Sa présence au 7e Congrès national du PJD a suscité une vive polémique. Ofer Bronchtein s'est pourtant plusieurs rendu au Maroc. Cet « Israélo-palestinien », Président du Forum international pour la Paix, revient pour Le Soir échos sur sa dernière visite au Maroc, mais aussi sur les relations israélo-marocaines, des centaines de milliers de juifs marocains installés en Israël, et du rôle de promoteurs de la paix que peuvent jouer ces derniers. Ce n'est pas la première fois qu'Ofer Bronchtein participe aux travaux du Congrès d'un parti marocain. Une polémique est née suite à votre présence au 7e Congrès national du PJD. Comment la jugez-vous ? Tout d'abord, cela fait une semaine que je refuse de réagir, compte tenu des proportions qu'a prises la polémique. Avant de répondre à la question, je souhaite rappeler que lors de ma première visite au Maroc, le 14 septembre 1993, ce fut une des plus belles journée de ma vie. La veille, le premier ministre israélien Itzhak Rabin signait les accords de paix avec Yasser Arafat à Oslo. Ce fut une journée historique pour moi d'autant plus que j'y avais participé comme collaborateur de Rabin. Cela me fait de la peine aujourd'hui de constater que nous avons perdu 20 ans. C'est toute une génération de jeunes qui a été perdue dans ce conflit inacceptable. Le 14 septembre 1993, nous avons atterri, Rabin et moi, à Rabat. Ce fut la première visite officielle d'un Chef de gouvernement israélien au Maroc. Ce fut une des journées les plus émouvantes de ma vie. Nous avons été accueillis par le roi Hassan II ainsi que par le prince héritier, le futur Mohammed VI. Depuis cette date, je reviens régulièrement. J'éprouve de l'amour pour le Maroc et pour les Marocains. Pourquoi cette date vous a-t-elle marqué ? Grâce aux accords d'Oslo, les Israéliens n'avait pas seulement fait la paix avec les Palestiniens, mais ils entamaient une nouvelle page avec les pays arabes. Israël avait signé un accord de paix avec le roi Hussein de Jordanie, mais aussi avec la Mauritanie, alors qu'au Maroc et en Tunisie, l'Etat hébreu avait ouvert des bureaux d'intérêts. Il y a eu même un début de normalisation avec les Etats du Golfe. Ce fut le début d'une lune de miel entre Israël et le monde arabe. Lors du début de la 2e Intifada, j'ai décidé de quitter Israël car je n'étais pas d'accord avec cette escalade de violences. Je suis allé en France, car faut-il le rappeler, je suis Français, je suis aussi Israélien par naissance, et j'ai eu l'honneur de recevoir la nationalité palestinienne. Revenons à la polémique. Pourquoi le fait d'inviter un Israélien, même pacifiste, est tabou ? J'ai été invité par le PJD en tant que Français présidant une délégation pour la Paix. Je ne sais pas pourquoi il y a ce tabou. Je pense que le tollé soulevé par ma visite a été utilisé pour critiquer le PJD. À mon avis, c'était un problème politique interne. J'ai répondu avec beaucoup d'enthousiasme à l'invitation du PJD, mais aussi du RNI qui l'avait précédé trois mois plus tôt. J'ai beaucoup d'amis marocains, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Le Maroc a toujours joué un rôle dans le processus de réconciliation israélo-arabe. Je n'oublierais jamais, même si je n'étais pas encore né, le fait que Mohammed V avait protégé les juifs lors de la Seconde Guerre mondiale. On ne le répète pas assez. Hassan II quant à lui, a été très présent sur la scène internationale. C'est lui qui avait reçu le Chef de la diplomatie israélienne à Ifrane dans les années 80, c'est aussi grâce à lui que Hussein de Jordanie avait signé les accords de paix avec Israël. Il excellait dans son rôle de réconciliateur et de médiateur. Pourquoi le Maroc n'est plus aussi présent dans la scène internationale et particulièrement sur la scène proche-orientale ? C'est une question que vous devez poser à Mohammed VI et aux Marocains. Je pense que le roi a décidé de s'investir beaucoup plus dans la politique intérieure, et les résultats sont d'ailleurs visibles. Mais l'un n'empêche pas l'autre ! Oui, mais je pense que le Maroc avait d'autres priorités à régler. Maintenant, je pense que le fait que le PJD m'invite à son Congrès national a été une sorte de clin d'œil, une volonté de montrer qu'ils étaient ouverts. Je ne peux qu'exprimer tous mes respects au Chef du gouvernement marocain, et au PJD qui a eu le courage de m'inviter. Avez-vous rencontré Khaled Mechaal, le leader du Hamas ? Etant moi-même invité, je ne savais d'avance qui était convié à cet événement. Il se trouve que lors du Congrès, nous nous étions retrouvés dans une même salle. Il m'a tendu la main, et non une arme. Il m'a salué très cordialement. J'aime à répéter cette phrase : ce n'est pas avec