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Le Morisque par Hassan Aourid | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 06 - 09 - 2012

Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re)découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs.
Vue de la Kaaba.
La vie continuait son cours. Il fallait la regarder autrement puisque je n'étais plus jeune. Je venais de dépasser la cinquantaine et ma vision devint de plus en plus détachée de la vie courante. Par pudeur je n'avais osé parler des miens dans ce récit. Hakam, mon fils, approchait de la trentaine. Il a fait preuve de grand sens dans les affaires et investit dans les soieries. Il s'est marié avec une fille de la famille Dinia. Il était très lié avec Douga qui a détint sur lui. C'est peut-être lui qui l'a financé à ses débuts. Je soupçonne que son esprit libre, il le doit à Douga. Zaïneb, ma fille s'est mariée avec le teinturier Galès, qui a changé son nom en Khalès. Ahmed a préféré s'installer à Tétouan où il s'est lié avec une fille de la famille Torrès. Ne restait que le petit Ibrahim qui devint mon compagnon et confident. Douga me préoccupait. N'est-il pas un frère pour moi avec qui j'ai vécu l'un des plus marquants épisodes de ma vie ? J'ai essayé de le détourner de la piraterie, avançant que c'est une occupation ignoble et dangereuse. A chaque fois, il avançait un argument, qu'il avait des dettes, et qu'une fois payées, il laisserait tomber la mer, qu'il se convertirait à autre chose. Mais il aimait la mer plus que tout, et il était considéré par tous. Le sort de la ville ne l'avait pas laissé indifférent. Tout l'argent qu'il avait c'était pour l'œuvre de Rodiès quand les Andalous de la médina étaient éprouvés par l'embargo. Il avait reporté sur Fennich l'admiration qu'il avait pour Rodiès. L'argent ne fut jamais une fin pour lui. Il avait ses habitudes, qu'Allah puisse l'absoudre de ses péchés où il dépensait sans se soucier.
A l'approche du printemps qui a suivi la mort de Fennich, Douga était content d'écumer l'Océan. Cela le changerait de l'ambiance morose qui a suivi la mort de Fennich. Il m'avait promis que cela allait être la dernière fois, qu'il allait faire du négoce avec Hakam, et qu' il allait même « compléter sa religion », allusion faite au mariage.
Il sortit avec les premiers forbans au mois d'avril. Deux mois après, un bateau qui l'accompagnait nous fit le récit terrible, quand aux larges de Madère, ils furent pris en cible par un feu fourni d'un bateau anglais. Ils furent pris au dépourvu, parce que les Anglais étaient des alliés. Le fait de surprise les déstabilisa. L'équipage fit preuve de courage inouï. Ils se battirent jusqu'à épuisement des munitions. Les Anglais investirent le bateau, l'accrochage fut rude, et après les mousquets, ils étaient venus aux sabres. Ils ne restaient que quatre membres de l'équipage et Douga s'est battu comme un lion. Dépassés par le nombre des Anglais, armés de surcroît, ils furent pris. Les représailles furent atroces. Douga et les trois autres furent jetés à la mer. Les Anglais l'ont fait devant le regard médusé de l'équipage de l'autre bateau pour qu'ils rapportassent aux autres le châtiment qui les attend. Les chrétiens ont coalisé leurs efforts contre les corsaires musulmans.
A la nouvelle de la mort tragique de Douga, j'étais tombé malade et avais du mal à officier le prêche du vendredi pour longtemps. A chaque prière d'al Fajr, je prie pour l'âme de Douga. Qu'Allah le couvre de sa Rédemption et de sa Miséricorde.
Tozeur 1642
C'est dans cette petite oasis de Tozeur du Chot al Jarid, dans le sud tunisien, que je jette mon bâton de pèlerin, après moult péripéties. Je cultive un jardin dont je ne verrai probablement pas les fruits. Je plante des palmiers, et dans le travail de la terre je trouve un bonheur intense. Quelque bédouin arabe, en chéchia rouge derrière son troupeau, altère la monotonie du jour avec sa flûte. Ses chants de ghazal m'emplissent d'une joie immense.
