Je ne connaissais qu'un poète mauricien, Edouard Maunick, auquel il arriva d'ailleurs d'être primé lors d'un festival à Asilah. Edouard était un voisin avec qui je papotais et puis il est allé vivre en Afrique du Sud. Quel autre poète mauricien rencontrer dans un livre à défaut de le croiser dans la rue ? Tout est affaire de patience. Voici que je lis «La rive-errance», un recueil de poèmes signé Hassam Wachill et qui vient de paraître aux éditions Gallimard. L'émotion à laquelle invite ce poète mauricien est immédiate, tout à la fois énigmatique et féconde, profuse même. Des paysages se dessinent sous nos yeux, des couleurs qui semblent inventées par le langage tandis que des instants de vie sont revisités fugitivement et offrent une vue imparable sur un horizon intérieur. Jugez-en vous-même : «Si nous nous approchons d'un moineau, / Nous verrons notre cœur / Dans ses yeux. Alors nous restons / Loin, dans le vent./ Nous dormons sur un perron, / Dans ce vent-là. / Ainsi nous ne sentons rien. J'écoute ta voix / Je regarde ton visage que je ne vois plus». Jamais je n'avais lu un poème qui, tel celui-ci, rendît à ce point compte de l'irruption dans une journée de l'incalculé qui est aussi l'incalculable. Hassam Wachill possède le privilège d'accéder à ce qui défie l'explicitation. C'est bien cela, le prodige de la poésie, la capacité soudaine de cueillir dans le réel ce qui en même temps le dépasse et le soutient. On peut partager le chuchotement de qui nous rappelle : «Chacun a existé / même ceux / que le vent n'a pu retenir». On en partage l'étrange puissance suggestive, comme un rappel du fait que l'ordre des choses et le désordre des passions jamais n'effacent la primauté du visage d'autrui. Hassam Wachill nous promet : «Si tu peux lire dans mon cœur, / Tu verras tes propres yeux». Bien sûr, ce n'est pas à nous seuls qu'il s'adresse. Ses poèmes racontent allusivement une élection amoureuse, mais Wachill, comme tous les vrais poètes, étend son propos jusqu'au premier venu, ce «benoît lecteur» auquel Baudelaire faisait traverser enfers et paradis. Le charme de «La rive-errance» naît d'une succession d'aquarelles verbales dont les couleurs sont à rechercher sous nos yeux, et ce sont les couleurs de l'âme, les pigments de l'amour connu ou inconnu, perdu et retrouvé, disséminé et cerné : «La lune, elle ne nous voit plus./ Qui sait si nous sommes / Encore là. Une chanson entre dans/ L'air d'une autre chanson./ Mais, ne dénoue pas ta chevelure./ Notre maison s'est endormie / Dans nos bras». Longtemps professeur, Hassam Wachill est un poète qui pratique, en somme, une pédagogie de l'émotion. Le but ultime de son écriture a partie liée avec l'émerveillement conçu et manifesté dans sa cohérence chimiquement pure : «Des gens, des enfants / marchent, rient, / s'endorment / sur le sang luisant des vignes / de fatigue, / n'ont rien à part leurs yeux / pour rire, leur bouche pour pleurer. / De crainte aucune, d'espoir non plus: / agape des loups. / C'est le bien, c'est / se sentir chaque jour bleuir / comme ces prunes poudrées de légendes». On a compris que «La rive-errance» est un livre qui m'enchante. Précisément parce que Hassam Wachill témoigne d'un véritable pouvoir de réenchantement. Des saveurs et des émois que la lassitude ou l'indifférence friperaient, retrouvent sous sa plume leur vocation initiale. Le poème se désigne à nous comme la solution à la fois satisfaisante et inquiète. Il invite à la résolution douce et digne des conflits entre l'image de soi et les images du monde. Lire «La rive-errance», c'est accéder à un apaisement qui n'est pas niais, aviver une inquiétude qui n'est pas jouée, déployer un faisceau de questions dont chacune est comme la feuille d'un arbre à mots. L'Ile Maurice, au loin, ressemble à des souvenirs que nous en garderions.