En septembre dernier, Jakarta organisait ses élections locales pour choisir les gouverneur et vice-gouverneur. Ce fut un moment historique puisque les électeurs ont élu, pour la première fois, un non musulman d'origine chinoise au poste de vice-gouverneur, laissant ainsi penser que les habitants de Jakarta sont plus enclins à accepter le pluralisme. Le ticket gagnant [...] Les Indonésiens ont voté en faveur du pluralisme en septembre dernier. En septembre dernier, Jakarta organisait ses élections locales pour choisir les gouverneur et vice-gouverneur. Ce fut un moment historique puisque les électeurs ont élu, pour la première fois, un non musulman d'origine chinoise au poste de vice-gouverneur, laissant ainsi penser que les habitants de Jakarta sont plus enclins à accepter le pluralisme. Le ticket gagnant se compose de Joko ‘'Jokowi'' Widodo, l'ancien maire de la ville de Solo, élu au poste de gouverneur, et de Basuki ‘'Ahok'' Tjahaja Purnama, l'ancien chef du département de l'East Belitung au poste de vice-gouverneur. Les deux élus ont acquis une réputation d'intégrité et de bonne gouvernance lors de leurs précédents mandats dans d'autres régions. Le ticket Jokowi-Ahok, symbole d'un travail d'équipe et d'une collaboration interethnique au niveau gouvernemental, est une première dans la vie politique de Jakarta. Que ce ticket ait gagné avec 53 % des votes a surpris bon nombre d'Indonésiens et semble indiquer que les électeurs ont préféré l'expérience à l'identité raciale ou religieuse. En Indonésie, certains groupes ont fait pression en faveur de l'intégration de la mosquée et de l'Etat comme Hizb-ut Tahir Indonesia, qui demande activement la mise en oeuvre de la charia ou des principes islamiques et d'un Etat islamique. Ces groupes ont bénéficié d'une grande attention dans la presse internationale. Pour autant, les musulmans indonésiens ne votent pas traditionnellement pour des partis islamiques. En effet, lors des élections précédentes, les partis islamiques n'ont obtenu qu'un un total de 15 à 20% des votes. Une étude réalisée en 2012 par le Centre de recherches Saiful Mujani a révélé que les quatre partis nationaux qui remportaient le plus de suffrages – le Partai Golongan Karya (le parti des groupes fonctionnels), le Partai Demokrasi Indonesia (le parti démocratique indonésien – Lutte) – le Partai Demokrat (le parti démocrate) et le Partai Nasional Demokrat (le parti national démocrate) n'étaient pas religieux. Ces éléments, parallèlement à l'élection de Jokowi-Ahok, suggèrent que les Indonésiens préfèrent une séparation de la mosquée et de l'Etat. Néanmoins, l'élection de Jokowi-Ahok a soulevé des critiques. En tant que vice-gouverneur, conformément à l'actuel décret du gouverneur, Ahok devrait Jennie Bev Chercheuse indépendante journaliste et chroniqueuse au The Jakarta Post et Forbes Asia normalement être considéré comme le ‘'président d'honneur'' de plusieurs organisations religieuses de Jakarta, et ce malgré son appartenance religieuse. Être ‘'président d'honneur'' implique que son nom soit inclus dans les descriptions du travail des organisations et qu'il assiste aux événements officiels qui se rapportent au rôle spécifique de ces organisations. Le Front des Défenseurs de l'Islam (FPI), un groupe extrémiste musulman qui se fait entendre, a soutenu qu'en tant que non croyant, Ahok ne pouvait pas pénétrer dans une mosquée ou diriger des organisations ou groupes islamiques. Le gouverneur Jokowi a rapidement résolu le problème et apaisé les esprits en déclarant qu'il allait révoquer le décret proscrivant cette fonction officielle des vice-gouverneurs.En ce qui concerne la question plus large de la séparation de la religion et de l'Etat, il convient de signaler que cette idée est traditionnelle en Indonésie. Feu le spécialiste islamique Nurcholis Madjid et feu l'ancien président Abdurrahman Wahid étaient de fervents défenseurs de cette séparation. Ils soutenaient que la religion devait être séparée de la gouvernance afin qu'elle puisse être maintenue à l'écart des intrigues politiques. Ils préconisaient également le pluralisme, au sein duquel les différences de religions et d'appartenances ethniques seraient acceptées. Dans son livre intitulé Islam and the Secular State in Indonesia (L'islam et l'Etat laïque en Indonésie), le spécialiste islamique Luthfi Assyaukanie souligne ce dont Madijid est convaincu à savoir qu'il est erroné de penser que seuls les partis islamiques peuvent améliorer l'existence des musulmans et l'islam. Il faut chasser de telles idées, soutient Madjid, car les musulmans doivent être capables de faire la distinction entre devoirs publics et devoirs privés. Il invite les lecteurs à s'écarter de la dichotomie islamique / non islamique et de pratiquer le pluralisme au quotidien. Cela peut se traduire par un vote pour un parti laïque ou pour un candidat laïque à la présidence ou au poste de gouverneur tout en respectant les valeurs islamiques dans la vie privée. Jokowi et Ahok ont créé un précédent. Si les habitants de Jakarta peuvent élire des dirigeants qui illustrent la non discrimination et le pluralisme dans l'action, d'autres régions le peuvent aussi. De telles collaborations dans la conduite des affaires exemplifient l'humanité sous son meilleur jour, là où les valeurs communes, et non une religion ou une appartenance ethnique, prévalent. * Tweet * *