Le 20 novembre se tiendront les élections anticipées en Espagne qui fermeront certainement la parenthèse socialiste. Quels sont les fondements de ce changement ? Mars 2004, personne ne croit à la victoire de José Luis Rodríguez Zapatero. Celui qui n'est alors que secrétaire général du parti socialiste ouvrier espagnol veut rester à la tête du parti et éviter au Parti popular d'obtenir la majorité absolue. Ses détracteurs au sein du Psoe, en particulier le courant fidèle à Felipe Gonzalez, pensent déjà à lui trouver un remplaçant à l'issue du scrutin. Mais les attentats du 11 mars et la désastreuse gestion de la crise par le gouvernement du PP vont changer la donne. Zapatero accède au pouvoir, sans véritable programme électoral, mais doté d'un instinct politique redoutable qui lui permet de profiter de la forte antipathie suscitée par José Maria Aznar. Il reçoit en héritage de l'administration sortante une économie solide, avec un taux de croissance à 4%, moins de 10% de chômage et un classement AAA+. En 2007, les prémices de la crise économique mondiale qui s'apprête à frapper de plein fouet l'Espagne sont délibérément ignorés par un président du gouvernement qui doit remettre en jeu son mandat en mars 2008. Zapatero sait que s'il reconnaissait l'existence d'une crise, sa réélection pourrait s'en trouver compromise. La victoire à l'arraché de 2008 n'empêche pas l'inexorable détérioration de l'image du président Zapatero, sa politique plus proche des radicaux de gauche italiens que des sociaux démocrates européens ne permet pas d'enrayer la crise. Zapatero est contesté dans ses propres rangs, son prestige et son influence sont sérieusement écornés, les deux dernières années de la législature sont terribles. L'absence de prise de mesures économiques efficaces, et donc impopulaires, a conduit à la destruction de pans entiers de l'économie espagnole. Le pays est exsangue, le chômage atteint des sommets, avec 5 millions, soit 22% de la population active touchée; un déficit de 7 à 8% selon certains experts, un taux de croissance à zéro (0,5 %), une compétitivité en chute libre et une crédibilité zéro sur les marchés internationaux. Zapatero sait que son bilan économique est catastrophique, il veut être reconnu pour les transformations profondes qui ont bouleversé la société espagnole et dont il est l'artisan sincère et engagé : légalisation du mariage homosexuel, droit à l'avortement pour les mineures sans autorisation parentale, loi dite de « la mémoire historique » pour réhabiliter les victimes du franquisme etc… Le 29 juillet 2011 il convoque des élections anticipées pour le 20 novembre 2011, Alfredo Perez Rubalcaba premier vice-président du gouvernement et ministre de l'Intérieur sera le candidat du Psoe. Vote-sanction Dans ce contexte extrêmement défavorable, le but de la manœuvre est de limiter la déroute, qui s'annonce spectaculaire. La seule incertitude pour les médias de gauche comme de droite demeure l'ampleur de la majorité que devrait décrocher le parti populaire. Sera-t-elle supérieure à celle obtenue par Aznar en 2 000 ? Aujourd'hui, l'écart entre les deux principaux partis politiques espagnols est d'environ 15 points, à l'avantage du parti populaire. Et ce malgré la tradition qui voudrait que la droite espagnole perde son élan lors des campagnes électorales. Les prévisions et les sondages augurent une perte pour le parti socialiste d'environ 15 points par rapport à 2008, avec un glissement de l'électorat le plus à gauche vers l'extrême gauche de Izquierda Unida, dont la représentation parlementaire passerait de 2 à 5 députés. Ce vote-sanction profiterait également au parti UpyD de l'ex- socialiste Rosa Diez, qui pourrait passer de 1 à 3 députés. Il est aussi question, dans les prévisions, d'un transfert massif de quelques 500 000 votes du Psoe vers le parti populaire, fait totalement inédit. Enfin, tout le monde s'attend, même dans les rangs socialistes, à ce que l'Espagne connaisse un changement politique majeur dans les prochaines semaines. L'unique débat télévisé qui a opposé les candidats pendant près de 2 heures, ce lundi 7 novembre, n'aura fait qu'accentuer la sensation que Mariano Rajoy Brey est déjà dans la peau du président du gouvernement espagnol et Alfredo Perez Rubalcaba le leader de l'opposition socialiste. Ce débat, le cinquième dans l'histoire de la jeune démocratie espagnole, aura permis à l'un et à l'autre des candidats d'exposer, avec plus ou moins de bonheur, les mesures phares de programmes de gouvernement qui, au regard de l'ampleur de la crise, sont devenues secondaires. Aujourd'hui, les Espagnols n'ont foi qu'en une seule chose : le changement. Apaisement avec le Maroc Dans notre pays, le retour aux affaires du parti populaire est vécu avec une certaine appréhension ; les tensions entre les deux pays lors de la deuxième législature du président Aznar ont laissé des traces. Plus près de nous, la manifestation organisée à Casablanca le 29 novembre 2010 par une coalition de partis et de syndicats marocains contre le Parti populaire a profondément choqué en Espagne. Celle-ci se voulait la réponse à la cabale anti-marocaine qui s'empara des médias de droite espagnols suite aux événements de Gdim Izik. Certains membres du parti populaire comme Esteban Gonzalez Pons, vice secrétaire général à la communication du parti et membre de la direction, prendront la tête d'une manifestation convoquée le 13 novembre 2010 par le réseau des associations pro-Polisario d'Espagne. Cette marche qui réunira des milliers de personnes au centre de Madrid verra les symboles du pouvoir marocain piétinés. Néanmoins, il semble aujourd'hui que Mariano Rajoy Brey-ce qui est d'ailleurs plus conforme à son tempérament – veuille jouer la carte de l'apaisement dans les relations entre les deux pays. Ceci est d'ailleurs un des fondamentaux de la relation Maroc-Espagne; selon qu'ils sont au pouvoir ou dans l'opposition, les deux partis de gouvernement en Espagne changent du tout au tout leur rapport au Maroc. Recherche du consensus et coopération tous azimuts au gouvernement, crispation et prise de distance dans l'opposition. Avec, toutefois, une exception notable évoquée plus haut, la 2e législature du président Aznar. Nadia BENKACEM