Le gouvernement Benkirane continue de nier la crise dans ce contexte peu rassurant où les inquiétudes sur la santé de l'économie nationale enflent. Les déficits cumulés sont tellement inquiétants que l'endettement dû au transfert de bénéfices à l'étranger risque de devenir structurel. Ne trouvant pas la porte de sortie de crise, le gouvernement a fait appel en catimini à une armada d'experts européens. Le déficit budgétaire devrait tourner autour des 8 % cette année, sous le poids de l'aggravation de l'endettement extérieur. Mais où va-t-on? Pour éviter de répondre « droit au mur », cette question s'impose d'autant plus que l'indice de confiance des ménages et des chefs d'entreprises est au plus bas. Une question d'autant plus insistante que le gouvernement Benkirane, semble-t-il, a perdu la boussole surtout qu'«on a pas cherché à faire face à cette situation de crise et à laquelle on devrait d'ailleurs s'attendre», affirme l'économiste Abdelkader Berrada et de déplorer que le gouvernement, voyant venir la crise, n'a pas eu le courage de l'avouer. «Pourquoi on a masqué la réalité?», se demande-t-il. Le Centre marocain de conjoncture (CMC) verse dans le même sens dans sa dernière publication : «l'économie marocaine a subi à retardement les effets de la crise (…) Malheureusement, aucune politique anticipative anti-crise n'a été mise en place prétextant la forte résilience de l'économie». Le FMI moins transparent L'économiste Berrada taxe du doigt aussi bien le gouvernement que le FMI « qui ne joue que partiellement la carte de la transparence et dont les rapports sur la situation économique nationale étaient optimistes, mais pas au point de tirer la sonnette d'alarme ». Même son de cloche auprès du CMC. «Les institutions internationales dont le FMI en particulier ont manqué à leur devoir. À quelle logique sonts elles soumises ? Comment ne pas prévoir la crise déclenchée il y a cinq ans aux Etats-Unis ? Comment ne pas tirer la sonnette d'alarme pour éviter le pire? La crédibilité de ces institutions -malgré leur «activisme»- est fortement entamée», note-t-on. Aux yeux de Berrada, la crise est bien là. En attestenombre de signes avant-coureurs, pour ne citer que l'appel au secours de bon nombre d'experts internationaux y compris la Banque mondiale. Ne trouvant pas la porte de sortie de la crise, le gouvernement a fait appel en catimini à une armada d'experts européens qui séjournent durant ces jours aux hôtels de la capitale politique, comme le témoigne le professeur à l'Université Mohammed V de Rabat. Maniant un discours où tous les problèmes sont prioritaires, le gouvernement Benkirane a péché, souligne -t-il. Pour la simple raison qu'on ne peut pas s'attaquer à tous les maux en même temps. Abdellatif Jouahri, le vrai ministre de l'Economie La situation est telle que le système politico-économique roule à deux vitesses. Le chercheur explique que pour la première fois de son histoire, le Maroc fonctionne avec deux départements distincts de l'économie et des finances. Pour dire simple, d'une part il y a Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des finances et Driss El Azami El Idrissi, ministre du Budget. De l'autre on trouve Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib. Berrada pense que le souverain, d'ailleurs président du Conseil des ministres, fait plus confiance au wali de la banque centrale. En témoigne la conclusion du dernier accord conclu avec le FMI. Cet accord portant sur l'octroi au Maroc d'une Ligne de précaution et de liquidité (LPL) de 6,2 milliards de dollars par le FMI a été signé également par Jouahri en plus de la tutelle. «Ça n'a été jamais le cas», rappelle Berrada. Pour mémoire, cette ligne de précaution et de liquidité représente l'équivalent de 700 % de la quote-part de notre pays dans l'institution de Breton Woods, déboursable , le cas où, sur une durée ne dépassant pas les deux ans. Dans la foulée de ce contexte peu rassurant, les inquiétudes sur la santé de l'économie nationale enflent. Et ce ne sont pas les chiffres qui manquent pour tirer au clair la vulnérabilité des perspectives économiques et financières. Les fortes tensions sur les liquidités bancaires prêtent déjà le flanc à la critique. Au mois de juillet dernier, le volume des injections de BAM s'est élevé à 72,9 milliards de dirhams vu que le besoin de liquidités bancaires est porté à 71,1 milliards de dirhams, au lieu de 60,5 milliards un mois plus tôt. Sur le chapitre des finances publiques, force est de constater que les caisses se retrouvent à sec! Le déficit budgétaire est évalué au terme du mois de juin à près de 21,4 milliards de dirhams contre 11,2 milliards un an auparavant. La sortie internationale prévue dans les deux mois prochains pour levée de fonds risque de peser lourdement sur l'endettement extérieur. Déjà à fin juin 2012, l'encours de la dette extérieure a été chiffré à 98,8 milliards de dirhams, soit une légère hausse de 0,2 % selon le ministère des finances comparativement à fin 2011. Eu égard à la relation étroite entre le déficit budgétaire et la dette publique, Berrada prévoit que le ratio de la dette publique par rapport au PIB est appelé à croître davantage. Mais comment expliquer le creusement éventuel de la dette extérieure et partant l'aggravation du déficit budgétaire qui devrait tourner au tour des 8 % cette année, à en croire l'économiste. Pour lui l'endettement par le transfert des bénéfices à l'étranger va devenir structurel. Les flux sortants des IDE dépassent les flux entrants. ALE Maroc-UE mal négocié Résultat : la balance des paiements accuserait un déficit de l'ordre de 9 % cette année. A l'origine de cette tendance, les conséquences de l'accord « mal négocié » de libre-échange Maroc Union européenne, pour reprendre les propres termes du professeur. Détaillant que cette coopération