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Economie : Déficit budgétivore !
Publié dans Le temps le 18 - 04 - 2011

La maîtrise du déficit budgétaire commence à donner de sérieux ennuis aux autorités monétaires, plus que jamais confrontées à cette quadrature du cercle.
Fini le temps où l'orthodoxie financière était érigée en dogme. La sauvegarde des équilibres macroéconomiques très chère à l'ancien ministre des Finances, le Socialiste Fathallah Oualalou, n'est plus qu'un beau souvenir. Laisser cotonner le déficit budgétaire à un taux de 2% du PIB ne rime plus avec les temps qui courent. D'autant que le Maroc cherche à donner des signaux positifs aux investisseurs, marocains et étrangers, pour gagner leur confiance.
Porter le taux de croissance à 6-7% ne saurait être possible sans un effort d'investissement conséquent. D'où la question de la soutenabilité budgétaire, dont l'un des plus ardents défenseurs est l'Usfpéiste Habib El Malki, président du Centre marocain de conjoncture (CMC). En quoi consiste-t-elle ? «C'est la capacité d'une économie à absorber sans rupture un déficit générateur de croissance, et donc d'emplois.»
En période de crise économique, comme celle que nous vivons, il est souvent conseillé de creuser un peu plus le budget, dans la limite du soutenable, pour relancer les investissements et la consommation au lieu de rester figé dans une doctrine limitative. C'est un choix que beaucoup de pays ont fait : il vaut mieux creuser le budget pour relancer l'économie que de sombrer dans la crise et la déprime. Déjà en 2010, le déficit budgétaire a avoisiné les 4,5% du PIB, soit 35 Mds DH, et cette année encore il devra atteindre les 3,5%, selon les projections initiales de la Loi de finances 2011 (un déficit de 5-6% reste encore soutenable avec un ratio de la dette en deçà de 60%).
Bénédiction du FMI
Il faut dire que cet éloignement de la sacro-sainte orthodoxie financière n'aura été possible qu'avec la bénédiction du Fonds monétaire international (FMI). Seule condition : que ce déficit serve à financer l'investissement productif et alimenter la croissance. Au vu de la conjoncture actuelle, marquée par une rallonge de 15 milliards de dirhams supplémentaires pour la Caisse de compensation (dont le budget s'élève ainsi à 32 milliards de dirhams, soit 4% du PIB) et une promesse d'embauche dans la fonction publique de près de 4300 jeunes détenteurs de doctorat et de master (le projet de décret vient d'être entériné lors du dernier conseil des ministres), il n'est pas certain que la prévision préalablement établie d'un déficit budgétaire de 3,5% soit respectée.
D'aucuns avancent qu'il devra culminer à 5,2%. Ce que Salaheddine Mezouar, ministre de l'Economie et des Finances, réfute, arguant que la prévision initiale sera maintenue, en dépit de ces nouveaux éléments. D'où la question qui se pose avec insistance : d'où viendra l'argent pour pouvoir financer les dépenses imprévues au titre de la compensation et du recrutement des jeunes diplômés qui au passage vont gonfler la masse salariale publique, représentant déjà 12% du PIB. Pour l'instant, aucune réponse précise n'a été formulée, bien que l'argentier du royaume ne cesse de répéter à qui veut l'entendre que le différentiel sera financé par une compression des dépenses de fonctionnement de l'Etat et des administrations publiques.
Une réduction de 10% du budget qui leur est alloué serait-elle possible, sachant que la loi de finances prévoyait d'ores et déjà une réduction de 10% ? Fort des économies de 8 milliards de dirhams réalisées en 2010 sur ces mêmes dépenses, M. Mezouar s'attaque cette fois-ci frontalement au train de vie de l'Etat, dont il reconnaît à demi-mot qu'il vit au-dessus de ses moyens. D'ailleurs, en 2009 déjà, lors de l'élaboration du projet de Loi de Finances 2010, M. Mezouar refusait de parler d'un budget anti-crise, au moment où nos partenaires européens, frappés de plein fouet par la crise économique et financière, se serraient la ceinture et déclaraient la guerre au gaspillage. Les choses ont changé depuis, et le ministre des Finances se voit aujourd'hui acculé à admettre la dure réalité. Mais il refuse toujours de parler d'austérité, lui préférant le terme de «rationalisation des dépenses».
Austérité forcée
Au-delà de la terminologie utilisée, un resserrement des dépenses et des charges de l'administration ne pourrait à lui seul combler le déficit qui s'annonce. Etant conscient, M. Mezouar parie aussi sur le bon comportement des recettes fiscales, dont les rentrées devraient dépasser les prévisions initiales, reconduisant ainsi le scénario des années précédentes (une croissance à deux chiffres en 2008 et une plus value fiscale de 9 milliards de dirhams en 2010). Dans cette perspective, M. Mezouar joue plus sur la fibre nationaliste des contribuables et plus particulièrement des entrepreneurs en les invitant à s'acquitter convenablement de leurs obligations fiscales vis-à-vis de l'Etat. Pourvu que ce vœu pieux ne
tombe pas dans l'oreille d'un sourd.
