Le retour en force du FMI au Maroc ne semble curieusement agiter le landerneau politico-médiatique. L'annonce, vendredi dernier, de l'ouverture d'une ligne de crédit de l'ordre de 6 milliards de dollars en faveur du Maroc serait-elle gratuite et innocente ? Une telle décision, en ces temps troubles dans le monde arabe, invite à s'interroger sur les raisons du FMI et les enjeux pour le Maroc. Officiellement, « le Maroc n'est pas en crise », disait Driss El Azami, ministre chargé du Budget. Tandis que le communiqué du FMI, truffé de biais, laisse tout de même planer un doute sur la capacité du pays à s'en sortir tout seul : creusement des déficits des comptes courants, lié à l'augmentation persistante des prix du pétrole et à une détérioration de la balance commerciale. «En dépit de la résilience dont elle a fait preuve, l'économie marocaine reste vulnérable aux chocs extérieurs liés notamment à une aggravation de la récession dans la zone Euro et à une nouvelle flambée des prix des matières premières et des produits énergétiques», lit-on dans un communiqué du ministère de l'Economie et des Finances publié vendredi. D'où l'idée généralement admise qui consiste à dire que seule la mise en place par des institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), d'un –«programme d'aide», permettrait d'atténuer les effets négatifs, et d'aller sur le marché international lever les fonds complémentaires pour financer les déficits. En annonçant ouvrir ses vannes, le FMI se présente alors en « chevalier blanc ». Le prêt conditionné aux « réformes structurelles » et la fenêtre de deux années accordée au royaume serait-elle un premier test de la volonté politique du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane de mettre de «l'ordre dans les finances publiques» ? Quelle serait alors la marge de manœuvre du gouvernement face aux conditions du FMI ? Certes, la crise économique et financière n'en finit pas de déstabiliser les Etats et les marchés. Et le monde arabe, à son tour, étant en ébullition dans le sillage du Printemps arabe, n'échappe pas aux impacts de cette crise et se trouve déjà mis à rude épreuve en matière de politique économique. Il faut rappeler que l'une des premières décisions importantes prise par le chef du gouvernement fut la décompensation des prix des carburants. Tout récemment, l'annonce –alambiquée- de la fin de la gratuité de l'enseignement supérieur s'inscrit dans le droit fil des exigences –ou conditionnalités- du FMI. On ne sait pas ce qui pourrait arriver demain. Il est probable qu'il faut se préparer au pire. Un scénario qui n'est pas écarté par Mohamed Chiguer, économiste et professeur universitaire. « L'embuscade » du FMI n'annonce rien de bon. Cela nous rappelle –avec beaucoup de chagrin- le fameux « PAS » (Programme d'ajustement structurel). «L'augmentation des subventions et des salaires de la fonction publique en réponse aux demandes sociales mettra à mal l'équilibre des finances publiques à moyen terme », constatait le FMI dans son tout dernier rapport sur le Maroc. Il préconisait plutôt la réforme du système de compensation jugé « coûteux, inefficace et inéquitable », et un meilleur ciblage des produits à subventionner. Les experts du FMI estimaient qu'il y a avait urgence à réformer les subventions du pétrole et du gaz butane. Ils proposaient également de réformer le taux de la TVA afin, expliquait-on, de ne pas entrainer un déficit dans les comptes publics qui atteindrait les 7,5%. Le FMI conseille également au Maroc un assouplissement du régime des changes, qui doit s'accompagner obligatoirement de la réforme du système de compensation afin d'en assurer la viabilité budgétaire. L'urgence des réformes structurelles « Le FMI, lorsqu'il intervient ce n'est pas pour les beaux yeux de nos dirigeants ». C'est un usurier comme le sont tant d'autres prêteurs. Mohamed Chiguer, soutient que « ce retour en force du FMI est une manière subtile de lier les mains du gouvernement et d'encadrer les politiques économiques engagées par les Islamistes venus au pouvoir. On est -à quelque chose près- dans le scénario du PAS, avec un tour de vis supplémentaire comme préalable à «l'aide financière». On voit là malheureusement un des fruits pourris du Printemps arabe qui a porté au pouvoir les islamistes et autres frères musulmans. C'est donc bel et bien la volonté du capital mondial de prendre les commandes du monde arabe, conclut M. Chiguer. Au Maroc, comme c'est le cas en Egypte, en Jordanie et en Tunisie, le spectre d'une intervention du Fonds monétaire internationale se cache derrière ces deux éléments : les déficits budgétaire et extérieur. Avec, comme corollaire : l'érosion des réserves de changes. Car les flux financiers vers le Maroc, même si à la base sont de faible importance, se raréfient. Le manque de liquidités (en devises surtout) compromet la réalisation des programmes de développement. Aujourd'hui, on dramatise la situation économique du Maroc. «Il suffira aux manipulateurs (de marchés) d'exercer un choc externe pour que le royaume soit contraint de puiser dans cette facilité de caisse accordée par le FMI et de s'enliser, au final, dans l'endettement extérieur», commente un analyste. Aux yeux de Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des Finances, cette dramatisation ne correspond pas à la réalité. La baisse des réserves en devises « n'est pas inquiétante », a-t-il entonné devant les députés. Baraka semble convaincu qu' «il n'y aura pas de PAS» et que «le Maroc restera souverain dans ses choix économiques». A l'adresse de tous ceux qui s'inquiètent des conséquences de ce recours massif à la dette (lancement avant la fin de l'année d'un emprunt international d'1 milliard de dollars et mobilisation d'un autre milliard $ auprès des pays du Golf, sans oublier les 6,2 milliards $ du FMI), Nizar Baraka répond que la dette extérieure du Maroc ne dépasse pas les 11% du PIB. Discours rassurant aussi du côté de Driss El Azami, ministre du Budget, qui a précisé dans un entretien au journal «Attajdid» publié lundi, que les indicateurs du déficit budgétaire restent «positifs» et que le gouvernement est décidé d'appliquer son programme dont l'objectif est de ramener le déficit à 3 % à l'horizon 2016. Sur ce point, il est intéressant de rappeler que la nouvelle Constitution a consacré « la règle d'or » visant l'équilibre budgétaire. Autrement dit, il est désormais obligatoire de garder sous contrôle l'endettement public. La réforme budgétaire, qui attend l'adoption de la Loi organique des lois de finances (LOLF), va devoir se préoccuper en priorité de l'efficacité de la dépense publique.