abdellah baida : Critique littéraire Le colonialisme demeure une question brûlante dans l'histoire de l'humanité, une sorte de tache noire dans notre parcours sur terre. Peut-on considérer que ce passé serait dépassé ? Omar Mounir répond par la négative totale. Il pense que non seulement la page du colonialisme n'est pas encore tournée mais que c'est un phénomène actuel et futur. C'est à ce sujet qu'il s'attaque dans son dernier ouvrage intitulé « Les Colonialistes » (Essai, Ed. Marsam, 2010, 239 pages). Omar Mounir est l'auteur d'une douzaine d'ouvrages, essais et romans. Juriste de formation, il a d'abord enseigné pendant huit ans à la faculté de droit à Casablanca avant d'exercer le journalisme aux émissions internationales de Radio Prague en République Tchèque, tout en entretenant une activité de recherche sociale par la littérature. Installé à Prague, il s'est consacré à la littérature avec une oeuvre essentiellement romanesque composée de titres comme «S'en sortir ou mourir » (2001) ; « Deuxième franncesse » (1996), «Bou Hmara » (2008). Il a aussi publié quelques essais : «Dans l'intimité de l'écriture » (2007) ; «Les attentats de Casa… » (2004) ; «Nécrologie d'un siècle perdu » (2002)… Dans sa dernière publication, nous retrouvons les multiples facettes d'Omar Mounir : en tant que juriste, il connait très bien le droit international ; en tant qu'auteur de fictions, il a su prospecter l'âme coloniale. En quelques chapitres, l'auteur traque les colonialistes à pas de loup, partant de leur naissance en Europe sous forme d'esclavagistes avant l'autre abjection qu'est la colonisation jusqu'à de nouvelles formes issues des indépendances et aboutissant à l'appréhension des autres futurs monstres que nous cacherait l'avenir. Pour Omar Mounir, le colonialisme est l'invention de l'Europe mais le « vieux continent», comme il se désigne, ne «claironne pas sur les toits» cette performance, «sans doute, précise Mounir, par sentiment de culpabilité, en raison des ravages passés, présents et à venir du colonialisme ». Ceci dit, l'auteur affirme que « notre passé, notre présent et notre avenir ne peuvent se faire, bon gré mal gré, qu'avec l'Europe ». Partant de ce constat, il est vital de bien connaître « l'identité humaine et éthique » de cette partie du monde. Le travail minutieux mené par Omar Mounir s'attelle à ce périlleux examen. Il commence par une « radioscopie » de l'Europe d'où ressort que cette partie du monde brille par les feux de ses sanglantes guerres tout au long de son histoire. Par ailleurs, l'auteur rappelle ces empires coloniaux qui ont « animalisé » des peuples entiers, voire qui sont même allés jusqu'à pratiquer le génocide. Quand les nations ont eu leurs indépendances, le colonialisme continue encore ! Omar Mounir pointe du doigt certaines formes de ces prolongements. D'abord, Israël serait une « combine » et un « piège » qui perpétue la colonisation. Ensuite, les Etats-Unis, selon l'auteur, « constituent incontestablement un Etat et une société racistes » qui agissent dans le monde en «Etat gangster». Les événements historiques sont souvent convoqués pour illustrer et confirmer les propos de l'auteur. Le livre dégage un souci d'objectivité qu'il est possible de constater dès le titre : un intitulé comme « Les Colonialistes » désigne immédiatement une catégorie d'êtres humains, c'est-à-dire une réalité concrète, contrairement à un titre conventionnel comme «Le colonialisme» qui aurait noyé le discours dans des abstractions malsaines. Je cite cet exemple afin de montrer combien l'auteur qui a écrit par ailleurs un ensemble de récits est soucieux du choix du mot juste. Ceci dit, certains propos sont parfois difficilement soutenables même s'ils sont tout à fait justifiés en tant qu'objets d'un débat démocratique. En guise d'exemple, je cite une des explications qu'avance, avec précaution, Omar Mounir à propos de la crise qui touche actuellement le monde : «La question actuelle est de savoir si finalement la présente crise n'aurait pas aussi pour but inavoué de paupériser les populations en Occident, et d'en faire des candidats potentiels, faute de mieux et malgré eux, au peuplement et l'organisation des régions en colonisation» (p.227). Ceci amène l'auteur à s'avancer sur des pistes non encore explorées. Les deux derniers chapitres sont donc consacrés à des questionnements originaux : le dérèglement climatique peut-il constituer un prétexte à la recolonisation ? L'expulsion des musulmans hors d'Europe serait-elle possible ? Des questions existentielles auxquelles Omar Mounir répond avec une simplicité désarmante tant il tient à son credo : «Autant un problème est complexe, autant il faut être simple». Pour un sujet aussi épineux que la question du colonialisme (ou plutôt des colonisateurs), la voie choisie par l'auteur est celle susceptible de bien éclairer la question loin des extrémismes. C'est donc le livre qu'il fallait pour amener en douceur le lecteur à cogiter sur cette part de notre histoire, à réagir éventuellement et peut-être à participer au débat.