Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re) découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs. Médine. Dernier épisode A J'ai quitté al hijaz avec mon fils Ibrahim par le même chemin d'où nous sommes venus. Au Caire, je me suis recueilli au sanc- tuaire d'al Azhar Acharif. J'ai rencontré le grand ‘alim ‘Ali al Ajhouri, qui me gratifia de la licence, ijaza, attestant mon savoir canonique. Il me sollicita pour la rédaction d'une épitre apologique de l'islam devant tant d'attaques qui le visent. Le voyage terrestre m'avait fatigué et j'ai préféré revenir par mer, en passant par Alexandrie. Nous fûmes escortés par la flotte du grand Turc contre les manœuvres des pirates de Malte. A Tunis, je suis descendu chez le Mufti de la grande mosquée, Sidi Ahmed Hanafi, qu'Allah le comble de ses bienfaits. Nous ne manquions de rien, par la grâce d'Allah. Le Mufti m'a parlé de l'action louable d'Osman Dey, qu'Allah Médine, je me suis recueilli sur le tom- beau du Prophète Sidna Mohammed, que la Paix soit sur Lui. Comment un homme, chassé de chez lui, proscrit, qui a pu, par l'amour, fédérer les Abyssiniens, les Perses, les Byzantins, et bien sûr les Arabes, pouvait-il prêcher la violence comme prétendent ses contempteurs ? Comment une telle œuvre peut-elle résister au temps et à ses effets corrosifs si elle n'avait pas de fondement solide ? C'était un homme qui a prêché l'amour, qui par l'amour, a fédéré les épris de justice, et son œuvre lui a sur- vécu, parce que son fondement est justice et charité. Serait-il responsable de ceux qui n'ont pas saisi son message ou l'ont dénaturé ? l'ait en sa Sainte Miséricorde en faveur des Morisques et du saint Abou al Ghaïth Sidi Qachach, qu'Allah Puisse agréer son action. Je me suis rendu à l'université de la Zaïtouna où j'ai rencontré de grands érudits. Après un séjour d'un mois à Tunis, j'ai demandé l'autorisation au Mufti Sidi Ahmed Hanafi pour partir et le sollicitai pour prendre soin de mon fils Ibrahim qui a préféré rester à Tunis. Il s'est marié avec une Morisque de la famille Sagunto. Je ne pouvais revenir, au Maroc, hélas, secoué par des dissensions et rivalités entre pré- tendants au pouvoir. J'ai pris le chemin de la partie sud, wajh qabli, jusqu'à Tozeur. Le Kahia, sur instruction du Bey me fit une pension qui me permet de vivre convenablement. Grâce à la petite bourse que me fit mon fils Hakam, que Dieu l'agrée, j'ai pu m'acheter un terrain que je cultive. Le métayer Gballi et son épouse Mabrouka, prennent soin de moi. A l'image des habitants noirs des oasis, ils ont le goût du travail, le sens du devoir et l'esprit de solidarité. Leurs enfants, avec leurs chicanes, égayent ma vie. Ils sont ma nouvelle famille. Le Prophète Sidna Mohammed, que la Paix soit sur Lui, ne dit-il pas que les créatures sont la famille d'Allah ? Toutes, sans exception et sans distinction de race, de religion ou de caste. J'ai remis à l'imam Chabbi, qu'Allah le bénisse et lui fasse voir en sa progéniture ce qu'il souhaite, mes livres et manuscrits et lui demandai, si je le précède dans l'Autre Monde, qu'on mette sur mon tombeau l'épitaphe que voici : Ci-git le serviteur d'Allah, le Misérable, qui aspire à la Miséricorde d'Allah, Ahmed, fils de Kacem, al Hajari, al Gharnati, al Andalousi, connu sous Chihab-Eddine Afouqay. Qu'Allah puisse le couvrir de sa Rédemption. Ainsi donc prend fin mon récit que j'ai voulu un témoignage d'une phase tumultueuse entre les deux rives, à travers le parcours qui fut le mien. La voix de Rodiès résonne encore en moi : « un jour on ne sera plus de ce monde, et il faut que quelqu'un témoigne de nous ». Rodiès avait raison, car de tout bord nous sommes vilipendés. Pour les Castillans nous fûmes de mauvais chrétiens, et pour certains Maures nous sommes de mauvais musulmans. Nous n'avons pu nous exprimer. Je fais ce témoignage pour comprendre ce fossé qui sépare les deux rives. Cette guerre qui infeste les rapports humains, qui met en péril le commerce des êtres, des idées et des objets, comment peut-on la comprendre si on ne se met pas à l'esprit le drame qui nous frappa. C'est une guerre abominable qui affecte, hélas, des innocents. Mais serait-il moins abominable le mal qui nous frappa ? Un jugement fut prononcé contre nous, en notre absence, à notre insu, où l'on n'a fait appel à nous que pour l'exécution de la sentence. Et si nous sommes des Espagnols, et si nous étions des chrétiens acculturés ? Tout comme nous sommes aujourd'hui des musulmans acculturés, et les Maghrébins devraient se résoudre à nous accepter pour ce que nous sommes, moins purs peut-être, mais plus riches. Certes, on ne peut refaire le jugement, ou si, pour l'Histoire, et combien sera grande l'Espagne si un jour elle récupère ses enfants, si elle les prend entre ses bras, les caresse, les cajole, alors à ce moment, tous les malheurs que nous avons encourus se dissiperont comme la brume que dissipe le soleil. Un geste de repentance suffira. Un geste. Pour nous, pour l'Espagne, pour des relations apaisées entre les deux rives. Un geste : une grande portée. Sinon, sinon on traînera notre malheur que des aventuriers exploiteront, contre nous, contre l'Espagne et contre l'humanité. Chaque matin, après la prière d'al fajr, j'étale mon tapis sur la terrasse de ma maison scrutant la lumière qui point de l'Orient. J'égrène mon chapelet et fredonne le vers d'Ibn Nahoui, fils de Tozeur, de sa fameuse ode al-mounfarija (éclaircie) : O tourments du temps vous finirez par vous dissiper ; Et toi nuit, les lumières de l'aube te chasseront sous peu. les caresse, les cajole, alors à ce moment, tous les malheurs que nous avons encourus se dissiperont comme la brume que dissipe le soleil. Un geste de repentance suffira. Un geste. Pour nous, pour l'Espagne, pour des relations apaisées entre les deux rives. Un geste : une grande portée. Sinon, sinon on traînera notre malheur que des aventuriers exploiteront, contre nous, contre l'Espagne et contre l'humanité. Chaque matin, après la prière d'al fajr, j'étale mon tapis sur la terrasse de ma maison scrutant la lumière qui point de l'Orient. J'égrène mon chapelet et fredonne le vers d'Ibn Nahoui, fils de Tozeur, de sa fameuse ode al-mounfarija (éclaircie) : O tourments du temps vous finirez par vous dissiper ; Et toi nuit, les lumières de l'aube te chasseront sous peu. Editions Bouregreg. Prix:80DH Disponible dans toutes les librairies. * Tweet * *