Plus me plaisent les tumultes des grandes villes. Plus me plaisent les hypocrisies des êtres. Le soir, dans la mosquée du village, qui atteste d'un génie architectural unique avec son minaret octogonal, je fais ma prière du coucher du soleil et égrène de mon chapelet le dhikr. L'imam Chabbi est d'une compagnie agréable. Il joint à son érudition, un sens moral des plus élevés et une grande sensibilité esthétique. Souvent, il m'invite autour du mets local d'entrecôtes d'agneau cuits sur le brasier à petit peu qu'ils appellent ici qucha. Nous parlons de Fiqh, d'Histoire, de littérature, et le soir il égaye nos soirées par la récitation de poésie, en tout genre, de mémoire ou de sa composition. Le village a gardé une tradition savante. Il regorge de mémoire. Un carrefour de pèlerins, de Saints, d'oulémas et de commerçants. A chaque saison de pèlerinage, la ville, lieu de passage obligé des pèlerins de l'Occident musulman, se remplit. Sa composition démographique atteste de ce brassage, de même que la richesse de ses bibliothèques. Sur mon chemin d'aller à la Mecque j'avais adopté la ville, et sur mon retour, je l'ai élu domicile définitif. Dieu soit loué, j'ai accompli le cinquième pilier de l'islam. Je me savais prêt depuis que la mort rôdait autour de moi et m'avait pris les êtres les plus chers. Après Douga, vint le tour de ma femme Lalla Taja, qu'Allah l'ait en Sa Sainte Miséricorde. Elle a succombé à ses bronchites répétées dues à l'air marin de Sala. Elle fut une femme vertueuse. Elle m'a couvert de son affection. Elle m'a donné raison de vie au moment où je n'en avais pas. Elle a ancré mon attachement au Maghreb. Où que je sois, ici à Tozeur, à Marrakech ou à Telemçan je me sens chez moi, grâce à elle. Elle fut ghariba comme moi, extirpée de son milieu pour être livrée à un monde qui n'était pas le sien. Fille de concubine, vendue dans quelque marché d'esclaves, elle devait, comme c'est la coutume, faire un trait sur son passé. La vie de sa mère commence dans le harem du cadi Regragui, qu'Allah les couvre tous de sa Miséricorde. Elle fut fille de seconde catégorie du Cadi. Irais-je jusqu'à dire que c'est pour cela qu'on me la proposât comme épouse ? Allah aime rassembler les ghuraba. Qu'Allah la couvre de Sa Sainte Miséricorde.
J'ai pris le chemin terrestre de l'itinéraire nord vers la Mecque, avec mon fils Ibrahim, en passant par Fès, Telemçan, où je me suis recueilli à Ribat al Ubbad (le couvent des dévots) sur la tombe de Sidi Boumediene al Ghawth, grand mystique du Maghreb, qu'Allah me fasse bénéficier de sa baraka.... Ici, à Tozeur les deux convois côtier et saharien des pèlerins se rejoignent.. Nous continuâmes par Tripoli, la Cyrénaïque, le désert égyptien, puis le Caire, et de là nous sommes sortis avec le cortège des pèlerins d'Egypte, du Soudan, de la Corne d'Afrique et du Zanzibar. La sortie du cortège est un grand cérémonial, non seulement parce que le Caire est le lieu de rencontres des musulmans du Maghreb et d'Egypte, mais c'est là qu'est confectionné le tissu dont se pare la Kaaba, la kiswa. Tout comme une princesse ou une femme mariée, la Kaaba doit être couverte. Elle est identifiée à un être, et dans le Maghreb on l'appelle toujours Lalla Mekka. Ce n'est pas un lieu mais la rencontre de l'être aimée. La rencontre de soi. Le lieu n'est qu'un symbole. Nous traversâmes le désert du Sinaï, et de là nous primes le bateau vers Yanbu'. Les caravanes étaient fréquentes entre Yanbu' et la Mecque. A quoi bon parler de la rapacité des bédouins qui soutirent les pèlerins ? Parle t-on des épines à chaque fois qu'on parle de roses ? A l'approche de la Mecque je m'étais débarrassé de mes habits pour mettre un pagne qui ne me distingue guère des autres pèlerins. Mais j'étais débarrassé auparavant de mes passions, de mes chimères, de ce que le Coran appelle al Hawa, tout ce qui pousse l'être à la chute. Le Moi confine à la chute. En me
Porte El khemis à Marrakech.
