«Cité des fleurs» est paru en 2009 chez un petit éditeur dont le nom de marque, «Le Mot fou», convient assez bien à ce troisième livre de Nadia Berquet, une nouvelliste d'origine algérienne. Ses deux premiers ouvrages «La sale odeur du bonheur» (2003) et «La guerre des fleurs» (2005) parurent aux éditions HB. Or, HB, c'était Huguette Bouchardeau qui se lança dans l'édition littéraire après avoir été à la tête du défunt Parti socialiste unifié auquel appartint Michel Rocard. Celui-ci devint Premier ministre et celle-là éditrice. Hélas pour l'honorabilité du PSU, Huguette Bouchardeau a raconté dans ses mémoires que son parti bénéficia un temps d'une aide financière de la Corée du Nord ! Ce pays étant une prison à ciel ouvert, on est resté estomaqué de cette connivence. Il fallait bien la littérature, cette Atlantide, pour aller voir ailleurs. Le Mot fou a été créé après la faillite des éditions HB par une de leurs jeunes collaboratrices qui ne voulait pas voir mourir le fonds. C'est avec des bouts de ficelle et beaucoup de sueur, mais sans le moindre sou en provenance de Corée du Nord que cette petite maison publie des livres pleins de vie (s). On y remarque le goût de faire entendre tous les bruits du dehors plutôt que de céder aux sirènes de l'autofiction. «Cité des fleurs» de Nadia Berquet m'a tout simplement épaté. Une voix juste, quelque chose de vivace et d'impétueux, un ton désolé, généreux et moqueur qui se patine de tendresse. Avec le même respect que s'il s'agissait de sauver ceux dont elle parle, la conteuse rassemble des courages mélancoliques et des défaites survenues dans des existences lézardées. On y rencontre des enfants, toute une tripotée de gosses qui deviendront Karim, 50 ans, Laila, 47 ans, Fadila, 47 ans, Abdel 45 ans, Sabah, 43 ans, Farid 43 ans, Sarah 42 ans… et on en passe, car ils sont vingt nés des mariages d'un père interpelé ainsi d'emblée : «Salut, vieux, je ne sais pas si tu te souviens de moi, ça fait presque quinze ans qu'on ne s'est pas vus. Enfin, que je ne t'ai pas vu, puisque c'est moi qui l'ai décidé». La narratrice ne manque pas plus de sens de la décision que de sens de la dérision. La maman, elle, se souvient de quand elle volait comme un oiseau sur son cheval, là-bas, en Algérie, si loin de la Dordogne. Des mères, il y en a plein «Cité des fleurs». Celle qui dit de son fils Yazid : «C'est de mon ventre que cet ogre est sorti ? Lui qui, petit, était grand comme un ongle. Avec un seul de ses poils, aujourd'hui, on pourrait ligoter un chameau». Il y a aussi Dada Fatna, dada étant le diminutif de jeda : grand-mère. Sa petite-fille a honte de ce que penserait Dada si elle la voyait devenue entraîneuse dans un bar. Nadia Berquet a les mots pour dire les destins bricolés de malheur et d'espoir incertain. Elle nous parle de Nanterre où Samir serre le cœur de sa mère en volant une moto. Les petits ou les grands débordements, la violence comme le chagrin, Nadia Berquet les raconte à la façon de qui parvient à ses fins. Ses personnages se débattent dans l'insoluble des vies bloquées, sauf qu'un rayon de soleil semble vouloir surgir de chaque phrase, comme si la littérature avait le pouvoir dont elle rêve. Les gens qui ont «mal pris leur tournant», la nouvelliste recueille leurs regrets tels de petits cailloux qui pourraient les mener sur un meilleur chemin. La vie n'est pas toujours rose mais avec du rouge et du blanc, en mélangeant bien, qui sait ? On se dit alors que Nadia Berquet nous invite à croire au pouvoir de cette expression «nos frères humains» dont l'irruption n'est pas exactement dans l'esprit du temps. Alors quoi ? Le jour où «Cité des fleurs» sera traduit en Corée du Nord, cela voudra dire que le monde va mieux…