C'est devenu une rengaine. Lorsque les prix de l'immobilier flambent, que la TVA sur la LOA passe de 10 à 20% et que les taux d'intérêt bancaires grimpent, c'est aux classes moyennes d'encaisser. Leur niveau de consommation est arrivé à sa limite. Il faut raviver ses forces vives. Au Maroc, seules les populations pauvres et celles dites vulnérables ont été identifiées sur la base des grandes enquêtes réalisées par le Haut commissariat au Plan. Le chantier dans lequel se lance aujourd'hui les pouvoirs publics est celui de l'identification, encore plus, celui de l'émergence d'une classe moyenne. Si l'on en croit les orientations préconisées, les choses semblent aisées. Il est question d'accélération du rythme de croissance, du partage équitable des richesses et d'encouragement à des initiatives génératrices de richesses et d'emploi. Et qui dit croissance économique dit mobilité sociale, toutefois est-ce la tendance actuelle ? D'autant plus que lorsque l'on parle de classe moyenne, principale « baromètre » de la croissance, c'est au niveau même de la terminologie et du concept que l'on bute. Quels critères utiliser ? Quels sont les critères de détermination ? Auprès du Haut Commissariat au Plan, il est admis que c'est une catégorie socioprofessionnelle qui reste difficile à cerner. Une définition reposant sur le niveau de revenu n'est pas suffisante ; encore faut-il intégrer les modes de comportement ou encore le modèle de consommation. Exemple: le cas de l'artisan. Si l'on se penche sur son comportement social et sa culture, avec tout ce que cela implique de traditions et de valeurs, il est facilement assimilable à un représentant des classes moyennes. Cependant, en termes de revenus, ils sont pratiquement similaires à ceux des ouvriers qualifiés. La même interrogation subsiste pour l'agriculteur moyen. Ce qui pousse à croire que nous sommes face à «une exception marocaine». De même source, on admet que notre société relève de par sa configuration tant des sociétés patriarcales qu'agricoles. 32% des revenus du secteur agricole proviennent des villes. Par ailleurs, la dernière enquête sur la consommation a révélé qu'une catégorie sociale représentait les 20% qui ont augmenté leur niveau de consommation. Une consommation qui, comme le relève l'enquête, est saturée. S'agirait-il alors de la classe moyenne ? De celle qui, à partir des années 60-70, dans un contexte de forte urbanisation, constituait une force de revendications et un maillon intermédiaire de la société. «En termes de métiers, la grosse part était représentée par le corps de l'enseignement et l'Administration publique. Ensuite, cette classe moyenne s'est acheminée vers une confrontation avec des difficultés inhérentes à plusieurs facteurs», commente Abdelbaki Belfkih, universitaire anthropologue. Il poursuit ses explications : «tout d'abord, les niveaux de revenus n'ont pas connu d'évolution significative. Une fiscalité pénalisante Jusqu'à aujourd'hui, un instituteur dans le primaire plafonne à 5.000 DH. Il se trouve dans l'incapacité d'assurer un certain niveau de consommation, ne serait-ce que pour devenir propriétaire de son domicile ou encore posséder une voiture par voie de leasing. Un affaiblissement qui nivelle par le bas... Ensuite, pour cette même catégorie socioprofessionnelle, le système d'imposition reste lourd. L'enseignant est taxé à hauteur de 42% dans le cadre de l'IGR». Et ce, sans omettre de remettre sur le tapis l'inadéquation entre l'enseignement et la formation avec les exigences actuelles du marché de l'emploi. D'autant plus que c'est désormais le secteur privé qui est le principal créateur d'emplois. Un secteur résolument tourné vers des critères de sélection qu'impose la globalisation. «Ce qui se traduirait par une reconsidération du système politique dans son ensemble. Une modernité qui passe inexorablement par la modernisation de la classe moyenne. L'Etat se réserve la prérogative de tracer le canevas et laisse au secteur privé celle de le meubler», souligne notre expert. L'heure est au diagnostic et à l'établissement d'objectifs et d'actions. De plus, le Haut commissariat au Plan promet une étude d'ici à la fin de l'année, qui consistera en un outil d'évaluation de l'impact des actions gouvernementales. Un moyen destiné aux décideurs, afin qu'ils puissent évaluer leurs politiques et à l'occasion rectifier le tir. 3 questions à Driss Alaoui Mdaghri économiste et ancien ministre «La motivation des pouvoirs publics est à la fois politique et économique» Challenge Hebdo : À votre sens, qu'est-ce qui pousse actuellement les pouvoirs publics à mener cette réflexion ? Driss Alaoui Mdaghri : J'espère qu'il s'agit plus que d'une réflexion. La motivation des pouvoirs publics est à la fois politique et économique. Politiquement, une classe moyenne est le gage d'une certaine stabilité, en ce qu'elle témoigne de par son élargissement d'une certaine réduction des inégalités, qui sont le terreau naturel des violences. Les inégalités criantes ont longtemps caractérisé le Maroc. Insoutenables à un moment où la mondialisation implique une transparence. C'est aussi économiquement, la perception enfin, que sans classe moyenne, il n'y a pas de marché intérieur susceptible de consommer et donc de favoriser les investissements pour satisfaire ses besoins et accessoirement «enrichir» les investisseurs. CH : Quelle définition peut-on donner des «classes moyennes» ? DAM : Il n'y a pas de définition totalement satisfaisante, tant le concept est sujet à discussion. Vous avez raison de parler de classes moyennes au pluriel du fait de l'hétérogénéité des situations. Il est clair aussi que la classe moyenne ne couvre pas le même spectre de revenus dans un pays comme la France, l‘Espagne ou encore le Maroc. Le niveau de revenu ? Mais, ce n'est pas suffisant. Il y a aussi les modes de vie et de consommation, autant que les habitudes, les croyances et les idées qui laissent deviner l'appartenance à un groupe social déterminé. CH : Les critères relatifs aux modes de comportement des catégories socioprofessionnelles sont-elles déterminables? DAM : Bien entendu, comme cela se passe ailleurs. Ce n'est pas suffisant. Il faut y ajouter le rôle de l'éducation en tant que canal de transmission de valeurs moyennes dans le tissu social, à condition que le système d'enseignement ne soit pas défaillant ou ne soit pas le canal de transmission de valeurs extrêmes, comme c'est, hélas, souvent le cas. CH : Quelle serait l'approche ou la démarche envisageables pour favoriser la création d'une classe moyenne ? DAM : Ah ! Si ce n'était que l'affaire d'une simple démarche. Autrefois, l'accès à la fonction publique représentait une voie propice et rapide. Ce n'est plus le cas en raison du tarissement des recrutements et de la paupérisation croissante des fonctionnaires. Je crois que c'est, de plus en plus, un processus qui suppose la rectification de certaines situations qui brident l'esprit d'initiative et l'esprit d'entreprise. Et la correction de la distribution de revenus dans la société marocaine à travers des mesures idoines en matière de taxation pour une plus juste répartition des revenus et l'accélération de l'investissement qui crée des emplois et favorise, de ce fait, la distribution.