déshabillant pour me draper d'al ihram, je me dépouillai du Moi et de mes passions. A la vue de la Kaaba, je n'ai pu me retenir. J'y ai vu les êtres aimés et pleurai. J'ai pleuré à chaudes larmes. J'ai pleuré les miens, les Morisques, victimes des pires horreurs, j'ai pleuré mon père, ma mère, ma sœur Zahra, ma femme, Jaïmi, Douga, Rodiès, Fennich, Antati qui, j'ignore, s'il est toujours de ce monde. J'ai prié aussi pour Eugénie. Ne lui dois-je pas le changement profond qui s'est opéré en moi à l'égard de la chrétienté ? Ce fut étrange que deux êtres parmi ceux qui me sont chers au monde soient sans sépulture, Rodiès et Douga et que deux êtres qui ont changé ma vision des choses fussent disparus à jamais, Antati et Eugénie. Au premier, je dois la raison qui a démythifié ce qui s'opérait devant moi, à la deuxième, l'amour qui a recollé un monde déchanté et lui a conféré un sens.
Je répétais, avec ferveur, « Labaïk Allah », je réponds présent à Allah, à ses enseignements ici et ailleurs, maintenant et pour toujours. A lui seul, je rends grâce. En faisant ma prière au Maqam Ibrahim j'ai compris la signification de l'appel du pèlerin, la talbia.. C'est maqam, rang, et non lieu. On ne peut être proche de Dieu, comme le fut Abraham que si, comme lui, on sacrifie ce qui nous est le plus cher. Subitement, j'ai eu comme une révélation. Je m'étais rappelé ce que j'avais lu jeune, dans un monastère en Andalousie, à l'adresse des pèlerins : « Ne quitte ce lieu que si tu changes ». C'est cela la philosophie d'al Hajj. J'ai compris, à ma manière, l'obligation qui incombe au musulman d'accomplir le hajj pour celui qui en est capable. Il ne s'agit pas seulement de capacité physique ou matérielle, mais aussi psychologique. Ceux qui sont prêts à abandonner leurs passions pour un amour transcendant. Le chemin que j'ai parcouru n'est qu'un chemin parmi tant d'autres. Le juif, le chrétien, le bouddhiste, ou même le ma-adri (agnostique) pourraient emprunter les leurs pour qu'on se rencontre tous dans un amour transcendant. La religion, pour celui qui va à son essence, est élévation. Elle est terrible quand elle devient un support identitaire. Elle confine au déni de l'Autre et à sa diabolisation, alors en son nom, on tue, on massacre, on brûle, on saccage... J'ai vécu les méfaits de l'Inquisition et les travers du Jihad. Le petit jihad. Au nom de l'Inquisition, on fut chassé de chez nous; au nom du jihad, le marabout ‘Ayachi allait décimer la petite communauté de Sala le Neuf.
Le moment le plus important dans le pèlerinage est le stationnement dans le mont ‘Arafa. J'ai vu dans ces moments de recueillement une communion extraordinaire. Sans cette communion il n'y a pas de Hajj. Vivre pour soi n'est pas vivre. Ce rituel est plein de sens et d'enseignements. Au coucher du soleil, j'ai marché jusqu'au lieu de rencontre, Muzdalifa... Quels que soient nos chemins, on finit par se rencontrer quand on fait partie d'une communauté de destin... Après la prière, j'ai étalé ma natte et me suis allongé. J'ai mis ma tête sur mes deux mains et dormis profondément.
A la première nuit à Mina, j'ai fait un premier songe. Je me voyais serein et heureux. Le deuxième jour, j'ai vu en rêve une belle fille, drapée de blanc. « C'est moi, dit la voix, ta sœur chérie. Je suis Zahra. Donne- moi ta main. » Je l'ai prise dans mes bras et lui ai baisé la main.
- Tu m'as beaucoup manqué chérie, lui ai-je dit.
- Nous voilà ensemble, Ahmed. » Elle m'appelait par le prénom que mon père m'avait donné.
Je me suis réveillé le visage ébloui. Je me suis levé et me suis dirigé vers une petite tente qui faisait office de lieu de prière. Quelques pèlerins y dormaient encore. J'avais envie de les réveiller et crier : j'ai rencontré l'être chéri...
Le lendemain, j'ai marché jusqu'à la Mecque pour les dernières circumambulations. J'étais comblé.
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