Dans le flot ininterrompu des nouveaux films déversés sur les écrans, émerge parfois un miracle. Et même, un double miracle, car la réalisation d'un film reste aujourd'hui, un miracle. Io sono Li, (Je suis Li ), du cinéaste italien Andrea Segre, qui sortira en Europe le 13 juin prochain, est un moment de grâce d'une heure quarante. Une alchimie inexplicable entre le propos de l'auteur, la parfaite mesure et la densité des comédiens, l'esthétique hors pair, la force de persuasion du langage visuel. Andrea Segre, issu du documentaire, signe ici, son premier long-métrage. Il parle le même langage que ses personnages à travers un tableau vivant qui dispense un parlé et un vécu vrais. Ce film, situé sur les rives, de la lagune de Chioggia, île vénitienne, dans un univers traversé de poésie, nous emporte à travers deux destins, deux âmes en errance qui vont se lier d'amitié et même d'amour. La rencontre improbable entre Shun Li (Tao Zhao), immigrée chinoise qui incarne encore l'Empire du milieu et Bepi (Rade Serbedzija), un pêcheur d'origine slave, surnommé « le poète» par ses amis, tant il excelle en vers et en rimes improvisés, au détour de situations. La première séquence de Io sono Li s'ouvre sur une scène contemplative d'une rare beauté, décrite en chinois par la voix off d'une jeune femme. Le cinquième jour du cinquième mois lunaire, la Chine célèbre la fête du Duanwu. À cette occasion, certaines ethnies désposent à la surface de l'eau des bougies flottantes. Elles commémorent ainsi la mémoire de Qu Yuan, un poète d'une intégrité exemplaire qui préféra l'exil à son roi corrompu. 1 500 ans plus tard, un petit lumignon rouge flotte sur l'aqua alta (inondation fréquente dans la lagune vénitienne). Une autre réalité scande la scène suivante : Shun Li, travaille dans un atelier textile de la banlieue de Rome, comme des milliers d'autres ouvrières. Ses journées sont rythmées par le diktat implacable des machines et du rendement. On découvre plus tard, les photographies de son unique famille, restée en Chine : son petit garçon et son père. Des jours et des poètes Dans cette ville impersonnelle, la jeune femme, esseulée, isolée de tout lien social, bien éloignée des plaisirs simples de la vie, apparaît uniquement en tant que matricule. Rétention de dialogues, cadres serrés disent la marche dans la mondialisation actuelle, de la jeune femme. Shun Li quitte ensuite Rome pour le Nord italien et sa petite île de pêcheur, Chioggia. On comprend, entre un échange avec son patron chinois, qui règne en maître sur la communauté, que la jeune femme travaille sans relâche pour lui rembourser ses frais, assurés par son patron, souhaitant de plus faire venir son fils de huit ans en Italie, ultérieurement. La liberté et la poésie apparaissent peu à peu par touche, dans Io sono Li. Shun Li, débarque, dans le bar d'une auberge, posée sur les bords de cette cité rongée par la mer, la force du vent et les effluves d'alcool. Shun Li, fille et petite-fille de pêcheurs, se lie d'amitié avec Bepi, pêcheur yougoslave installé en Italie depuis plus de trente ans. Il est pétri de sagesse, de folie slave créative, de bienveillance. Il préfère la compagnie de la jeune femme aux parties de carte avec ses amis pêcheurs, aux prises avec la crise… Les paroles de la chanson d'Eros Ramazzotti, « Adesso tu », nous reviennent : « Naît au bord du périphérique, où les trains n'avancent plus, où il est plus facile de respirer l'air populaire, que de rêver et de voir la réalité … ». Ils forment un body movie inattendu et mal perçu par la communauté chinoise et les habitants de l'île car « les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux ». Shun Li et Bepi, aiment parler de poésie et se réfugier pour goûter le temps et l'horizon, suspendus au-dessus des cabanes de pêcheurs, flottant au-dessus de l'eau. Le traitement simple offre une peinture sensible et poétique de ce film aux confluents des bouleversements et des flux du monde d'aujourd'hui. Tourné sur l'île de Chioggia, on pense notamment à Respiro , film italien d'Emanuele Crialese, situé sur l'île de Lampedusa, au sud de la Sicile, dans un petit port. L'héroïne, Valeria Golino, y incarnait une femme fantasque, éprise de liberté, étouffant dans cette île dont elle ne pouvait s'extraire, contrairement aux hommes, qui s'évadaient en mer.