L'étude du HCP sur le PIB et la consommation dans les régions devrait déclencher un débat de fond sur l'orientation des stratégies économique et sociale. Elle montre clairement que même si la création de valeur ajoutée progresse sensiblement, notamment dans des régions comme Marrakech et le Nord, les inégalités sociales ne font que se creuser. Pour Casablanca, le HCP déclenche un signal d'alarme lié à la saturation de sa croissance économique. Après plusieurs études dont les résultats ont été fortement controversés, le Haut commissariat au plan (HCP) revient avec un travail de fond duquel se dégagent plusieurs conclusions pertinentes qui peuvent servir de base pour les politiques publiques. Ce n'est autre que l'étude détaillée sur les comptes régionaux qui analyse d'une part, le PIB et par conséquent le niveau de création de richesse dans chaque subdivision du pays et d'autre part, le niveau de consommation. Les résultats obtenus dans ces deux compartiments, et dont nous avons publié un premier aperçu, sont recoupés à plusieurs niveaux pour donner lieu à des tris croisés hautement significatifs. Comme nous l'avions souligné dans une précédente édition, la principale conclusion qui ressort de l'étude n'est autre que le creusement des inégalités et la difficulté de les résorber par le biais de la croissance. Autre conclusion pertinente, la faible corrélation entre l'augmentation du niveau du PIB régional et l'amélioration des conditions de vie. C'est la preuve que les revenus sont toujours très mal répartis. Deux signaux qui montrent que l'amélioration des conditions sociales au Maroc à travers la résorption des inégalités et une répartition plus équitable des richesses est la priorité des priorités. Cinq régions concentrent 60% du PIB national Au fur et à mesure que le fossé se creuse entre les plus aisés et les plus démunis, les risques de tensions sociales vont grandissant. En plus, l'aggravation de ce gap complique davantage le développement des investissements, qu'ils soient locaux ou étrangers. Seule une classe moyenne solide peut soutenir cette politique et l'alimenter en ressources humaines formées et compétentes. Venons-en aux résultats de l'étude du HCP. Comme nous l'avions précisé dans notre premier article, la valeur ajoutée qui se crée au Maroc est concentrée à plus de 60% dans cinq régions du pays. A commencer par Casablanca qui produit à elle seule 21,3% du PIB national. Ce dernier ressort en 2007, année de base pour la réalisation de l'étude, à 616 milliards de DH. La concentration dans la métropole économique demeure certes très forte. Mais elle enregistre une tendance baissière durant les trois dernières années. En effet, la part du PIB que génère Casablanca était de 24,7% en 2004, soit pratiquement une baisse de 3,5 points en trois ans. Rabat- Salé-Zemmour-Zaërs arrive loin derrière avec une contribution de 13,6% du PIB. Une situation naturelle compte tenu de la concentration des administrations et entreprises publiques dans la région. Juste après les capitales économique et administrative arrivent dans l'ordre trois régions émergentes. Ce sont celles qui ont réalisé entre 2004 et 2007 des niveaux de croissance supérieurs à 10%. Il s'agit de Marrakech Tensift-El Haouz, Tanger-Tétouan et Souss Massa Draâ avec des parts respectives de 8,9, 8,8 et 8%. Cette croissance ne signifie pas forcément amélioration des conditions sociales. Car, en parallèle à l'émergence de ces régions, les inégalités s'y sont fortement creusées. D'ailleurs, Marrakech et Tanger sont les régions où l'indice des inégalités a le plus augmenté durant les 25 dernières années (entre 1985 et 2010). Qu'en est-il des régions qui contribuent le moins au PIB global ? La plus faible participation est celle de Tadla Azilal avec 2,6% du PIB. Pourtant, c'est l'une des régions les mieux loties au niveau agricole. D'ailleurs, la plaine de Tadla est l'une des plus riches du pays. Mais le désœuvrement qui sévit dans les montagnes environnantes est à l'origine de cette triste performance. Taza-Al Hoceima-Taounate arrive ensuite avec une contribution qui ne dépasse pas 3% du PIB. Les régions du Sud sont troisièmes par la queue avec 3,5% du PIB. Là aussi le potentiel de développement est encore très loin d'être mis à profit. Trois des cinq régions qui contribuent le plus au PIB enregistrent un PIB par tête d'habitant supérieur à la moyenne (20.000 DH). Il s'agit de Casablanca (35.000 DH), Rabat (33.000 DH) et Tanger-Tétouan (21.000). La quatrième région qui dépasse cette moyenne est celle du Sud où le PIB par tête est de 24.000 DH. Les régions qui contribuent à hauteur de 60% du PIB sont aussi celles qui génèrent 57% de la consommation globale. Casablanca se classe naturellement première avec 15,3% de la consommation. Mais Tanger-Tétouan dépasse à peine Rabat. La première représente 11,2% de la consommation et la seconde 11,1%. Néanmoins, les habitants de Rabat sont ceux qui consomment en moyenne le plus (16.000 DH) suivis de ceux du Nord avec 15.600 DH, puis des Casablancais (14.100 DH). Les invités surprises à ce classement de la consommation par tête sont les régions du Sud avec une moyenne de 14.100 DH et Fès Boulemane avec 12.000 DH. Le rapprochement entre la variation annuelle moyenne de la consommation et le PIB par habitant entre 2004 et 2007 révèle une tendance importante. En effet, les régions les moins loties économiquement enregistrent une progression de la consommation supérieure à celle du PIB. Cela s'explique clairement par des transferts de revenus qui proviennent d'autres régions, voire de l'étranger. De ce fait, l'on peut tirer la conclusion que ces régions peuvent difficilement être économiquement indépendantes. Par contre, dans les régions émergentes, notamment Marrakech et le Nord, la progression du PIB dépasse celle de la consommation. Ce qui montre qu'il y a un potentiel important d'épargne et d'investissement. Au niveau de l'IDH, des régions comme Fès-Boulemane, le Sud ou l'Oriental dépassent le Nord, Marrakech et le Souss, bien que le niveau de création de richesse y soit largement moins élevé.
