Plusieurs manifestations contre le Conseil national de transition ont eu lieu à Benghazi, épicentre de la révolution libyenne, ces derniers jours. Saïd Haddad, politologue et spécialiste de la Libye à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) nous explique les raisons de cette colère. Des milliers de Libyens de Benghazi ont manifesté ces derniers jours contre le CNT. Pourquoi ? Ces manifestations sont révélatrices d'un malaise. Les habitants de Benghazi n'ont pas envie de voir le processus politique, enclenché en février, se concentrer uniquement sur Tripoli. À tort ou à raison, Benghazi se considère comme l'épicentre de la révolution qui a mis à bas Kadhafi et son régime. Ces manifestations sont également l'expression d'une certaine impatience quant aux réformes en cours, du refus de voir les caciques de l'ancien régime pardonnés et réintégrés dans le nouveau processus en cours en Libye. En d'autres termes, au dilemme classique entre accélération de la révolution et réformisme prudent, s'ajoute le sentiment d'être à nouveau délaissé par Tripoli. Peut-on dire que la révolution libyenne est inachevée ? Je crois que le processus de la révolution ne peut se limiter à la chute de l'ancien régime, même s'il ne faut pas négliger la portée de ce changement. L'émergence d'une Libye stable, où la sécurité des citoyens est assurée avec une économie remise sur pied, des institutions représentatives des Libyens et garantes de leurs droits est une entreprise de longue haleine. Mais concrètement, n'est-ce pas trop tôt pour juger le CNT par rapport à sa gestion du pays ? Effectivement, la proclamation de la Libye «libérée» ne date que de deux mois, et le gouvernement de transition est encore à ses débuts. Le plus difficile pour le CNT est de mener à bien cette transition vers une assemblée constituante et de satisfaire un peuple libyen, impatient de tourner la page et de retrouver ses repères. Quelles sont les difficultés que les nouvelles autorités libyennes doivent affronter aujourd'hui ? Je pense que la sécurité constitue la première des priorités. Il faut que le nouveau gouvernement réussisse le désarmement des milices et l'intégration de près de 50.000 rebelles dans l'armée régulière. De même, la mise en place d'un programme de réinsertion des combattants dans la société civile et bien entendu, l'instauration d'une véritable armée nationale libyenne sont également des défis majeurs. Il est question dans le même temps de remettre sur pied un Etat avec des institutions stables et une économie plus efficiente. Enfin, les nouvelles autorités devront aussi réussir à fédérer tous les Libyens autour d'une cause nationale pour éviter le tribalisme et le régionalisme qui avaient caractérisé l'ancien régime. L'ONU vient de lever ses sanctions contre la Libye. Quel est l'impact de cette décision sur le quotidien du peuple libyen ? À mon avis, il est trop tôt pour juger de cet impact. Mais je crois que les fonds ainsi récupérés pourraient être réaffectés dans des investissements et des projets économiques et sociaux réellement utiles aux Libyens. Doit-on, aujourd'hui, craindre une vague de soulèvement général de toute la Libye contre le CNT comme ce fut le cas, il y a quelques mois, sous le régime de Muammar Kadhafi ? Pour l'instant, rien ne permet de qualifier les tensions existantes, les mécontentements divers et variés comme étant autant de signes annonciateurs d'un soulèvement. Cela étant, les défis auxquels sont confrontées les nouvelles autorités sont réels, tout autant que l'impatience de la population.