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Le Morisque par Hassan Aourid | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 06 - 08 - 2012

Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re)découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable, ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs. épisode 8
La Giralda à Séville avec son minaret à l'époque almohade (1198). En 1400, transformée en église, elle est dotée de cloches et retrouve son aspect définitif en 1568 sous laRenaissance. La Koutoubia de Marrakech a débuté sous la dynastie des Almoravides en 1120 et profondément remaniée à partir de 1162 .
A Marrakech, nous devions loger, Jaïmi et moi, dans un foundouq situé dans l'aire des dignitaires de la cour, Derb Pachay (que la prononciation locale avait contracté en derb dabachi). La ville me frappa par son architecture sobre d'inspiration saharienne, même si les intérieurs des maisons empruntaient au style raffiné andalous. L'espace de la ville est ponctué de jardins et de vergers entretenus par des rigoles qui dégoulinent des montagnes, grâce à un système perfectionné de retenues d'eau et d'aqueducs qui remonte aux Almohades. La culture des jardins est si ancrée qu'elle me fît penser à l'âge d'or de l'Espagne musulmane. Le minaret de la Koutoubia me rappela la Giralda. J'imaginais Séville du temps de la splendeur de l'Islam en Espagne. Ce mariage heureux, entre la sobriété almohade et le raffinement andalous qu'incarne Marrakech, me frappa. Il est peut-être l'origine du génie de cette cité.
Le mercredi, jour d'audience ou Diwan, où le Sultan reçoit les dignitaires, nous devions nous présenter à l'entrée du Palais Badii par la porte Bab Brima. Nous longions un long couloir qui aboutit à une chicane. Nous trouvions les éléments des kobjis qui nous remirent aux auxiliaires de Jawdar Pacha. Il ne tarda pas à faire apparition. C'est lui-même qui procéda aux fouilles avant l'entrevue avec le Sultan. Il m'aborda en castillan, mais rien ne dégageait chez lui la passion ou la compassion. Placide et froid à l'extrême, il ne me posa aucune question relative à ma foi, ni aux raisons de mon transfuge. De tout cela, il n'avait cure. Je me déshabillai en sa présence. Il m'ordonna de me déchausser. A voir son visage, le mien, la langue de communication, on avait l'impression que la scène se produisait quelque part en Espagne. Il me lança froidement :
Ne parle au Rey que s'il te parle. Mets-toi en retrait de deux coudes de lui. Puis il appela Jaïmi. Il procéda au même exercice de manière impersonnelle.
Le palais El Badi été édifié à la fin du XVIe s par le Sultan Ahmed al-Mansur Dhahbî . Aujourd'hui, il ne reste qu'une immense esplanade creusée de jardins, plantée d'orangers et entourée de hauts murs.
Des éléments qui relevaient de lui, nous escortèrent à un pavillon attenant aux alcôves d'entrée, appelé le pavillon vert. Il était orné de zellige avec différentes formes géométriques qui rappellent la splendeur de l'Espagne musulmane. En haut, le plâtre incrusté rappelait les alvéoles d'Alhambra. Une fraîcheur se dégageait du pavillon, grâce à un mouvement d'air des différentes entrées et les couloirs en coude. Les hauteurs de l'espace contribuaient à la majesté du lieu. Les toits étaient en bois de cèdre ciselé. On nous indiqua un qaws, qui faisait office de salle d'attente. Nous y trouvâmes le grand cadi de Marrakech, Regragui. Au seuil du pavillon, il se leva et me prit dans ses bras. Bienvenue cher frère en islam, en terre d'islam. Que la Paix soit sur toi et sur ton compagnon, que la compassion de notre Prophète, l'intercesseur, le jour où il n'y aura d'intercesseur que lui, vous couvre. Que votre venue soit un bon augure pour que l'Andalousie revienne au giron de l'Islam. Qu'Allah puisse, par ton acte et celui de ton compagnon, glorifier l'œuf de l'Islam. Que notre glorieux Sultan puisse accomplir un acte qui rendra à l'Islam sa force et sa splendeur
Je n'ai pu retenir une larme. L'émotion était forte. Jaïmi semblait perdu mais non moins enchanté par tant d'égards. On nous offrit des gâteaux, des jus, et je me laissais conter par le cadi. Il parla de la splendeur de l'Espagne musulmane, du grand jurisconsulte Ibn Hazm, du juriste Chatibi. La mémoire de l'Andalousie est restée vive chez les lettrés et hommes de cour maures. Un homme d'âge avancé, de petite taille, les joues émincées, entra. Le cadi se leva en guise de respect, le salua en dessinant une courbe. Il nous le présenta :
C'est le secrétaire, historien et poète de la cour Sidi Abdelaziz Fechtali, qu'Allah nous fasse bénéficier de sa bénédiction. Le secrétaire nous lança un regard bienveillant. Il était visiblement bien en cour. La suite nous le montra. Il lâcha des vers sur l'Andalousie pour détendre l'ambiance.
