Rude épreuve pour la commission chargée de la réconciliation. Alors que la population est toujours divisée entre pro et anti-Gbagbo, le procès de l'ancien chef d'Etat à la Cour pénale internationale menace le dialogue national. L'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, arrêté le 11 avril 2011 à l'issue d'une crise post-électorale qui a fait 3000 morts selon le bilan officiel de l'ONU, a été présenté lundi aux juges de la Cour pénale internationale, pour une première audience. C'est la première fois qu'un ancien chef d'Etat est placé en détention par la CPI, depuis sa création en 2002. «J'ai été informé des crimes que l'on me reproche et de mes droits», a déclaré l'ex-homme fort de la Côte d'Ivoire devant les trois magistrats. Il est notamment accusé d'être responsable des exactions commises par ses forces, de novembre 2010 à avril 2011, période de la crise. Crimes contre l'humanité à raison de meurtres, viols et autres violences sexuelles, actes de persécution et autres actes inhumains, ce sont les quatre chefs d'accusation pour lesquels il sera jugé. Ses avocats dénoncent d'ores et déjà le caractère illégal de son arrestation et de son transfèrement à La Haye. «J'ai été arrêté sous les bombes françaises. C'est l'armée française qui a fait le travail et m'a ensuite remis aux forces d'Alassane Ouattara, qui n'étaient pas encore les forces régulières», a souligné Laurent Gbagbo. La prochaine audience est prévue pour le 18 juin 2012. Cependant, l'enjeu de ce procès se joue à des milliers de kilomètres de La Haye. Et les conséquences sont déjà là. Après l'annonce du transfèrement de l'ancien président la semaine dernière, le FPI (Front populaire ivoirien) – le parti de Laurent Gbagbo – a immédiatement fait part de son intention de boycotter les élections législatives de dimanche prochain. Les ténors du parti dénoncent une «justice des vainqueurs», puisqu'aucun des responsables du camp Ouattara n'a été inquiété pour les crimes post-électoraux. Le dialogue national engagé, il y a quelques mois, est donc en panne. Après dix ans de guerre due à des crises politiques, le processus de réconciliation nationale est dans l'impasse. «Nous suspendons notre participation à tout processus de réconciliation», a clairement annoncé le FPI, qui qualifie le transfert de Laurent Gbagbo de «véritable hold-up politico-juridique». D'aucuns, au sein de la société civile, dénoncent la précipitation de la procédure de transfèrement et pensent que l'actuel chef d'Etat, Alassane Ouattara, a les mains liées. La réconciliation nationale en danger La responsabilité des crimes commis pendant la crise concerne autant le camp Gbagbo que celui de Ouattara. Guillaume Soro, l'actuel Premier ministre, a été pendant longtemps le porte-parole des Forces nouvelles, la rébellion qui a contrôlé le nord de la Côte d'Ivoire de 2002 jusqu'à la chute du régime de Laurent Gbagbo. Il aurait été plus judicieux de le voir également comparaître devant les juges de la CPI puisque les Forces nouvelles sont aussi impliquées dans de nombreux massacres (à Douékoué notamment) qui semblent être ignoré par le nouveau pouvoir. Le président Alassane Ouattara, lors de sa prise pouvoir en avril 2011, a fait la promesse d'une justice équitable pour tous, mais tout porte à croire, pour le moment en tout cas, qu'on est encore loin du compte. Dans ces conditions, la commission «Dialogue, Vérité et Réconciliation» qui a été mise sur pied pour assurer la cohésion sociale a du pain sur la planche.