La Libye est à la croisée des chemins. Après huit mois de guerre civile, le Conseil national de transition (CNT) a désormais l'immense tâche de reconstruire un pays tombé en ruine. Saïd Haddad, chercheur associé à l'Institut de recherches et d'Etudes sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et spécialiste de la Libye, nous explique les défis des nouvelles autorités libyennes. Abdel Rahim al-Keib(au milieu), le Premier ministre libyen en compagnie de Moustafa Abdeljalil, le président du CNT, le 31 octobre à Tripoli à l'issue du vote de désignation du chef de gouvernement. Pourquoi l'ONU a mis fin à la mission de l'OTAN en Libye alors que les nouvelles autorités ont souhaité son maintien pour quelques mois de plus ? Etant donné que le régime Kadhafi s'est effondré, le maintien de la mission de l'OTAN est difficilement justifiable. A l'ONU, l'interprétation extensive de la résolution 1973 par l'OTAN a laissé des traces entre les membres permanents du Conseil de sécurité et il convient maintenant de tourner la page. L'OTAN, quant à elle, a estimé que sa mission est terminée. Une prolongation aurait été difficilement justifiable à l'opinion publique tant sur le plan politique que sur le plan financier. Pourquoi l'ONU a mis fin à la mission de l'OTAN en Libye alors que les nouvelles autorités ont souhaité son maintien pour quelques mois de plus ? Etant donné que le régime Kadhafi s'est effondré, le maintien de la mission de l'OTAN est difficilement justifiable. A l'ONU, l'interprétation extensive de la résolution 1973 par l'OTAN a laissé des traces entre les membres permanents du Conseil de sécurité et il convient maintenant de tourner la page. L'OTAN, quant à elle, a estimé que sa mission est terminée. Une prolongation aurait été difficilement justifiable à l'opinion publique tant sur le plan politique que sur le plan financier. Quelles seront les conséquences du départ de l'Alliance atlantique sur la suite des événements en Libye ? Le souhait du CNT de maintenir la mission de l'Alliance atlantique témoigne de la fébrilité, voire du vertige des nouvelles autorités face aux défis sécuritaires que doit affronter la Libye nouvelle. La surveillance des frontières, la lutte contre la prolifération des armes et leur potentielle utilisation par des groupes djihadistes et la crainte d'une résurgence de kadhafistes sous l'égide d'un Seif al-Islam en cavale sont autant d'éléments qui peuvent plaider en faveur du maintien du parapluie atlantique. D'autant plus que le désarmement des milices et autres brigades ayant lutté contre l'ancien régime devra être mené parallèlement. La réconciliation nationale sera le plus grand chantier du nouveau gouvernement. Comment réussir ce défi ? La réconciliation nationale doit aller de pair avec la mise en place d'un système politique respectueux des Droits humains et des libertés individuelles; afin d'éviter que le désir légitime de justice et de vérité ne rime pas avec règlements de compte et justice expéditive. Après une dictature de 42 ans, il s'agit maintenant de ne pas engager une chasse aux sorcières qui pourrait toucher tout le monde en Libye. La mort de Muammar Kadhafi et de son fils Moatassem, les actions de représailles menées à Syrte notamment témoignent de la difficulté de cette entreprise. L'autre écueil est celui du régionalisme qui verrait l'emprise d'une région sur d'autres. L'élection d'un nouveau premier ministre de transition, originaire de Tripoli, permet de dissiper (pour l'instant) les soupçons d'une confiscation de la révolution par les gens de Benghazi. Comment lutter contre la prolifération des armes en Libye sans l'aide de l'OTAN dans la mesure où le pays ne dispose pas encore d'une armée ou d'une police pour contrôler ses frontières ? Cela sera un des principaux défis de cette nouvelle administration libyenne. Même si la Libye met rapidement sur pied une nouvelle armée nationale avec le concours du Qatar, qui a proposé ses services, il semble peu probable qu'elle puisse se passer de l'aide internationale, qu'elle émane des agences de l'Onu ou de pays alliés. Les nouvelles autorités libyennes ont notifié qu'elles voudraient juger Seif al-Islam sur le sol libyen plutôt qu'à la Haye au niveau de la Cour Pénale Internationale. Pourra-t-il vraiment bénéficier d'un procès équitable en Libye en cas de reddition ? Il est légitime que les Libyens veuillent juger dans leur pays, une personnalité si emblématique de l'ancien régime. Un procès permettra de connaître un peu mieux les dessous du régime déchu, de faire la lumière sur les nombreux épisodes sombres de la période Kadhafi, de mieux saisir peut-être les mécanismes de ce système aussi. Il aura également une fonction d'exorcisme et comblera en partie les frustrations nées de l'élimination de l'ancien guide libyen. Cela étant, afin d'y parvenir il convient de mettre sur pied un système judiciaire efficace et respectueux des normes internationales notamment pour ce qui concerne les droits de la défense afin que, comme nous l'évoquions plus haut, ce procès ne soit pas synonyme de vengeance. L'annonce de la Charia comme source principale du Droit libyen a suscité des inquiétudes en Occident. A votre avis, peut-on dire qu'il y a plus de peur que de mal ? Le fait que Moustapha Abdeljalil ait insisté sur l'application de la Charia lors de la proclamation de la libération du pays, moment historique par définition, est effectivement surprenant. En effet, après 8 mois de conflit, l'urgence de la Charia ne répond pas aux mots d'ordre de la révolution et encore moins aux préoccupations du peuple libyen, concernant ses droits. Par ailleurs une telle déclaration plonge dans l'embarras les alliés occidentaux du nouveau pouvoir dont les opinions publiques sont très sensibles à tout ce qui peut toucher aux droits des femmes. Cette déclaration intervient surtout dans une nouvelle séquence de la vie politique libyenne. La Libye est entrée, en effet, dans une phase de compétition politique dont la première étape est la constitution d'un gouvernement transitoire chargé de mettre en place une constituante. L'instrumentalisation de la Charia est à replacer dans ce cadre de lutte politique où il s'agit pour certains de faire oublier qu'ils ont servi l'ancien régime.