçant lui-même. Une opération win-win : d'un côté, le commerçant dispose d'installations plus modernes et plus efficace, et de l'autre, l'Etat peut désormais percevoir les impôts et taxes dues sur le revenu de ce dernier. Car jusqu'à présent, aucune disposition légale ne l'y obligeait. Le cas Hanouty FinanceCom n'a pas attendu le plan gouvernemental pour se lancer dans une stratégie similaire, mais avec sa propre méthode. Celle-ci se nomme Hanouty, une enseigne de petite et moyenne distribution au concept novateur. Là encore, il est question de réaménager et d'équiper la petite échoppe (rayonnages, caisse enregistreuse, outils d'information, PLV, etc.). Là aussi, la relation est censée être win-win. Mais la contrepartie se fait au niveau de l'approvisionnement, qui doit désormais se faire exclusivement auprès de la centrale d'achat du groupe. Aujourd'hui, certainement pour des raisons évidentes de rentabilité, Hanouty enclenche la vitesse supérieure : désormais, les projets futurs de l'enseigne vont progressivement se concentrer sur les moyennes superficies, comprises entre 400 et 500 m2. Pour la petite histoire, au moment du démarrage de Hanouty, le groupe FinanceCom avait pris contact avec Metro, réseau d'hypermarchés spécialisés dans l'approvisionnement des petits commerces. Objectif : nouer un partenariat avec l'enseigne allemande pour en faire un fournisseur du réseau Hanouty. «L'idée était de profiter de la centrale d'achat de Metro pour approvisionner les points de venteHanouty, sans avoir à monter une centrale d'achat en propre. Mais FinanceCom essuya un refus net», raconte ce témoin de l'époque. Finalement, le groupe de Othman Benjelloun dut se résoudre à constituer sa propre structure d'achat. Quant au refus de Metro, il avait une raison toute simple : l'enseigne avait déjà dans ses cartons une stratégie plus ou moins similaire à celle Hanouty, quoique sensiblement différente dans les détails. Profitant de son expérience dans les relations avec les petits commerçants, Metro met au point un concept spécifique. L'objectif est toujours de contractualiser l'exclusivité de l'approvisionnement auprès de la centrale d'achat. Mais là, il n'est pas question de constituer un réseau portant l'enseigne Metro. La contrepartie de l'engagement des commercial du détaillant est la livraison gratuite de mobilier commercial, plus exactement un aménagement de magasin clés en mains, pratiquement du «prêt à exploiter». Metro a même eu l'audacieuse idée d'exposer un «magasin témoin» à l'entrée de ses hypermarchés, bien en vue de son achalandage habituel, première cible de l'opération. Un impératif : occuper le terrain Pour Marjane Holding, le leader de la grande distribution, les petits et moyens commerces ne figurent pas (pour le moment) dans la feuille de route stratégique. À côté de l'extension du réseau de ses deux marques (Marjane et Acima), celle-ci s'orienterait plutôt vers le développement de nouvelles enseignes spécialisées. Le premier exemple est l'ouverture du magasin Electroplanète à Marjane Derb Soltane. Comme son l'indique, cette grande surface est exclusivement consacrée à l'électroménager, famille de produits qui quitte du coup les allées de l'hypermarché attenant. Simple test ou véritable choix à long terme ? En réalité, Marjane Holding a d'autres chats à fouetter. Après avoir fait pratiquement cavalier seul pendant des années, Acima subit aujourd'hui les assauts d'un concurrent de plus en plus ambitieux. Nous avons nommé l'enseigne Label' Vie qui, depuis son entrée en Bourse, multiplie les ouvertures de supermarchés. La parade est somme toute classique : occuper le terrain là où il est encore vierge, et resserrer les mailles du réseau dans les axes stratégiques, en projettant quatre nouvelles ouvertures par an (entre les enseignes Marjane et Acima). La création de deux «Mini-Marjane», l'un à Khouribga et l'autre dans la station balnéaire de Saïdia, entre d'ailleurs dans cette vision. «Fini le temps de la mégalomanie, il s'agit de superficies de dimensions plus raisonnables, ne dépassant pas les 3.200 m2», fait remarquer un professionnel du secteur. Car aujourd'hui, davantage que la taille des surfaces, c'est la couverture territoriale qui prime : s'implanter autant que possible dans les petites villes et des régions jusque-là ignorées par la grande distribution. Mais Label'Vie est également résolu à concurrencer Marjane Holding sur le segment des hypermarchés. L'arme de conquête s'habille de la marque Carrefour, leader mondial de la distribution avec lequel le groupe Best Financière (contrôlé par la famille Bennani) a récemment signé un contrat de franchise. Ce partenariat inclut l'utilisation de la marque, mais aussi l'approvisionnement à des prix préférentiels en produits Carrefour. Un premier hypermarché sous l'enseigne française a ainsi vu le jour à Salé, et il devrait bientôt être suivi par d'autres ouvertures. En prenant ce tournant stratégique, le groupe Label'Vie veut d'abord atteindre une taille critique, pour gagner en «bargaining power», la force de négociation face aux fournisseurs… qui reste aujourd'hui à l'avantage de Marjane Holding. BIM et les réalités du terrain Car dans l'industrie de la distribution, le prix d'achat reste le nerf de la guerre. BIM l'a appris à ses dépens. Arrivé il y a environ six mois sur le marché marocain, le hard discounter turc ambitionnait de secouer le cocotier de la grande distribution. Un objectif illusoire quand on ne possède pas la taille nécessaire (à peine 19 unités) pour peser dans les négociations avec les fournisseurs. Et il a beau rogner sur ses marges, difficile pour BIM de rivaliser avec les étiquettes de Label'Vie et surtout celles du duo Marjane-Acima. Unique solution (partielle) trouvée : accrître la part de produits distributeur (MDD dans le jargon du secteur) dans son offre. Déjà, parmi les 6.000 articles référencés, 1000 sont des marques propres. Quid alors d'Aswak Assalam, troisième grand «player» du secteur ? Force est de constater qu'après un démarrage en fanfare, l'enseigne de Ynna Holding a bien ralenti la cadence. À titre d'exemple : les dates d'ouverture des hypermarchés de Oulad Ziane et de Belvédère, à Casablanca, axe stratégique s'il en est, sont incessamment reportées. Le choix de ne pas commercialiser de produits alcoolisés dans les rayons de l'enseigne ampute également son volume d'affaires d'une part non négligeable et compromet l'association avec une enseigne inernationale. Mais sur cette question, difficile d'imaginer que le groupe Chaabi finisse un jour par mettre de l'eau dans son vin… Imane Azmi