bilatérale profite plus aux Européens notamment en termes d'investissements, avant de mettre en cause le pouvoir et les capacités de négociation de la partie marocaine, contrairement à la Tunisie à l'époque de Ben Ali qui a su arracher plus de concessions en recourant à bon nombre d'experts de renommée mondiale. Plus grave encore, Berrada met a nu la structure même de ces IDE qui sont tournés essentiellement vers le marché local, c'est-à-dire la demande interne. Une situation qui ne favorise guère l'entrée de devises mais plutôt leur sortie. Tel est d'ailleurs le cas aujourd'hui. Et si un constat devrait être tiré de cette situation, c'est que, toujours selon la même source, les points de croissance gagnés ces dernières années avaient profité le plus aux opérateurs économiques étrangers. Caisse de compensation : une réforme anti-économique Face à la crise budgétaire actuelle, la réforme de la Caisse de compensation envisagée n'est qu'un coup d'épée dans l'eau. Surtout que les charges de compensation sont invitées à grimper davantage en ligne avec le renchérissement des cours de matières premières sur le marché international. Déjà, au terme des sept premiers mois, ces charges avaient totalisé 26,2 milliards de dirhams contre 24,6 à fin juin 2011, soit un un alourdissement de 6,5 %. L'expert estime que Benkirane et ses troupes sont à bout de courage politique. Le pétrole et le sucre, explique-t-il, bénéficient de monopoles absolus, ce qui laisse dire que ces rentes de monopole sont à l'origine de l'explosion des charges budgétaires et les mesures prises par le gouvernement pour colmater la brèche sont jugées anti-économiques et anti-sociales. De l'avis de l'expert, le particulier est doublement pénalisé. D'abord parce qu'il est consommateur, ensuite en tant que contribuable. Il recommande ainsi de raisonner dépenses de compensation nets d'impôts. Et de revoir à la baisse les charges fiscales, pour ne prendre que l'exemple de la taxation des produits pétroliers. Mis à part le poids lourd de la Caisse de compensation, il conseille de rationaliser la gestion des dépenses publiques. Il prône à titre d'illustration de mettre de l'ordre dans la gestion du parc Auto public estimé a près de 110 000 unités, soit un des plus élevés de par le monde. Etayant ses propos, l'économiste, précise que l'Etat est le premier client de la SAMIR (Société anonyme marocaine de l'industrie du raffinage). 40 MMDH d'arriérés fiscaux Autre grand chantier que le gouvernement reste toujours incapable de mener à bien celui de la fraude et de l'évasion fiscales. Berrada estime que les arriérés fiscaux totalisent la somme de 40 milliards de dirhams (8 MMDH de TVA, 7 MMDH d'IS et 5 MMDH d'IR). Les gros contribuables (publics ou privés) doivent la bonne partie de ces arriérés nets de contentieux. Avant de conclure, ce denier lance un appel à ces gros maquereaux se prévalant d'être citoyens et socialement responsables de faire preuve au moins de patriotisme économique. il invite in fine le gouvernement en guise d'audace politique de présenter publiquement le rapport évaluant l'efficacité des recouvrements fiscaux lors de l'examen du projet de loi de Finances comme ce fut le cas en France. Profil macroéconomique en détérioration L'année 2012, comme nous l'avions annoncé dans une de nos éditions précédentes, demeure une année no limit et dans tous les sens. L'instabilité est tellement chronique que l'équation pour la Banque centrale est de savoir comment réguler les équilibres «sans prendre le risque de réveiller le démon de l'inflation dont la maîtrise a nécessité beaucoup d'efforts», se demandent les conjoncturistes. Au vu de la dernière décision gouvernementale consistant à revoir à la hausse les prix des produits pétroliers, le CMC prévoit d'ailleurs l'accentuation des tensions inflationnistes. Le scénario retenu table sur une hausse du coût de la vie de plus de 3%. De ce fait l'aggravation des deux déficits jumeaux (budgétaire et courant) doublée de la reprise des pressions inflationnistes portent à croire que le profil macroéconomique affiche une tendance à la détérioration. Le taux de croissance de 2,4 % prévu par le Haut commissariat au plan (HCP )pour cette année, n'est pas fortuit. Au tassement prévu de la demande intérieure, le fléchissement du PIB agricole de 9,3 % en glissement annuel, la décélération à 2 % des recettes touristiques et à 4 % des transferts des Marocains résidant à l'étranger (MRE) viennent s'ajouter d'autres facteurs perturbateurs cette fois externes, à l'exemple de la récession qui a touché de plein fouet la zone euro notre premier partenaire économique. D'après les prévisions établies, cette zone connaîtrait au terme de cette année une croissance négative (-0,25 %). À tout cela, il faudra ajouter la chute remarquable des avoirs extérieurs nets qui se sont chiffrés à fin juin 2012 à plus de 140 milliards de dirhams contre près de 174,5 milliards en 2011, soit une dégringolade de 16,8 %. Les économistes alertent que les réserves en devises ne couvrent actuellement que près de 3 mois d'importations, seuil d'alerte selon les analystes. À noter enfin que la conjoncture industrielle sème aussi les doutes. À fin juin, les exportations de textile et celles de l'électronique se sont repliées respectivement de 2,9 % et 11,2 % en une année. Le secteur de l'automobile n'a pas pu échapper non plus marquant ainsi un ralentissement à 6,1 % contre plus de 41,8 % sur la même période de référence. Dans ce contexte peu porteur, l'industrie nationale avait perdu au seul premier trimestre 2012 plus de 38 000 postes d'emplois, selon le HCP. Bouclons la boucle, les espoirs sont rivés sur le projet de loi de Finances 2013. Cette loi, de l'avis des conjoncturistes, «doit relever plusieurs défis, particulièrement celui du retour à une croissance soutenue». * Tweet * *