Bénis vous êtes, ô gens de l'Andalousie Eau, ombre, rivières et arbres, Le paradis n'est autre que dans vos contrées Je ne choisirais de paradis que le vôtre. Vous n'encourrez point de géhenne.
Il n'y a point d'enfer pour celui qui a connu le Paradis. Le paradis est devenu, hélas, un enfer. Jaïmi me pria de traduire. A la fin de la traduction, il esquissa un sourire narquois. Le poète en cour et le cadi s'échangeaient les amabilités quand un kobji fit irruption : Fechtali, secrétaire de Notre Seigneur Baba Ahmed, le Victorieux, le Doré, qu'il se présente au Seuil chérifien. l se leva avec zèle malgré son âge.
Ce fut le silence. tel un verdict qui tombe, l'exécution ne tardera pas. Mon cœur battait.
Après quelques minutes qui furent une éternité, un autre kobji nous aborda.
Les hôtes de Notre Seigneur Baba Ahmed, le Victorieux, le Doré, qu'ils se présentent au Seuil chérifien à la grande coupole al-qobba khamsinia.
Le kobji se mit devant, nous le suivions, le cadi Regragui, Jaïmi et moi-même. Je me penchai sur l'oreille du cadi et lui soufflai si je pouvais prononcer un panégyrique en l'honneur du Sultan.
Le Sultan aime les louanges, surtout venant d'étrangers. Sachez qu'il va vous rebaptiser. C'est la coutume même si vous êtes musulmans.
Nous traversions une grande enceinte au milieu de deux jardins en contrebas. L'allée qui traverse les deux jardins tout en marbre, mène à un grand bassin alimenté d'eau courante. L'enceinte est agencée de manière symétrique, avec, au milieu le grand bassin, deux jardins, de part et d'autre, deux petits bassins latéraux qui entourent le grand pavillon des audiences. Pareillement, face à la salle d'audience de l'autre côté du grand bassin, il y avait deux petits bassins qui entourent l'espace privé du Sultan que surplombe une coupole en cristal, appelée al qobba zujajia. Face au pavillon vert se dresse l'espace intime du Sultan qui porte le nom de la favorite, qobat al khaïzourane. Au milieu de chaque côté de l'enceinte se dresse un pavillon auquel était assignée une fonction. L'espace vert servait de cabinet de travail avec une mosquée qui abritait les manifestations religieuses. Al qobba Khamsinia servait de salle d'audience. Le pavillon en cristal était l'espace privé du sultan. Le harem, quant à lui, était domicilié à la qobat al kaïzourane, attenant aux dépendances du Palais, avec cuisine, lieux de provisions en sous-sol et dépôt d'armes. Entre le harem et le pavillon en cristal, un grand arc mène au jardin privé du sultan appelé douiria. Je contemplais ces lieux où je passerais plus d'une dizaines d'années. Notre marche, Jaïmi et moi, était ponctuée de haltes par un signe du kobji qui nous escortait. L'allée qui borde le bassin était jalonnée par une haie d'artilleurs du corps de l'armée d'Andalousie commandée par Jawdar Pacha, avec leurs bottes à la castillane, des capes rouges et des couvre- chefs en casaque, ornés de plumes d'autruche et des centurions en soie, à la turque. Aux portes de la qobba al khamsinia, se dressaient de part et d'autre deux éléments des Bayacks, avec leurs lances, ajoutant au prestige de la cérémonie et inspirant crainte et effroi. Le pavillon khamsinia était appelé ainsi par ce qu'il mesure cinquante coudées de chaque côté. Il se distingue des autres pavillons par ses dimensions et par son raffinement. La porte était ciselée avec des rosaces et des formes géométriques élaborées, incrustée de morceaux d'ivoire. L'intérieur était couvert d'une bande de tissu dit hiti, dorée avec, en frise, de belles calligraphies en louange au Sultan et en description du Palais Badii. Le Palais, dont les vers qui ornent la qobba, se targue de sa beauté et de son raffinement et du maître d'ouvrage, en l'occurrence le Sultan al-Mansour. Tradition assez fréquente chez les Maures qui font parler les lieux prestigieux, construits par leurs sultans, vizirs ou dignitaires. A l'intérieur du pavillon, derrière une fontaine en marbre blanc d'où jaillissait un petit jet d'eau, on pouvait distinguer un homme que surplombait un dais porté par un bayak, entouré à sa droite de trois généraux des trois corps, les Spahis, les Aljes et l'armée andalouse, et en léger retrait le Khaznadar. A sa gauche le poète de la cour, al Fachtali, légèrement en retrait. En arrière-plan du mur en zellige, l'eau dégoulinait du plafond d'une petite fente d'une coudée de largeur et alimentait des petits ruisseaux dans le parterre en marbre et en zellige. La voix du kobji me sortit de mon émerveillement :
- Baissez vos yeux, vous êtes devant le Sultan.
