Le dispositif spectaculaire, l'inspiration romantique et la très grande ambition du « Dernier empereur » de Bernardo Bertolucci le positionnèrent d'emblée comme un film majeur et incontournable de la dernière partie des années 80. Installé aux Etats-Unis au début de la décennie, après l'échec de « La tragédie d'un homme ridicule », le cinéaste italien tentera en vain, pendant plus de deux ans, de monter un projet autour de l'adaptation d'un roman de Dashiell Hammett. C'est durant cette période de pause créatrice involontaire qu'il tombe sur l'autobiographie de Pu Yi, qui fut le dernier empereur de Chine. Fasciné par cette histoire lointaine qu'il découvre, Il décide sur le champ de l'adapter au cinéma, avec l'aide de son co-scénariste Mark Peploe. Bertolucci est alors un auteur européen important, dont l'implication politique et sociale l'a installé à l'avant-garde des réalisateurs subversifs et provocants avec des films comme « Prima della rivoluzione » et « Le dernier tango à Paris ». Avec « le dernier empereur », il entame alors le premier volet de ce qu'on considère comme sa trilogie orientale et spirituelle, qui sera suivi de « Un thé au Sahara » (tourné au Maroc) et « Little Buddha ». « Le dernier empereur » sera un triomphe public et critique et le film remportera neuf oscars, entre autres prestigieuses récompenses. Doté de moyens matériels et humains colossaux, le film offrira à Bertolucci un projet à la mesure de ses ambitions et le résultat, malgré un certain académisme que lui reprocheront ses détracteurs, est une somptueuse fresque historique traversée par la fatalité et le déracinement. En 1908, un petit prince de 3 ans est enlevé à sa mère et assis sur le trône laqué de l'empire de Chine. Pendant seize ans, il reste un demi-dieu prisonnier de la Cité interdite. Puis il mène une vie de play-boy insouciant sous protection japonaise, se retrouve empereur de Mandchourie, est arrêté par les Russes et rendu à 43 ans aux Chinois, qui le rééduquent dans un camp. Il finira jardinier dans un parc botanique de Pékin, dans l'anonymat le plus total. Bertolucci, jugera « Le dernier empereur » comme le « seul film positif » qu'il ait jamais réalisé. Et c'est vrai, tant une certaine sérénité l'habite tout entier, malgré la violence tant morale que contextuelle subie par son principal protagoniste, le tout à une époque qui bouleversa considérablement la grande histoire du siècle dernier. Usant avec intelligence du procédé flashback-flashforward, aujourd'hui largement vulgarisé, Bertolucci confronte deux époques, entre corruption de l'une et totalitarisme de l'autre. « Le dernier empereur », sans sombrer dans une veine nostalgique, maintient un regard suffisamment distant entre cet avant et cet après pour en délivrer une critique sensée. Le film est surtout un conte tragique sur un homme au destin exceptionnel qui a subi son existence jusqu'à en devenir un perdant, privé très tôt de sa mère et de son père, puis figure archaïque dans un pays en marche vers la modernisation. Forcé de faire son autocritique et de réévaluer son passé, Pu Yi, remarquablement interprété par le charismatique John Lone, fera alors la relecture de son cheminement existentiel. Soixante ans plus tard, il revisitera la cité interdite qui fut le théâtre de son pouvoir avant de disparaître.