Mettre en place les piliers d'un « nouveau partenariat public-privé », basé sur « la confiance mutuelle ». Tel est, en substance, l'essence et l'esprit du mémorandum d'entente que viennent de signer, mardi à Skhirat, le chef du gouvernement Abdeliallh Benkirane et Mohamed Horani, président de la Confédération générale des entreprises au Maroc (CGEM), en présence de poids-lourds du monde des affaires, d'institutionnels, de leaders syndicaux… La nouvelle convention a débouché sur l'institution d'un conseil de conciliation, co-présidé par Benkirane et Horani, qui se réunira suivant une cadence trimestrielle. Sept groupes de travail, sous la coupole du Conseil, traiteront et débattrons des problématiques multidimensionnelles liées aux différents secteurs d'activités. À la clé, l'emploi, la fiscalité, le climat des affaires, l'investissement et l'épargne, la compétitivité et la mise à niveau des PME, la recherche et développement, la formation, etc. L'idée, selon Horani, est de « formaliser la relation entre l'Etat et la CGEM ». La mise en marche effective de la nouvelle synergie public-privé est donnée pour imminente. « On peut commencer dès aujourd'hui si vous le voulez bien », affirme Benkirane. Seul bémol, les chiffres ont été le grands absents. Tracer une voie de coopération sans objectifs chiffrés sème en tout cas des doutes. En attendant, il faut dire que chacune des deux parties trouve son compte dans le nouveau mariage de raison. Pour Benkirane, il est inconcevable d'atteindre les objectifs de croissance économique annoncées sans avoir à ses côtés le patronat. Le parti de la lampe au pouvoir ne compte pas d'hommes d'affaires de taille au sein de ses rangs. Et cela fait un bon bout de temps que les islamistes Pjdistes font les yeux doux à l'élite économique, en vain. Débrayer sans perturber Benkirane a bien compris la leçon du modèle turc, bien qu'entre les deux c'est tout un monde de différenciation. Cette attitude de convoiter les chefs d'entreprises, on la perçoit clairement dans sa déclaration: « Je n'ai pas l'intention de vous demander de me justifier vos bénéfices et revenus (…). Mon rôle, en tant qu'administration, est de faciliter la vie à l'entreprise », éclaire-t-il, avant d'ajouter «tout en restant bien sûr dans le cadre de la loi » . Plus encore, sur la question du droit de grève, Benkirane s'affiche très sévère, à tel point que le bâton n'est pas à écarter. L'essentiel pour lui est de ne pas perturber l'ordre général et la bonne marche de l'économie. « Je n'interdis à personne d'observer un débrayage mais à condition de ne pas perturber la vie et le cours normal des activités quotidiennes des citoyens », explique-t-il. Joli coup pour Horani S'agissant de Horani, le patron des patrons a, semble-t-il, réussi à faire d'une pierre deux coups. Primo, comme il l'annonce lui même, cette occasion d'envergure lui permet « d'attirer plus d'adhérents » et de gagner en crédibilité. Puisque c'est la première fois de l'histoire contemporaine du Maroc qu'une telle consécration est réservée à la confédération patronale. À vrai dire Horani a réussi un joli coup. Secundo, à lui seul, ce fameux coup lui permet de créditer suffisamment son compte électoral pour briguer confortablement son deuxième mandat. À peine deux mois nous séparent des élections de la CGEM. Loin d'entrer dans les intentions ou de verser dans les préjugés, cette rencontre historique garantira à coups sûrs plus de parts, quelle qu'en soit l'importance, aux opérateurs privés. Les signes annonciateurs d'une récession plus ou moins brutale et longue eu Europe ont suffi au patronat marocain pour changer de fusil d'épaules et de se tourner davantage vers le marché intérieur. Bien qu'il ne l'ait pas prononcé textuellement, le patronat demande, plutôt réclame, sa part du gâteau. À ce titre, et comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, les défaillances observées au niveau des stratégies sectorielles sont vues comme une opportunité pour le secteur privé. Il est temps donc, selon Horani, d'impliquer le privé non seulement dans les différentes stratégies nationales mais également dans les accords de libre échange. Marchés publics et préférence nationale Autre illustration, les marchés publics. La question de la préférence nationale est d'ailleurs soulevée à cette occasion. La famille des propositions de la CGEM sur ce chapitre avance un taux de 30%. Jusqu'à présent, et là commencent les points de divergences entre le public et le privé, le seul département ministériel qui a osé fixer un seuil est bel et bien celui du Transport et des équipements avec un taux de 15%. Ce département semble défrayer la chronique avec ses sorties courageuses, à l'exemple de la publication officielle de la liste des bénéficiaires des agréments du transport de voyageurs. Un autre sur les exploitants des carrières de sable est en vue. La question de la préférence nationale a suscité des remous auprès de certaines fédérations patronales. Bouchaib Benhamida, président de la fédération nationale du bâtiment et des travaux publics (FNBTP), n'a pas caché son irritation face à la préférence étrangère pour certains dossiers liés à la concession ou la gestion déléguée. Aux yeux de Benkirane, pour accéder aux marchés publics, il faudrait faire preuve de compétitivité. Ce message direct et clair laisse entendre que le taux de 30 % en matière de préférence nationale n'est qu'un souhait parmi d'autres. Il ne laisse aucun doute sur le fait que la marge de manœuvre dont dispose Benkirane et ses troupes n'est pas encore claire. Plus encore, ce dernier invite solennellement le patronat à profiter au maximum de son mandat. « Je ne peux pas vous garantir que ce gouvernement puisse finir en toute beauté son mandat », confie Benkirane, qui ne manque d'humour, et appelle en revanche à « positiver ». Equité et transparence La seule chose que l'homme n'accepte guère est d'abuser de sa générosité et de sa courtoisie. Celui-là même annonce ne pas reculer d'un iota sur une question sensible : « Je n'accepterai jamais qu'on fasse fortune sur mon dos ». Son principe est on ne peut plus clair : appliquer la loi et rien que la loi. Il ne nie pas l'existence des poches de résistances comme ce fut le cas à l'époque de Youssefi, alors premier ministre. Mais il le promet, eu égard au large éventail de compétences dont il dispose aujourd'hui selon les termes de la nouvelles constitution. La répartition des richesses se fera désormais et graduellement avec équité et transparence. Il ne faut pas espérer de voir l'ordre du jour établi jusqu'alors bouleversé du jour au lendemain. Benkirane le confirme lui-même sur le volet de la corruption. « Il m'est impossible d'éradiquer la corruption d'un seul coup », témoigne-t-il. Mis à part la corruption, il est un autre dossier de fond cette fois ci , à savoir la caisse de compensation. Il est possible de régler complémentent la problématique de la pauvreté à travers une réforme de fond de cette caisse, ajoute-t-il. Là encore, faut-il le souligner, il a placé la barre très haut. « Le noir devrait être supprimé. Point à ligne », tranche Benkirane. Certes on le taxe de « populiste », mais Benkirane, qui use d'un discours inhabituel chez nos autres Marocains, devrait revoir, question de crédibilité, sa manière de voir les choses. Il ne faut pas trop rêver. Sur des problématiques comme le noir dans l'immobilier, il est très attendu, voire le bienvenu. Mais ce que le patronat a perdu de vue, c'est que le genre de problèmes que s'est montré prêt à résoudre Benkirane sont ceux qui ne sont pas liés directement au financement. Autrement dit, de ce côté, il ne faut pas trop compter sur le gouvernement. Pour ceux qui s'attendent à de nouvelles subventions étatiques, la générosité de l'Etat se fera dorénavant au compte goute.