Derrière son regard dévoué, sa voix raffinée et son sourire d'enfant, Amina Slaoui cache une crainte, celle de ne pas être soutenue jusqu'au bout dans son combat de tous les jours : la protection des personnes handicapées. Rencontre. Lors du dernier Tedx, organisé le week-end dernier à Casablanca, elle a ébloui une assistance venue nombreuse l'écouter parler de la nécessite de casser les frontières, quelle qu'en soit la nature. Sa modestie et son courage sont connus de tous. C'est donc tout naturellement qu'Amina Slaoui arrive à convaincre et à susciter l'intérêt chez son auditoire. En fait, elle revient de loin. La vice-présidente de l'Association marocaine des handicapés (AMH), Amina Slaoui, a perdu la motricité de ses membres inférieurs quand elle était plus jeune à la suite d'un malheureux accident de bicyclette. Aujourd'hui sur un fauteuil roulant, elle est animée d'un militantisme passionné. « L'AMH a été créée par des personnes handicapées et des sympathisants en 1992. C'est une association de soutien aux handicapés et en même temps de service et de développement », nous apprend Amina. Comptant près de 25 000 membres, l'AMH soutient les personnes handicapées en mettant à leur disposition des appareillages, notamment les fauteuils roulants, en leur facilitant l'accès aux soins et en les accompagnant pour la recherche d'emploi. Le difficile accès au soins Elle leur apporte aussi une assistance administrative et juridique. De plus, « on construit nous même des centres de rééducation. Le premier centre est déjà opérationnel à Bouskoura et s'appelle Annour. Un deuxième va prochainement ouvrir ses portes à Casablanca », précise Amina. Interrogé sur le nombre de handicapés au Maroc, Amina dit ne pas trop faire confiance aux chiffres officiels. « On dit qu'il y a environ 1,5 million de handicapés au Maroc, mais je pense que le chiffre le plus exact tournerait autour de 10 % de la population, soit facilement le double des statistiques officielles, comme le confirme l'OMS », révèle-t-elle. Une catégorie qui vit parfois dans le rejet et l'exclusion sociale quasi totale. « Les handicapés n'ont pas tous accès aux soins nécessaires. Pour ce qui est de l'assurance maladie obligatoire AMO, j'avoue qu'il y a aujourd'hui une couverture sociale plus large, mais la plupart de nos adhérents n'ont pas accès à cette dernière, alors que les soins et la rééducation coûtent cher et que ce sont les personnes handicapées issues de milieux défavorisés qui en ont le plus besoin… », s'indigne Amina. Des lois et des barrages Autre dada de l'AMH : l'accessibilité des personnes à mobilité réduite aux lieux publics. « L'accessibilité est une bataille pour nous. Ce n'est pas l'état de nos corps qui limite nos actes mais c'est les barrières qui nous excluent. Ces barrières sont érigées par l'environnement, qui fait barrage à notre libre circulation et notre indépendance. Au lieu d'avoir de l'assistance pour monter les escaliers ou aller aux toilettes, l'Etat se doit de nous y faciliter l'accès », explique Slaoui. La situation est effectivement embarrassante. Et pour le handicapé, et pour la personne qui l'assiste. « On se sent très frustrés vis-à-vis de ce problème d'accessibilité. Cela fait 20 ans qu'on se bat pour cela, et il existe même une loi qui est censée consacrer des espaces aux personnes à motricité réduite. Mais elle n'est pas appliquée malheureusement. C'est pourquoi on trouve des trottoirs trop élevés pour nos fauteuils roulants ou des moyens de transport qui s'en fichent des handicapés et de leurs limites de déplacement. Il y a encore un grand chemin à faire ! », enchaîne-t-elle. La vérité est dure à entendre, mais Amina n'arrête pas de marteler « Les marocains vivent très mal leur handicap. Parce qu'ils ne sont pas insérés, parce qu'ils ne vont pas à l'école, parce qu'ils n'ont pas d'emploi, pas de logement et pas de moyens de transport adaptés. En attendant, c'est la famille qui supporte un handicap chaque jour plus lourd qu'à porter. Ajoutons à cela le regard des autres, tout simplement insupportable. En 20 ans, cela a un peu changé, mais les handicapés ne sont pas toujours traités comme des citoyens à part entière». Autofinancement oblige Autant dire que les militants de l'AMH se sentent seuls dans leur combat. Et hormis une aide de l'Union européenne basée sur des projets ponctuels et des fonds alloués par la Fondation Mohammed-V pour la solidarité, l'AMH n'a d'autre choix que de s'autofinancer. « Le ministère de la Santé n'accorde aucune aide à l'association. Mais nous ne sommes pas dans cette logique de demandeurs d'aide. On veut être indépendant et autonome. Quand on veut organiser des événements ponctuels ou faire des achats de fauteuils ou autres matériels d'assistance, on organise une soirée et on collecte un peu d'argent », explique Amina. Et d'émettre un regret. « Ce que je trouve regrettable, c'est qu'avec toute l'énergie et l'effort que nous fournissons, les résultats ne sont pas à la hauteur. Personne ne prend la relève. Rares sont ceux qui font un geste pour nous aider. C'est cela le handicap pour moi ». Après un long soupir, elle nous révèle une définition magistrale : « C'est le résultat de l'interaction entre nos limites, d'un côté, et les barrières que dresse la société, de l'autre », conclut-elle. La marche ne s'arrête pas pour autant.