Subitement une voix de stentor d'un kobji nous annonça :
- Les hôtes de Notre Seigneur, Moulay Ahmed Le Victorieux, le Doré, Fierté de l'Islam, son Glaive brandi, l'ombre de Dieu étalée sur terre, qu'Allah allonge sa vie et perpétue par ses bienfaits son Souvenir.
Le Kobji nous fit signe de nous arrêter.
Une voix enchaîna :
- Les deux rescapés que Notre Seigneur a bien voulu baptiser Chihab-Eddine (flambeau de la religion) et Azzeddine (gloire de la religion) et qui ont fui l'oppression des mécréants qui se sont emparés de l'Andalousie, Allah les maudisse et qu'Allah la rende au giron de l'Islam.
Puis des kobjis crièrent, à l'unisson, trois fois :
« Qu'Allah glorifie Notre Seigneur et lui vienne en aide ».
Le kobji nous fit signe de le suivre.
Je jetais un regard furtif sur celui dont l'ombre devait me couvrir. Le Sultan était à la cinquantaine, grand de taille, plutôt élancé, son regard dégageait une intelligence vive et une grande assurance. Il esquissait un sourire à notre vue. Un sourire de satisfaction, car nous concourrions, Jaïmi et moi-même, à son prestige et à son aura devant ses sujets, ses ouléma et ses rivaux turcs. La nouvelle devrait être transmise dans les mosquées de la ville et un crieur public traverserait les rues annonçant la nouvelle.
Nous nous courbions au rythme du kobji qui nous précédait. Je me suis rappelé l'injonction de Jawdar Pacha de nous mettre en retrait du Sultan. Jawdar était là, le regard indifférent, presque las, avec ses touffes de Castillan qui lui tombaient sur les oreilles.. Je surmontai mon trac et prononçai les paroles que je devais dire. L'émotion était telle que je ne me rappelais plus au juste ce que j'avais dit. J'ai en mémoire la réplique du Sultan devant la bizarrerie que nous étions. Des reliques vivantes au même titre que les linceuls pour les dévots chrétiens de la Castille.
Le Sultan interloqué, laissa échapper une réflexion en s'adressant au poète de la cour et du cadi de Marrakech :
- C'est tout de même étonnant qu'il y ait, encore, en Andalousie des gens qui parlent l'arabe comme des al- faqihs.
Les deux dignitaires hochèrent de la tête comme s'ils connaissaient la réalité des choses en Andalousie et les affres des Morisques. Je ne fus pas moins flatté par les propos du Sultan.
Le Sultan fit un geste de la tête et un autre kobji au seuil du portail, presque invisible, se lança dans une voix de stentor :
- Le Sultan Baba Ahmed le Victorieux, le Doré, Qu'Allah lui donne victoire sur ses ennemis, a décidé de nommer Chihab-Eddine secrétaire à sa cour près du poète Fechtali, et Azzeddine, soldat de l'Islam dans l'armée d'Andalousie relevant de Jawdar Pacha.
La séance prit fin. Nous nous retirâmes à reculons.
Le kobji chargé du protocole nous emmena à un petit pavillon (qaws) vers la porte d'entrée officielle, bab rkham, dont les arcades sont en marbre. Elle donne sur la Casbah almohade qui abritait, dans le temps, leurs palais et qui abrite aujourd'hui les dignitaires saâdiens. D'habitude, l'entrée se fait par la porte de bab rkham. Les auxiliaires quant à eux, rentrent par la porte dérobée de Brima.
-Attendez ici dans le pavillon, nous dit le kobji, Jawdar Pacha et son kahia vont vous rejoindre. C'était le kahia, son lieutenant, qui vint nous voir avec deux éléments du Khaznadar. Ils nous remirent deux bourses d'argent. Ainsi Jaïmi -je ne me suis pas habitué à son nouveau nom- fut enrôlé auprès de l'armée de Jawdar Pacha. Il devait participer à une expédition contre des tribus rebelles dans le Haha d'où il ne reviendra plus. Une balle l'avait terrassé.
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