Nous replonger dans l'enfance à travers le regard d'un enfant de France, tel est le propos de l'homme de presse et lauréat de plusieurs prix Eric Fottorino, dans Le Dos crawlé, aux éditions Gallimard. Le Soir échos l'a rencontré. Avec Le Dos crawlé, l'ex-directeur du quotidien français Le Monde nous livre un roman tendre et émouvant sur l'enfance qui s'achève en faisant parler un enfant de 13 ans et en jouant sur les mots, la syntaxe et la ponctuation. Marin passe les vacances d'été à Pontaillac, sur le littoral royannais chez son oncle Abel, un brocanteur « qui délivre les gens de leur passé ». Il est amoureux de Lisa, 10 ans, « fille unique, ça veut dire qu'y en a pas deux pareilles », délaissée par sa mère, ex-miss Pontaillac. Entouré de personnages hauts en couleur, Marin va faire son éducation sentimentale et découvrir le monde des adultes. Eric Fottorino, qui confirme une fois de plus ses talents de « raconteur », nous en dit plus sur ce roman d'apprentissage. Marin, est-ce que c'est vous ? Marin n'est pas moi. J'avais seize ans en 1976, et lui 13. Mais je lui ai offert mes meilleurs souvenirs de ces étés sur l'Atlantique, et en particulier de cet été brûlant de 1976. Je l'ai nourri de mes sensations, de mes émois, de mon goût pour cette liberté des grandes vacances, de cette tendance à rêver et à fantasmer propre aux enfants de cet âge. Et les autres personnages, ont-ils existé ? L'oncle Abel a un peu pour modèle un de mes oncles qui vivait à Royan.Un homme chaleureux, bienveillant, un bon vivant qui aimait beaucoup les enfants, parce qu'il avait sans doute gardé une part de cette innocence. Le vieux cycliste, le Père Juillet, monsieur Maxence qui écoute la météo marine et monsieur Archibouleau, qui se baigne la nuit, je les ai inventés en pensant à des silhouettes que je croisais à cette époque, sans les connaître. Le docteur Malik, qui vient « d'Adjérie », est aussi pure invention: j'ai besoin souvent de faire apparaître un personnage d'Afrique du Nord dans mes romans, qui promène sa douceur et sa nostalgie du pays, qui souffre de l'exil. Mais au bout du compte, je finis par croire que tous ces personnages sont vivants et qu'on peut les rencontrer l'été à Pontaillac… N'était-ce pas risqué et difficile de prendre le parti de faire parler un enfant de 13 ans ? Je voulais restituer le plus fidèlement possible les émotions et les pensées, les élans et les interrogations d'un garçon de 13 ans, un préadolescent. Seuls le langage, les mots, pouvaient m'amener au plus près, au plus juste de son état d'esprit. Le risque était la mièvrerie. J'ai fait en sorte de le confronter à des choses difficiles – l'accident, la mort, la maladie, la vente d'une maison de vacances – pour ne pas lui inventer un monde idéal, mais pour le plonger dans les affres du réel qui ne préviennent pas et côtoient sans crier gare les petits bonheurs de l'enfance. Ce « je » d'enfant était pour moi la seule manière d'écrire juste sans bêtifier. Ce ne sont pas les enfants qui bêtifient sur l'enfance, ce sont souvent les adultes… Pourquoi cette envie de retourner dans l'enfance ? Je voulais retrouver cette période de la vie où les sentiments sont entiers, dépourvus de tout compromis, de tout renoncement. On aime absolument, on déteste entièrement, on éprouve l'injustice ou l'abandon comme autant de brûlures. Toutes les sensations nous arrivent sans filtre, comme les cigarettes… Pourquoi avoir choisi de camper votre histoire à Pontaillac, que vous semblez bien connaître ? J'ai passé plusieurs étés de mon enfance à Pontaillac. Rien n'a vraiment changé 40 ans plus tard, comme si le temps était immobile. Je voulais camper cette histoire dans un lieu immuable de l'enfance, le ciel, la mer, le sable, le casino, le minigolf, le glacier, ce sont « mes vacances de M. Hulot ». Connaître si bien un lieu permet d'être précis, d'y mouvoir ses personnages très naturellement, de donner au lecteur le sentiment qu'il est chez lui, dans un lieu familier de son enfance, car on a tous en mémoire des étés et des lieux semblables. Pourquoi faire cohabiter la pureté d'un amour entre deux enfants et la perversité des adultes ? La vie est ainsi. Cioran disait qu'il faut savoir avaler l'amer avec le sucré. Marin éprouve un amour infini pour Lisa et un désir irrépressible pour sa mère, madame Contini, tout en sachant que si cette femme l'éblouit, il doit l'oublier. C'est une façon de dire que le malheur et le bonheur sont séparés par une ligne très ténue, et quel'on peut passer, sans s'en rendre compte, de l'un à l'autre. Pourquoi l'avoir appelé Le Dos crawlé ? Grandir, sortir de l'enfance, c'est difficile. Nager le dos crawlé aussi est difficile : on ne voit pas où on va, on peut se cogner, on avance la tête en arrière. Certes, on peut voir le ciel et les étoiles la nuit, c'est une nage qui rend libre à force d'essayer. Comme grandir… Diriez-vous que c'est un livre mélancolique ? C'est d'abord le roman de la sensualité, des parfums, des saveurs Marin a toujours faim et il dévore les complets-poissons, les glaces, les gaufres… La mélancolie a bien sûr sa place, car grandir est ainsi ; on a peur de ce qu'on va découvrir, mais on est pressé d'être un « grand »…