Hassan Aourid, plus connu comme personnage public que comme auteur, nous livre une version romancée de l'histoire des Morisques, musulmans d'Espagne forcés à la conversion du temps de l'Inquisition. Chihab-Eddine, le personnage dont l'histoire est racontée a réellement existé, mais l'auteur l'a rendu plus humain en imaginant, tout en restant très fidèle à l'Histoire, les aspects qui font la différence entre un repère historique et le parcours d'une vie avec tous ces petits détails d'émotions, de rêves et de questionnements qui font l'homme. Le Soir Echos vous propose de découvrir ce roman tout au long de l'été en épisodes quotidiens, pour (re)découvrir cette période de la grandeur de l'Islam et vous évader en compagnie de personnages au verbe haut et à la pensée profonde.Bien que l'histoire se passe au XVIe siècle, les ressorts philosophiques qui l'animent, transposés dans un contexte contemporain restent d'une actualité vivace. Un livre qui grâce à l'érudition de Hassan Aourid, écrit dans un style agréable, ne manquera pas de captiver l'attention des lecteurs. épisode 7 Ce fut trois jours de voyage d'Azemmour aux faubourgs de Marrakech. Nous empruntions le chemin des caravanes menant à Marrakech. Nous devions y arriver le lendemain de l'aïd Adha, la grande fête du sacrifice. C'est sur les rives du Tensift que le Sultan a choisi de recevoir l'hommage des tribus, des notables, des généraux et dignitaires du Makhzen. Quelques poches de la peste ont été décelés ici et là dans la grande capitale et ont décidé le chérif d'installer son campement à la lisière de Marrakech six mois auparavant. Nous devions glaner ces informations de notre accompagnateur. Nous précédait une cohorte de protecteurs, les zettats. A chaque étape, la tribu mitoyenne nous procurait les provisions nécessaires, la mouna. Nous devions pour éviter les grandes chaleurs voyager à l'aube et une partie de la nuit. La première nuit aux faubourgs d'Azemmour dans la Haouzia fut édifiante par les constructions en amas de pierre sous forme pyramidale que les habitants appellent tazuta ou tazuka. Elles ont des caches souterraines qu'ils nomment tufri. Le paysage après la plaine du Doukkala devenait inhospitalier, avec ses plateaux désolés, des collines rouges et quelques arbustes par ci par là et les poches de verdures qui longent la rivière Oum Rabie. Nous le franchissions sans problème, même si, pendant la saison des pluies, nous dit-on, il devient infranchissable en dehors des gués aménagés. Aux alentours de Marrakech, le paysage offrait plus d'attrait, puis la palmeraie s'étalait à perte de vue. Les palmiers élancés présentaient un paysage pittoresque, avec des jardins cloisonnés par des murs en pisé. Sur un plateau à la bordure du Tensift se dressait le campement sultanien. Des tentes à n'en plus finir entouraient l'enclos du sultan, l'afrag, en forme de dôme. L'afraq ressemblait à des constructions en dur avec des haies en tissus qui faisaient office de mur, tissés d'inscriptions et d'ornements qui rappellent les formes géométriques andalouses. Les cloisons étaient transpercées par des fentes qui faisaient office de portes.En retrait du campement, il y avait l'armée du Souss. Les cavaliers des tribus, à eux seuls, formaient un contingent de vingt cinq mille cavaliers. Quant au corps d'élite, dit l'armée andalouse, il était doté du meilleur armement disponible. Il était formé de renégats espagnols, portugais, francs, napolitains, vénitiens et autres… Je devais en savoir plus sur ce corps que dirigeait un compatriote que le destin avait amené dans ces contrées, Jawdar Pacha. La garde rapprochée du Sultan était constituée de Spahis sous la houlette de Mostapha Bey, qui formaient l'escadron d'honneur du Sultan composé des Bayakes, des Solacks et des Baldarouches, appellations turques qui dénotent l'influence ottomane sur la cour d'al-Mansour. Le dispositif militaire et sécuritaire du Sultan m'impressionna. Je n'avais jamais vu pareil attroupement militaire. Avec une force pareille, m'étais-je dit, le Sultan pourrait récupérer l'Andalousie. Nous fûmes, Jaïmi et moi, pris en charge par des éléments du Khaznadar, Mahmoud Pacha qui gérait les affaires domestiques de la cour. Nous devions loger dans une tente, dans un campement réservé aux dignitaires. Aux heures de repas, les auxiliaires de cuisine, les chouchris nous ramenaient différents mets succulents, avec des fruits de saison. Je n'avais jamais goûté raisin aussi bon que celui des jardins de Marrakech. On tâchait de ne pas nous éloigner du campement. On savait qu'on était sous observation. L'échéance d'une audience avec le Sultan était reportée à chaque moment. En fin de matinée, un jeune auxiliaire, wasif, venait poliment à ma tente pour me dire que le Sultan allait nous recevoir. Je finirais par comprendre que l'attente est un mode de gestion des êtres et une manière de marquer la prééminence du Sultan. Elle contribuait à créer chez la personne qui attend un état d'esprit passif et à auréoler la personne attendue. Aux premières fraîcheurs d'autonome et les nouvelles plutôt apaisantes sur le recul de la peste, le Sultan décida de lever le campement de sa mhalla pour Marrakech. La veille de la levée du campement du Sultan un remue-ménage gagna les différents corps. Toute la nuit, soldats et serviteurs démontaient les tentes, chargeaient