Au lendemain de l'annonce de l'injection supplémentaire de 15 Mds DH pour soutenir le pouvoir d'achat des citoyens et faire face à l'envolée des cours des matières premières sur les marchés internationaux, surtout des prix de pétrole, les interrogations ont fusé de toute part sur la source de financement de cette enveloppe. Les hypothèses les plus farfelues ont fait jour : certains évoquent qu'elle sera puisée dans le budget d'investissement, d'autres parlent plutôt de recettes de privatisations, etc. Ni l'un ni l'autre. Il aura fallu attendre un bon bout de temps avant que l'argentier du royaume ne sorte de son mutisme et explique dans une déclaration à l'agence Reuters que le financement proviendra des niches d'économie dans le budget de fonctionnement de l'administration publique et d'une hypothétique hausse des recettes fiscales.
Autre interrogation qui se pose : fallait-il dans ces conditions et au vu des changements intervenus procéder à l'établissement d'une nouvelle loi de finances ? Pas du tout, s'empresse de répondre le porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri. «Il n'y a pas de lieu de réviser la Loi de finances, puisque la dernière mesure (Ndlr, baisse de 10% des charges de l'administration) est une économie de dépenses et non un dépassement du budget», dit-il à l'issue de la dernière réunion du conseil de gouvernement. Traduisez : la baisse décidée a trait à la politique de gestion que le gouvernement est apte à décider sans une révision de la Loi de finances. Soit ! Mais quid de la réaffectation entre les rubriques du Budget, c'est-à-dire le redéploiement des postes de fonctionnement ?
A ce niveau, il a été précisé que les 10% de baisse décidée concerneront les charges de location de véhicules, la réduction de la fréquence de séjour à l'étranger pour les agents de l'Etat (séminaires et congrès notamment), le contrôle des factures de téléphone, etc. Tout compte fait, les économies qui pourraient être dégagées ne dépasseraient, selon le calcul du département des Finances, les 3 milliards de dirhams. Insuffisant pour combler les besoins de la Caisse de compensation et faire face aux dépenses des nouvelles recrues de l'administration. Dans ce cas de figure, deux options se présentent : le recours à l'endettement ou à la privatisation.
Marge de manœuvre
Il faut dire que pour l'une comme pour l'autre solution, le gouvernement dispose d'une confortable marge de manœuvre. Et pour cause, l'endettement reste contenu dans des proportions correctes, en dépit de la dernière sortie sur le marché international pour lever un milliard d'euros, soit aux alentours de 50% du PIB. Qui plus est, la dette extérieure ne représente que 20% de la dette du Trésor. «Monter à une proportion de 25% ne va pas trop bousculer la structure de la dette», estime un économiste.
Toutefois, au regard de la tension actuelle dans la région et les difficultés économiques dans certains pays européens, (Irlande, Portugal, Espagne et Grèce), le recours au marché extérieur de la dette ne serait pas opportun, en raison de la hausse de la prime de risque (spread) ayant augmenté de 245 points de base. Reste le recours au marché intérieur. En effet, il devient tentant pour le Gouvernement de se tourner vers le marché de la dette intérieure (beaucoup moins chère).
Une option que réfute un observateur bien averti estimant que cela pourrait assécher le marché intérieur déjà mis à mal par le tarissement des liquidités, et entraîner un effet d'éviction préjudiciable pour la croissance économique.
Devant cet imbroglio financier, le recours à la privatisation se révèle comme la voix de salut pour sortir de cette impasse budgétaire. Si, au départ, les autorités monétaires ont opposé une fin de non recevoir à cette éventualité, les choses commencent peu à peu à se préciser, surtout avec le lancement, la semaine dernière, de l'appel à manifestation d'intérêt pour le transfert au secteur privé de la Société de sel de Mohammedia (SSM). Une offre évaluée à 450 millions de dirhams. Ce qui est de nature à donner un avant goût des intentions du gouvernement. Car, il n'est pas exclu que d'autres cessions suivent d'autant que la liste des privatisables contient des noms de sociétés publiques et non des moindres (Maroc Telecom,
CIH, Marsa Maroc, RAM, Sococharbo).
Sauf qu'une règle déjà bien établie veut que les recettes de privatisation aillent alimenter plutôt le fonds des investissements public-privé et le fonds Hassan II pour le développement à raison de 50-50, au lieu de servir à renflouer les caisses de l'Etat. Question de rendre ce dernier indépendant des recettes exceptionnelles, notamment des privatisations. Certains observateurs avancent l'idée que pour les besoins de réajustement des prévisions budgétaires, les pouvoirs publics n'ont d'autres choix que de surseoir à cette règle. A défaut, la soutenabilité budgétaire se révèle comme une carte joker.
Said El Hadini (MAP)


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