En Tunisie comme en Libye, et même au Maroc, les islamistes ont maintenant, et plus que jamais, le vent en poupe. Les Américains et les Européens ont des approches différentes face au phénomène. Une question sur laquelle les premiers ont une longueur d'avance. Arabe ? Pas sûr, mais islamique, le Maghreb est certainement en passe de le devenir. La Tunisie vient de porter les islamistes d'Ennahda au sommet de l'Assemblée constituante chargée d'élaborer la nouvelle Constitution du pays. La Libye, elle, doit son salut à un CNT dont la direction a affirmé que le (nouveau) pays sera islamique…ou ne le sera pas. Au Maroc, et à quelques différences près, le PJD a maintenant plus que jamais le vent en poupe. Seule l'Algérie résiste encore aux barbus, les souvenirs de la décennie noire du siècle dernier éloignent pour le moment cette perspective. Et encore, le FLN au pouvoir au pays de Bouteflika semble, de plus en plus, enclin à effacer l'ardoise et à pacifier avec le Front islamique du salut qui, on s'en souvient, était le grand vainqueur des premières élections libres en Algérie…déjà en 1991. Deux décennies plus tard, l'histoire semble se répéter. Les élections libres ou transparentes sont devenues systématiquement synonymes de montée en puissance des verts. Nos verts. Au pays de la révolution du jasmin, les élections de l'Assemblée constituante de dimanche dernier ont connu un raz-de-marée du parti de Rached Ghannouchi. Un sérieux revers pour les formations de gauche et laïcisantes. Les partisans du PDP (Parti démocratique progressiste) du tandem Maya Jribi et Ahmed Néjib Chebbi sont tombés des nues. Dans les meilleurs des cas, ils ne dépasseront pas le seuil de dix sièges dans la nouvelle assemblée. En revanche, le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki a fait mieux, son score devrait dépasser celui du PDP. Une maigre consolation. Une montée prévisible En Libye, les récentes déclarations de Mustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition (CNT), faites à Benghazi dimanche 23 octobre, annonçant que «toute loi contraire à la chariâ islamique sera gelée juridiquement», donnent le tempo. Vingt quatre heures plus tard, l'ancien ministre de la Justice de Kadhafi a mis de l'eau dans son vin, précisant que «les libyens sont des musulmans modérés». Modérés ou pas, les islamistes ont longtemps joué le rôle de premier « résistant » aux dictatures arabes et su canaliser, voire encadrer ou provoquer, la colère des rues maghrébines, et leur montée paraît somme toute compréhensible, vue de la rive Sud de la Méditerranée. Voilà des groupes d'hommes, et de femmes, jusque-là irréprochables, qui parlent la langue et le langage du plus grand nombre et qui savent surfer sur la religion musulmane devenue désormais la seule valeur sûre dans des sociétés foncièrement conservatrices. Le succès prévisible des islamistes a malgré tout surpris plus d'un. L'effet surprise a été observé chez les élites intellectuelles et économiques des pays concernés auxquels s'ajoutent des pays, notamment européens. Là-dessus, les analyses et autres déclarations officielles appelant à la prudence se suivent et se ressemblent. Forts de ce succès enregistré avec les islamistes de la Lampe, les envoyés de l'Oncle Sam ont entrepris la même opération avec les disciples de Abdeslam Yassine. Fathallah Arsalane ou Hassan Bennajeh ont déjà eu des entretiens avec des diplomates américains installés au Maroc ou de passage. Cette crainte des Européens via -à-vis des islamistes est-elle partagée par les Américains? Dans un communiqué, Hillary Clinton a qualifié les élections en Tunisie de «modèle» pour la région, soulignant au passage qu' «en construisant un avenir démocratique, les courageux citoyens tunisiens continuent de se poser en exemple pour la région et le monde». Et de conclure que «les Etats-Unis continueront à travailler avec le gouvernement et le peuple tunisiens dans leur cheminement vers un avenir plus pacifique prospère et démocratique». Une question de connaissance Un ton différent de celui des Européens. Les Américains en savent plus sur les partis islamistes, dans la région du Maghreb et en Egypte, que les Européens. En Tunisie même, le candidat présenté par Ennahda pour occuper le poste de Premier ministre au prochain gouvernement n'est guère un inconnu pour les centres de pouvoir aux Etats-Unis. Hamadi Jebali en sa qualité de secrétaire général d'Ennahda, a déjà pris langue avec les Américains. Mai dernier, au cours d'un voyage, de deux semaines et sur une invitation du département de Hillary Clinton, Jebali accompagné de Samir Dilou et Farida Laâbidi, deux noms qui pourraient figurer dans la composition du futur gouvernement tunisien, rencontraient à Washington le sénateur démocrate John Kerry, le très influent président de la commission des affaires étrangères au Congrès, et John Mc'Cain, du Parti républicain. Il faut dire que l'administration américaine a une longueur d'avance sur les Européens, quant à l'approche faite de la montée des islamistes au Maghreb . Les contacts des Tunisiens avec l'administration américaine ne sont pas sans rappeler ceux noués avec le PJD, depuis le début des années 2000. Il faut dire qu'entre les Américains et les islamistes maghrébins, on observe un certain rapprochement voire même de la complicité des fois. Au Maroc, les relations étroites entre l'IRI (Institut républicain international) et le PJD sont un secret de Polichinelle. A la veille des législatives de 2007, l'Institut républicain avait réalisé un sondage dans lequel il donnait 47% des voix aux candidats de la Lampe. Une enquête d'opinion qui avait suscité une levée de bois de vert de la part des politiques marocains.Forts de ce succès enregistré avec les islamistes de la Lampe, les envoyés de l'Oncle Sam ont entrepris la même opération avec les disciples de Abdeslam Yassine. Fathallah Arsalane ou Hassan Bennajeh ont déjà eu des entretiens avec des diplomates américains installés au Maroc ou de passage. La tendance ne se limite pas au seul Maghreb. En Egypte, le spectre de la main-mise des Frères musulmans, brandi autrefois par le régime de Moubarak n'est plus d'actualité. Début octobre, des émissaires de l'administration Obama se sont rendus chez les Frères. C'est dire que les temps ont vraiment changé.