Projeté lors du FIDADOC à Agadir, le film «Slam, ce qui nous brûle» évoque les origines et l'esprit du mouvement slam. Cette nouvelle forme de poésie déclamée revisite la langue française et dépasse le cloisonnement social. Entretien avec Pascal Tessaud, le réalisateur. Comment avez-vous découvert le slam ? J'étais animateur dans une association pendant 3 ans dans la ville de Saint-Denis, en France, où j'ai découvert un des plus grands cafés slam de Paris. J'ai eu un coup de foudre immédiat, j'étais fasciné par cette nouvelle forme d'expression. Puis, Grand Corps Malade a sorti son disque, et mon projet de documentaire, que j'avais depuis longtemps, a été accepté par les télévisions. C'était une nécessité pour moi de faire ce film. Quelles étaient vos intentions dans la réalisation de ce documentaire ? Je n'ai pas voulu faire un film sur des stars inaccessibles mais sur un mouvement, pour transmettre l'envie aux autres de s'exprimer. Le film est un outil pédagogique pour montrer que la liberté d'expression est accessible à tous. Nous vivons dans une société où il n'est pas toujours facile de s'exprimer et le slam permet une libération de la parole. La force des soirées slam est dans l'écoute, dans le respect de l'autre, sans jugement ni hostilité. Cela encourage la création. Au travers du portrait croisé de 4 slameurs, Neggüs, Julien Delmaire, Hocine Ben et Luciole, vous mettez en évidence la diversité du mouvement slam. Comment cette forme d'expression a-t-elle pu attirer et séduire un public aussi divers ? Ce sont des gens qui sont déçus de plusieurs mouvements. La poésie contemporaine apparaît poussiéreuse, bourgeoise ou autiste. Le mouvement hip hop s'est dégradé, s'éloignant de la conscience politique du hip hop originel. Ces personnes ont eu envie de continuer leur culture dans un autre espace plus ouvert. Avec le slam, n'importe qui peut monter sur l'estrade pour s'exprimer librement. L'oralité permet un mouvement populaire accessible à tous, où se rencontrent différents mondes. Le slam permet une grande mixité sociale et intergénérationnelle. C'est une utopie de société face à la ghettoïsation des mondes. D'où vient le titre «Slam, ce qui nous brûle» ? Ce qui nous brûle, c'est ce qui nous anime, ce qui nous habite de l'intérieur et nous fait vivre. C'est une réponse à la stigmatisation des banlieues faite par les médias, suite aux émeutes de 2005 en France. Le mouvement slam a été fondé par un ouvrier américain, avant d'être repris par des enfants érudits d'ouvriers. Ce film était ma déclaration d'amour à la banlieue. Je voulais rendre à la banlieue sa dignité, par la culture, l'intelligence et l'ouverture d'esprit. Le slam est une utopie qui a marché, un métissage qui a réussi. Quel rôle peut jouer le slam dans la réappropriation de la langue française et dans la remise en question du dogme de la littérature française ? Beaucoup de personnes issues de l'immigration française sont littéraires. Elles digèrent la langue française, elles s'inscrivent dans la continuité tout en apportant leurs particularités selon leurs origines. Dans une société où tout est calibré et formaté, le slam est une résurrection de la langue française. C'est une contre-culture très libre, comme la Beat Generation dans les années 60 aux Etats-Unis ou les Zazous de l'après-guerre. Le slam est festif, insolent, provocateur et complètement libre. Il est dans la jouissance, dans le plaisir de s'exprimer et de jouer avec les mots. La culture n'est pas momifiée, elle se vit dans l'instant.