La catégorisation sectorielle comme la présente l'étude est riche en enseignements sur l'évolution de la situation économiques dans les régions. En effet, le rapport classe trois régions en tant que zones à prédominance agricole. Deux d'entre elles figurent parmi celles qui contribuent le moins au PIB régional, à savoir Tadla-Azilal et Taza-Al Hoceima-Taounate où le secteur primaire représente respectivement 23,4 et 30,1%. Entre les deux, s'insère la région Gharb-Chrarda-Beni Hssen où l'agriculture représente 26,9% de la valeur ajoutée créée. Dans ces trois régions, le niveau de consommation est le moins élevé à l'échelle nationale. Elles figurent toutes parmi les zones où le PIB par tête est le moins élevé. Bref, ce sont les régions les plus pauvres du pays. Ce qui veut dire que l'agriculture à elle seule ne peut pas assurer un niveau de vie moyen pour les habitants des régions où ce secteur est prépondérant. Les activités industrielles, elles, dominent dans quatre régions. Il y a bien sûr Casablanca où elles représentent encore 28,4% de la valeur ajoutée. La métropole économique est encore loin de devenir le pôle technologique et tertiaire auquel elle aspire. Son développement industriel arrive, en effet, à saturation. C'est pour cela qu'une stratégie claire de réorientation économique de la région s'impose plus que jamais. Deux régions mitoyennes à Casablanca arrivent juste derrière dans le classement des zones industrielles. Il s'agit de Doukkala-Abda où l'industrie représente 26,6% du PIB et Chaouia-Ouardigha où cette part est de 25,9%. Même avec ces taux-là, le potentiel industriel de ces deux régions est encore loin d'être atteint. Elles sont en mesure de jouer leur rôle d'arrière-pays industriel de Casablanca qui se concentrerait, pour sa part, sur l'activité tertiaire. Fès-Boulemane qui a longtemps été la deuxième région industrielle du pays après Casablanca est reléguée au quatrième rang avec 17,9% du PIB qui provient du secteur secondaire. La dégradation de l'industrie textile est la principale cause de cette tendance. Les activités de communication sont concentrées à hauteur de 37,9% dans la région de Rabat alors que celles du transport et de la logistique se regroupent principalement à Casablanca avec 30%. La plus forte concentration sectorielle est constatée au niveau des activités financières dont 57,7% de la valeur ajoutée se crée à l'évidence à Casablanca. Dans le secteur touristique, ce n'est plus Agadir qui concentre la plus grande part de la valeur ajoutée mais plutôt Marrakech avec 32,1%. La capitale du Souss perd ainsi son statut de capitale touristique. La répartition régionale de la valeur ajoutée des BTP montre, à la surprise générale, que c'est Rabat qui se classe en tête avec une contribution de 15,8%, suivie de Casablanca avec 14,8%. Les régions du Sud dominent naturellement dans le secteur de la pêche dont elles génèrent 36,4% de la valeur ajoutée. Mais elles sont talonnées de près par la région du Souss. La où les inégalités sont les plus flagrantes, c'est au niveau des indicateurs sociaux. En excluant de l'analyse les régions de Casablanca et Rabat où la concentration de l'activité économique améliore les niveaux de revenus et la qualité de vie, les régions que l'on a qualifiées économiquement d'émergentes sont encore à la traîne socialement. Sur les cinq indicateurs sociaux que l'étude a analysés (indice du développement humain, taux de pauvreté, de vulnérabilité, poids des classes moyennes et indice du niveau de vie), Casablanca est toujours classée première. Mais au niveau de l'IDH, des régions comme Fès-Boulemane, le Sud ou l'Oriental dépassent le Nord, Marrakech et le Souss, bien que le niveau de création de richesse y soit largement moins élevé. C'est le cas également pour le poids démographique des classes moyennes, où les régions émergentes sont classées parmi les cinq dernières. En dépit de son niveau de développement économique, la région du Souss par exemple enregistre un niveau de pauvreté de l'ordre de 12,5%. Marrakech la précède de deux positions seulement dans le classement avec un taux de 11,2%. La région la plus pauvre en termes de contribution au PIB fait mieux que ces deux régions émergentes en affichant un taux de pauvreté de 9,3%. La meilleure performance au niveau d'une région émergente est celle de Tanger Tétouan qui enregistre le deuxième plus faible taux de vulnérabilité (13,1%). Ce n'est pas le cas de Marrakech où ce taux ressort à 21,6%. Sur l'ensemble des indicateurs sociaux analysés, la corrélation statistique avec le PIB par habitant est faible, voire très faible. C'est une preuve suffisante pour dire que l'augmentation du niveau moyen de création de richesse n'a pas d'impact direct, sinon un gros impact, sur l'amélioration des conditions sociales. Un phénomène qui a besoin d'un débat public profond pour analyser ses causes. L'analyse, sans doute, la plus pertinente de ce rapport du HCP est celle qui rapproche le niveau de croissance et celui de l'inégalité. Ces deux niveaux étaient presque égaux en 1985. 25 ans après, alors que le niveau de croissance a plus ou moins stagné celui des inégalités est passé du simple au double. Ce qui veut dire, selon les experts du HCP, qu'il faut 2 points de croissance pour résorber un point d'inégalité. La réduction du fossé entre les plus aisés et les plus démunis devient de plus en plus difficile.