effets et provisions, dans de grands sacs appelés tellis et dans des grandes malles. Seul était préservé l'afrag, espace privé du sultan qui ne devait être démonté qu'après son départ. Ses effets personnels étaient acheminées par les portiers, les kobjis, chaque groupe étant chargé d'une mission précise, qui, des ablutions, qui, de la literie, qui du brasero, qui de la cuisine…. Nous nous sommes faufilés Jaïmi et moi, de notre campement pour observer les préparatifs du départ. - Tu vois la force des musulmans, ai-je lancé à l'adresse de Jaïmi. - C'est impressionnant, Pedro, mais mon idée à moi est que les Maures ne peuvent gagner la guerre comme ça. - Comment donc ? - Le nombre ne fait pas une armée. Les Maures sont désorganisés, ils font la fête chaque soir et ne commencent le service qu'en milieu de journée. - Parce qu'ils travaillent la nuit. - Valé, j'ai vu comment ils travaillent la nuit quand toi tu dormais. - Comment donc ? - Comme je n'arrivais pas à dormir un jour à cause de la chaleur, je suis sorti faire un tour et un aide de camp m'a invité. - Et comment vous vous êtes entendus ? - Par les signes. On est partis loin du campement du Sultan dans une maison d'un caïd dans la palmeraie. Il y avait des auxiliaires du Sultan, et là ils se sont amusés… - Et tu t'es amusé avec eux ! - Un peu. J'ai juste bu. - Quoi ? La Kasbah de Boulaouane dresse ses remparts au dessus-de l'Oum Er Rbia, non loin de Settat et d'Azemmour en pays Doukkala. - Moi Pedro, je deviens musulman petit à petit. Pas d'un coup. C'est dur. Et puis les Maures qui sont d'anciens musulmans ne sont pas complètement musulmans. Comme les chrétiens en Espagne. La religion dit une chose et ils font autre chose. J'étais sidéré. Je voulais en savoir plus sur l'aventure de Jaïmi - Et qu'est ce que tu as fait d'autre ? - Rien, il y avait des filles qui chantaient. Je comprenais rien à ce qu'elles disaient. Elles dansaient du ventre aussi. L'aide de camp parlait à une fille qui s'est entichée de moi. Ils riaient et moi je souriais. J'ai compris, après coup, qu'il lui avait dit que je n'étais pas circoncis et j'ai ri. - Et comment as-tu fait pour comprendre ? - Par les signes, la fille m'a fait un signe du coup de ciseaux des doigts en désignant le bas ventre et j'ai fait un signe par la négative de la tête. - Mais c'est grave Jaïmi, ils vont penser qu'on est de mauvais musulmans et ils risquent de le rapporter au Sultan. - Ça les dérange pas Pedro, ils sont pas bons musulmans eux non plus, et il y a beaucoup d'Andalous, de Francs, de Portugais qui sont musulmans pour la forme… Les Maures sont habitués… Et d'ajouter : - T'as raison, ils m'ont invité juste pour savoir. Il y avait un soldat de l'armée de l'Andalousie, un Renégat espagnol qui traduisait pour l'aide de camp. Il voulait savoir si t'es bon musulman. Je lui ai dit que t'es un al-faquè, moi je lui ai dit que je voulais être soldat chez moi en Espagne, mais qu'on voulait pas, parce que j'étais nouveau chrétien. J'ai rien à cacher, si ça me plaît pas ici je repars chez moi. J'ai pas envie d'être circoncis. - C'est fini, Jaïmi, tu ne pourras jamais revenir dans ta terre natale. - Quoi ? - Les Maures ne te laisseront pas et les Castillans te tueraient si tu leur tombais entre les mains. Jaimi dormait quand on procéda, tôt le matin, à la mise en place de la mhalla du Sultan. L'armée, dite du Souss, s'est mise en branle aux premières lueurs du matin, présidée par son caïd à la tête d'une cohorte de cavaliers, appelés Bakbachis. Après l'armée du Souss vint celle de Chraga, avec le même dispositif. Les deux armées formaient le corps d'élite des armées des tribus. L'armée régulière était composée des Aljes (l'équivalent d'Eulche, en Andalousie) sous le commandement de Mahmoud Pacha, et l'armée andalouse était sous le commandement de Jawdar Pacha. Le premier était turc, le deuxième, renégat espagnol converti à l'islam. Les deux armées marchaient en parallèle. A la mi-journée, les Spahis, reconnaissables par leurs cuirasses, se sont mis en mouvement, précédés par le bruit du tambour et de la trompette. Des auxiliaires du khaznadar nous ont montré l'emplacement de nos montures, Jaïmi et moi, à l'arrière du cortège. On avait droit à deux chevaux barbes. Mostapha bey, caïd des Spahis en tête de peloton, portait une bannière blanche, connue sous la bannière victorieuse (al-liwa' al-Mansour). La sortie des Spahis annonce le Sultan qui sort en escadron d'honneur qui l'entoure, formé par les Bayaks en hauts de -forme jaunes, avec plumes d'autruche en panache et dont un élément porte le dais autour de la monture du Sultan. Le dais est un attribut de souveraineté. Autour des Bayaks, les Solaks forment de part et d'autre, une gaine autour du cortège du Sultan. Ils se démarquent par leurs casaques et leurs ceinturons. Enfin les Baldarouches, reconnaissables avec leurs lanciers. La marche du cortège était ponctuée par une musique martiale, tambours battant et trompettes. L'arrière du cortège est formé d'auxiliaires et de porte- étendards. Jaïmi et moi, escortés par des éléments du Khaznadar, qui ne nous quittaient pas d'une semelle, suivions le cortège sultanien qui rentrait à Marrakech, après une longue absence. La ville s'était parée de ses beaux atours pour recevoir son Sultan, le Victorieux. Ainsi aimait-il s'appeler. * Tweet * * *