les amis qu'on fait la paix, mais c'est avec nos ennemis d'hier. Je sais que ma rencontre avec Khaled Mechaal a été très mal interprétée par beaucoup de juifs, mais je l'assume complètement. Le Fatah était aussi considéré comme une organisation terroriste lors des années 70 ! Oui, vous avez parfaitement raison de rappeler cela. En Israël, il y avait une loi dans les années 80 qui interdisait tout dialogue avec l'OLP (Organisation de libération de la Palestine). J'ai transgressé cette loi et j'avais été mis en prison. Mais je ne regrette rien. Mahmoud Abbas, le chef du Fatah, est un grand homme de paix. Je crois qu'il n'y a pas de loi qui interdise de rencontrer le Hamas. Il faut dialoguer avec le Hamas. J'espère que le Hamas finira par devenir uniquement une force politique. Ofer Bronchtein accueilli chaleureusement par Saad Dine El Otmani lors du 7e Congrès du parti de la Lampe à Rabat. Le fait que des partis islamistes soient arrivés au pouvoir dans des pays arabes, peut-il faire en sorte que le Hamas adopte une politique plus modérée ? Je pense que oui. Tous ceux qui, d'une façon arrogante, critiquent ou dénigrent le fait que certains partis soient arrivés au pouvoir, sont totalement irrespectueux et condescendants. En démocratie, on peut ne pas être d'accord mais on respecte le résultat des urnes. En tant que socialiste j'ai été heureux de la victoire de François Hollande, mais 5 ans auparavant j'ai respecté et j'ai salué la victoire de Nicolas Sarkozy. Pareil pour Israël, je ne suis pas du parti de Benjamin Netanyahu (Likoud), mais je respecte la volonté des Israéliens. Oui, mais pensez-vous que la victoire des islamistes puisse pousser le Hamas à devenir plus pragmatique ? Oui, lorsqu'on est dans l'opposition, on ne pratique pas la politique et on ne tient pas les mêmes discours que lorsque nous sommes aux commandes. Que ce soit pour le PJD ou pour le Hamas, leur priorité doit être d'assumer les promesses faites aux électeurs, de trouver des réponses à la crise économique. Je regrette encore une fois qu'on ait fait tout un débat à propos de ma venue. Il ne faut absolument plus que le conflit israélo-palestinien soit un prétexte pour ne pas résoudre les problèmes de fond. Comment jugez-vous la situation sociale en Israël, quelques jours après l'immolation d'un jeune citoyen ? La situation sociale en Israël est très agitée. Il y a des centaines de milliers d'Israéliens qui manifestent dans la rue. Ils demandent que les milliards de dollars qui sont dépensés dans la sécurité soient employés dans la création d'emplois, dans le domaine de la santé, etc. Il faut encourager ce mouvement, de la même manière qu'on encourage les mouvements arabes. On a critiqué votre venue au Maroc alors qu'il est de notoriété publique que des milliers de touristes israéliens visitent le Maroc chaque année. Ne trouvez-vous pas cela étrange ? Effectivement, il y a des israéliens qui viennent par milliers au Maroc, chaque année. Qu'ils soient venus de France, du Canada ou d'ISraël, des dizaines de milliers de juifs ont une attache très profonde avec le Maroc. Le plus surprenant est que des juifs de 2e et 3e génération se sentent également très liés avec le Maroc, que ce soit au niveau culturel, gastronomique, politique, ou au niveau de la mémoire. Vous trouverez des photos de Hassan II et de Mohammed VI dans les maisons de beaucoup d'Israéliens d'origine marocaine. Ils entretiennent des relations très fortes avec leur pays d'origine. Pensez-vous que les centaines de milliers d'Israéliens d'origine marocaine puissent contribuer au rapprochement entre le Maroc et Israël d'une part, et Israël et la Palestine de l'autre ? J'en suis persuadé. Il y des milliers d'hommes d'affaires, de touristes, de pèlerins, qui visitent le Maroc tous les ans. La proximité entre eux et le Maroc s'exprime aussi bien dans la littérature, la musique ou la politique. On a aussi vu que les hommes politiques israélo-marocains ont été les plus modérés. Davis Levy (ancien Chef de la diplomatie israélienne) a été quelqu'un de très modéré, bien qu'il soit du Likoud, Yehouda Alankri, l'ancien ambassadeur d'Israël en France et à l'ONU est aussi quelqu'un de très respecté au Maroc. Lors de son discours d'adieu aux Nations Unies, il a choisi de s'exprimer en arabe marocain. Je suis persuadé que s'ils avaient plus de pouvoir, les Israélo-marocains contribueraient beaucoup plus aux efforts de paix. Une dernière chose que vous voudriez ajouter ? Je tiens encore une fois à saluer le courage de Abdelilah Benkirane et de son parti. Je crois qu'ils ont fait la bonne chose en m'invitant. Je voudrais aussi terminer par souhaiter un Ramadan Moubarak à tous les Marocains. * Tweet * * *